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dimanche 12 août 2018

Face au manque de bras, l'Europe de l'Est se tourne vers les robots


11 août 2018

Face au manque de bras, l'Europe de l'Est se tourne vers les robots

La région, où le taux de chômage est au plus bas, est confrontée à une pénurie criante de main-d'œuvre, alors que les salaires ont augmenté

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LES CHIFFRES
9  %
C'est la part de la population polonaise, en termes bruts, qui a émigré entre 2010 et 2014, selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Cette proportion atteint 7,1  % en Hongrie, 8,6  % en Slovaquie et 19,8  % en Roumanie.
11,30  
C'est, en euros, le coût moyen horaire de la main-d'œuvre en République tchèque en  2017, d'après Eurostat. Il s'élève à 9,10  euros en Hongrie, 9,40  euros en Pologne, 11,10  euros en Slovaquie et 17  euros en Slovénie.
1 million
C'est le nombre d'Ukrainiens travaillant en Pologne, selon la Banque centrale polonaise. En 2017, le pays a délivré 192 547 permis de travail supplémentaires à des Ukrainiens.
Alors que la France lutte pour résorber le chômage de longue durée, la République tchèque, elle, fait face à un problème d'une tout autre nature : elle n'a jamais autant manqué de bras. En juillet, le taux de chômage était de seulement 3,1  %, selon les données publiées jeudi 9  août par le Pôle emploi tchèque. C'est le plus bas niveau de l'Union européenne. Sur le même mois, le nombre de postes vacants a culminé au niveau historique de 310 000, en hausse de 65  % sur un an. Il est désormais supérieur à celui des demandeurs d'emploi (231 565 personnes).
La situation n'est pas propre à Prague. " Les difficultés de recrutement sont criantes dans toute l'Europe centrale et de l'Est, alors que les usines tournent à plein régime ", explique Grzegorz Sielewicz, économiste spécialiste de la région pour Coface, à Varsovie. En Hongrie et en Pologne, le taux de chômage est également inférieur à 4 %. Par ailleurs, il est tombé à 4,5  % en Roumanie en juin, et il dépasse à peine 5,5  % en Slovénie, selon Eurostat. Une tendance liée à la bonne santé économique de ces pays, comme à la démographie. Depuis les années 1990, plus de 20  millions de personnes ont quitté la région, soit près de 5,5  % de la population. A cela s'ajoute la chute de la natalité, qui accentue le déclin de la force de travail.
Pour attirer les candidats, les entreprises ont augmenté les salaires. Ils ont progressé de plus de 30 % en Roumanie et de 20 % Hongrie depuis 2010. En République tchèque, ils ont bondi de 7 % en  2017 et devraient croître encore de 7,8 % cette année, d'après les prévisions de la Société générale. Le salaire minimal polonais est passé de 1 750 zlotys (410  euros) en  2016 à 2 000 zlotys bruts (470  euros) aujourd'hui. Et ce, au profit du pouvoir d'achat des salariés, dont le niveau de vie s'approche lentement des standards de l'Europe de l'Ouest.
" Toute la difficulté est qu'à un certain point, la hausse des salaires menace la rentabilité des entreprises les plus fragiles ", souligne Pavel Sobisek, économiste chez UniCredit, à Prague. A terme, elle risque également de dégrader la compétitivité et les perspectives de croissance de la région, dont le modèle économique repose encore largement sur la faiblesse des coûts de main-d'œuvre.
" Révolution "Pour faire face à ces contraintes, les entreprises explorent désormais une autre voie : les robots. " Dans l'industrie, elles sont de plus en plus nombreuses à développer l'automatisation des procédés et des chaînes de production pour compenser le manque de main-d'œuvre ", observe M. Sielewicz. Selon lui, les importations de robots industriels dans la région devraient croître de 20  % par an au cours des années à venir.
Le constructeur automobile Skoda, fleuron de l'économie tchèque, est en pointe sur le sujet. Depuis quelques mois, il déploie des robots 100 % autonomes pour transporter les composants dans son usine de Vrchlabi (nord). Afin de tenir son plan de croissance – produire 2  millions de véhicules en  2025, contre 1,2  million en  2017 –, le groupe a développé un ambitieux programme de numérisation et d'automatisation.
" Si nous voulons continuer à grandir, c'est la seule option, avec l'immigration ", déclarait en mars Bernhard Maier, le PDG de Skoda. " Le potentiel d'automatisation est également élevé dans certains pans de l'industrie agroalimentaire, notamment le traitement de la viande et des produits laitiers ", note Jakub Borowski, économiste au Crédit Agricole, à Varsovie.
Il y a de la marge. En moyenne, l'industrie polonaise dispose de 32 robots pour 10 000  employés, selon la Fédération internationale de robotique. C'est moins que la moyenne mondiale, à 74. La République tchèque (101), mais surtout la Slovaquie (135) et la Slovénie (137) sont mieux équipées. Elles dépassent la France (132), même si elles sont encore loin derrière l'Italie (185) et l'Allemagne (309), qui détient le record en Europe. " Cette mutation tirera l'investissement privé ces prochaines années, ajoute M. Borowski. Mais elle se fera sur le long terme, et toutes les entreprises n'y auront pas accès. "
Car, pour beaucoup de TPE et de PME, les coûts liés à ces équipements sont trop élevés." Robotiser implique une révolution dans le pilotage et la conception des modes de production à laquelle beaucoup d'entrepreneurs ne sont pas prêts ", résume Jakub Borowski. D'autant que le pic de croissance lié au rattrapage post-crise est désormais passé. Le léger tassement de l'activité attendu cette année pourrait décourager les investissements. En outre, le travail humain reste irremplaçable dans certains secteurs, notamment dans des services et de l'agriculture.
Crispations sur l'immigrationPour soutenir malgré tout le mouvement, les gouvernements tchèque et polonais soutiennent l'innovation et multiplient les plans en faveur de " l'industrie 4.0 ", le concept à la mode pour désigner la nouvelle génération d'usines intelligentes et connectées. Une partie du patronat local appelle aussi les autorités à agir pour augmenter la participation des femmes au marché du travail, par exemple en développant les infrastructures pour la petite enfance. Certains, plus timides, plaident aussi pour une meilleure intégration de la communauté rom, importante en Hongrie ou en Roumanie, et souvent mise à l'écart de l'emploi. Cependant, le sujet, largement tabou, suscite des crispations.
Tout comme la piste de l'immigration. Si la Pologne et la République tchèque ont, à l'image de la Hongrie, fermé leur porte aux réfugiés du Proche et du Moyen-Orient (officiellement pour des raisons de sécurité), elles ont en revanche assoupli leurs conditions d'accueil pour les travailleurs ukrainiens. Le ministre tchèque du travail a promis en mai d'accélérer encore les procédures permettant d'accorder des visas de long terme aux Ukrainiens, qui sont déjà plus de 70 000 dans le pays.
En Pologne, ils dépassent le million, et le nombre de permis de travail qui leur ont été délivrés l'an passé a crû de 81  %. " Ceux accordés aux Biélorusses ont également progressé de 116  % ", ajoute Grzegorz Sielewicz. Fin juillet, le gouvernement polonais a annoncé un prochain accord avec les Philippines, afin d'accueillir des travailleurs de ce pays d'Asie jugé " culturellement proche ",car catholique.
Marie Charrel
© Le Monde

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