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samedi 14 juillet 2018

Un nouveau plan d'action contre le terrorisme


14 juillet 2018

Un nouveau plan d'action contre le terrorisme

La DGSI est confirmée dans son rôle de " chef de file " et un parquet national antiterroriste devrait être créé

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Alors que s'annonce un week-end sous haute surveillance pour les forces de sécurité avec le Mondial de football, Edouard Philippe a dévoilé vendredi 13 juillet le premier plan d'action contre le terrorisme – baptisé PACT – de la présidence d'Emmanuel Macron. Un exercice qui relève pour bonne part de la revue stratégique, mais qui s'est imposé ces dernières années de façon bi-annuelle à l'agenda officiel, à mesure de l'évolution de la menace djihadiste et de l'effet " structurant " du terrorisme dans de nombreux domaines régaliens.
Articulé autour de 32 actions dont certaines déjà connues, ce PACT est censé orienter l'action de l'Etat en matière de détection, d'entrave, ou encore de répression d'ici à 2020. Soit l'année où un nouveau débat au Parlement doit avoir lieu pour décider du renouvellement – ou pas – du texte ayant transposé l'état d'urgence dans la loi, en octobre 2017. Le gouvernement n'a dévoilé qu'une partie de ce plan. Une autre reste soumise au secret-défense. Alors que les dispositifs précédents (2014 et 2016), imposés par les événements, avaient été l'occasion d'une refondation de la lutte antiterroriste, il s'agit plutôt là, selon le document d'une trentaine de pages, que Le Monde a pu consulter, " d'offrir une nouvelle visibilité à l'action déterminée du gouvernement "" On est dans une démarche d'amélioration continue ", souligne-t-on sobrementà Matignon.
Pilotage à deux têtesDeux mesures devraient faire parler plus particulièrement d'elles. La première concerne le rôle de " chef de file " accordé par l'exécutif à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) en matière de lutte contre le terrorisme.
La seconde, plus inattendue, car ajoutée au dernier moment lors des arbitrages sur ce nouveau plan, concerne la création d'un parquet national antiterroriste (PNAT), distinct du parquet de Paris. Un projet qui avait pourtant été abandonné il y a plusieurs mois, faute de consensus.
Le rôle de " chef de file " de la DGSI – expression choisie par l'exécutif – est le signal politique le plus fort voulu par le gouvernement dans ce plan. Pour preuve, l'annonce du PACT a eu lieu symboliquement au siège de la DGSI, à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine). " En matière de renseignement, la règle générale, est selon l'expression anglaise, celle du need to know” - droit à en connaître - ; en matière de lutte antiterroriste, c'est le need to share - besoin de partager - qui doit prévaloir ", dit-on à Matignon.
Ce désir de forcer les services à mieux travailler ensemble avait déjà conduit M. Macron, juste après son élection, à lancer une " task force " à l'Elysée. Cette coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) est surtout chargée de stratégie et d'un rôle de boîte à idées auprès du président. La DGSI se voit donc affirmée aujourd'hui comme son " bras armé ", selon une source proche du dossier. Ce pilotage à deux têtes (CNRLT et DGSI) se veut comme une parade de plus aux éventuelles " failles " et divers " doublons " entre services.
Avec ce PACT, la DGSI est ainsi censée devenir le pilote à qui tous les autres services devront référer avant d'agir. Jusqu'à présent, ce rôle de leader existait sur le papier. La DGSI avait le pouvoir de se saisir d'un objectif selon son degré de dangerosité. Mais celui-ci se heurtait souvent au cloisonnement structurel des services, notamment sur le territoire parisien sur lequel la préfecture de police a compétence et parce qu'elle dispose de son propre service de renseignement.
Concrètement, cette nouvelle responsabilité de la DGSI sera notamment mise en œuvre avec le renforcement de la cellule Allat. Créée en 2015, adossée à la DGSI, elle se réunissait jusqu'à présent en cas de crise ou de menace importante, afin de lancer des opérations de " criblage " conjointes,soit le passage aux fichiers d'individus ou d'identifiants téléphoniques et numériques. Y étaient conviés un certain nombre de services de renseignement dont le renseignement militaire et la direction générale de la sécurité extérieure. Mais alors que la crainte du terrorisme " endogène " s'est accrue, il a été décidé que la gendarmerie aura désormais aussi droit de cité à Allat.
La masse de données dans laquelle le renseignement intérieur peut par ailleurs piocher a été fortement renforcée fin juin dans le cadre de la loi de programmation militaire, puisqu'il peut désormais accéder aux données captées à l'international.
Une forme de compromisCe renforcement de la " coordination opérationnelle " devrait également se traduire par la création d'un " état-major " dédié à la DGSI. Composé de représentants des services, il aura pour ambition " d'amplifier " au quotidien les échanges, en sortant des traditionnelles relations bilatérales. C'est cet état-major qui devra être saisi lorsque les services identifieront un objectif sensible. Qu'il s'agisse du renseignement territorial ou de la police judiciaire lors de cyberpatrouilles. Ensuite, le cas échéant, le but sera d'assurer le continuum avec la justice. " Il faut bâtir un regard collectif, plaide une source proche du dossier. On tourne une page importante ". Allat et cet état-major devraient à ce titre être réunis dans une même " division ". Reste à savoir si les autres services joueront le jeu. Le plan prévoit par ailleurs la création d'une " cellule de profilage des auteurs d'attaque terroriste ". Mais ses contours sont encore flous et son pilotage n'est pas arbitré.
L'annonce surprise de la création d'un nouveau parquet national antiterroriste pourrait, elle, susciter moins de consensus, en tout cas publiquement. L'ambition de Matignon est aujourd'hui de retirer cette compétence au procureur de Paris en la confiant à une structure autonome " renforcée "." François Molins et la section spécialisée du parquet de Paris ont parfaitement relevé les défis de la lutte contre le terrorisme ces dernières années, mais il est important désormais d'avoir un procureur qui s'y consacre à temps plein comme il est essentiel que le parquet de Paris puisse se consacrer à l'ensemble de ses autres compétences ", défend-on au cabinet du premier ministre.
L'idée est de créer un parquet spécialisé de 25 à 30 personnes, soit quatre ou cinq magistrats supplémentaires par rapport à aujourd'hui. Logé au sein du nouveau palais de justice, ce PNAT pourra mordre sur les effectifs du parquet de Paris si besoin. Il sera censé aussi bénéficier d'un " maillage territorial " consolidé. Des " référents " terrorisme existent déjà dans les parquets en régions, mais leur collaboration avec Paris se fait souvent au gré d'autres tâches. Leur statut se verra là sanctuarisé, avec mission de veiller plus particulièrement sur les affaires liées à certains quartiers sensibles.
Ce projet ira-t-il au bout ? Sur le PNAT, deux camps s'opposent. D'un côté, les tenants d'un abandon pur et simple du projet, craignant qu'il n'aboutisse à un avatar du parquet national financier, considéré comme isolé face à l'ampleur de ses missions. De l'autre, les promoteurs d'un grand PNAT intégrant la criminalité organisée et la cybercriminalité qui estiment que ce schéma s'impose en raison d'une menace de plus en plus " hybride ". Mais cette dernière option n'a obtenu le soutien ni du parquet général, ni de la DGSI, ni de la direction centrale de la police judiciaire.
La solution présentée aujourd'hui estune forme de compromis. A Matignon, on estime que la nouvelle architecture répond aux réserves qu'avait formulées au printemps le Conseil d'Etat sur l'utilité de ce PNAT et ses capacités à faire face aux attentats de grande ampleur, au point que Mme Belloubet y avait renoncé. Le projet actuel devrait toutefois être débattu dans les prochains mois lors de l'examen du projet de loi de programmation de la justice. Toutes les manœuvres sont donc encore possibles.
Élise Vincent
© Le Monde

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