Translate

samedi 14 juillet 2018

Macron et les militaires, vigilance dans les rangs


14 juillet 2018

Macron et les militaires, vigilance dans les rangs

Depuis la crise de 2017, le président multiplie les signes d'attention, mais sera jugé sur l'effort budgétaire

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
Une matinée entière. Malgré un agenda chargé, Emmanuel Macron s'attarde, ce samedi 23  juin, aux Invalides. Venu rendre visite aux blessés de l'armée de terre, le chef de l'Etat prend son temps. Discret, avec le caporal-chef Loïc Liber, tétraplégique, rescapé des tueries de Mohamed -Merah en mars  2012. Empathique, prenant longuement les mains des uns, accordant aux autres tous les selfies. " Merci, monsieur le président ! ", lui lance un soldat du -régiment médical de la Valbonne, grièvement blessé au Mali. " Non, c'est moi. Merci. Un bel exemple de courage ",répond le chef des armées, tout en attentions.
Ce vendredi 13 juillet, à l'hôtel de Brienne, il devait s'exprimer comme tous les ans devant les militaires défilant le lendemain sur les Champs-Elysées. Il y a un an, dans ce même lieu, les relations entre le président de la République et l'armée avaient débuté dans le bruit et la fureur. Le 13  juillet 2017, M. Macron, tout juste élu, avait publiquement, sèchement, rappelé à l'ordre le chef d'état-major, le général Pierre de Villiers, qui venait d'exprimer des critiques sur de nouvelles coupes budgétaires subies par les armées, alors qu'il espérait une hausse des crédits. " Je suis votre chef. Les -engagements que je prends devant nos concitoyens et devant les armées, je sais les tenir et je n'ai à cet égard besoin de nulle pression et de nul commentaire ", avait grondé le président, provoquant une douloureuse -stupeur chez les militaires réunis pour cette tradition.
Depuis, le général François -Lecointre a remplacé le général de Villiers démissionnaire, qui a gardé l'image d'un chef proche de ses hommes. Les relations entre l'armée et le chef de l'Etat ont connu un début de normalisation. Après deux quinquennats marqués par la réduction des moyens, Emmanuel Macron a confirmé le réinvestissement sécuritaire, décidé par François Hollande en  2016 après les attentats tout en en renvoyant le financement après 2017.
" Tout sera dans l'exécution "Mais la crise de juillet  2017 a laissé des traces, et les militaires attendent de pouvoir juger le président sur des actes. " Un chef, cela s'éprouve sur le terrain ", résume un officier, rappelant que les difficultés d'une armée éreintée par vingt ans de sous-investissement n'ont pas disparu du jour au lendemain. Malgré les signes d'attention, le malaise ne s'est pas totalement dissipé. " Les militaires ont encore le sentiment que le président se sert d'eux pour sa propre image ", estime un -familier de l'institution.
Depuis son investiture, Emmanuel Macron a multiplié les gestes envers les troupes. Il a effectué une dizaine de déplacements dans les forces. D'abord les visites obligées – l'hôpital Percy pour les blessés, les soldats de la plus grosse opération extérieure française, " Barkhane ", au Mali, le sous-marin lanceur d'engins Le Terrible, la DGSE… Puis des unités dans les trois armées (air, marine, terre), des contingents déployés à l'étranger. Symboliquement, le président réunit aussi les conseils de défense hebdomadaires dans la salle Jupiter, le bunker de l'Elysée, ce que ne faisait pas François -Hollande. " Le lieu correspond à la gravité du sujet ", plaide l'entourage.
Pour ce qui concerne les opérations militaires elles-mêmes, si M. Macron n'a pas encore enclenché " sa " guerre en endossant pour de bon le costume de chef des armées, la participation française aux frappes du 14  avril contre des installations chimiques en Syrie a procédé d'une planification complexe réussie. Selon son cabinet, il réfléchit aussi à un grand discours sur la dissuasion nucléaire, exercice majeur d'un quinquennat.
Côté finances, le chef de l'Etat a arbitré une loi de programmation militaire 2019-2025, qui devait être promulguée vendredi 13  juillet. Elle représente un effort cumulé de 295  milliards d'euros, soit 16  milliards supplémentaires. " L'augmentation du budget de la défense était l'un des engagements de campagne d'Emmanuel Macron. Une fois élu, le président s'est attaché à montrer que son mantra “engagement pris, engagement tenu” valait pour les armées comme pour tous les autres sujets ", assure-t-on à l'Elysée.
Une telle programmation " est une loi d'intention, et tout sera dans l'exécution ",tempère Christian Cambon, le président (LR) de la commission des affaires étrangères du Sénat. Jusqu'en  2023, les dépenses couvriront tout juste les besoins existants. Ces efforts, " nos troupes n'en verront pas la couleur tout de suite, a reconnu François Lecointre, jeudi 12  juillet sur RTL. Il faudra deux années avant que nos soldats, dans la reconstruction de leurs infrastructures, dans l'arrivée de nouveaux équipements, puissent mesurer concrètement l'effort qui va être fait par la nation. "
Marges difficiles à trouverDe fait, l'essentiel de l'effort est une fois encore repoussé à l'issue du quinquennat : 1,7  milliard d'euros de plus par an jusqu'en  2022, puis 3  milliards à partir de 2023. " La programmation doit être traduite année par année dans les lois de finances, et les LPM ont toutes été sous-exécutées depuis 1985 ", rappelle le député (PS) François André dans un rapport sur l'exercice 2014-2019, qui avait été qualifié de " loi de survie " par les responsables de la défense. " L'armée a besoin de moyens et l'exécutif en a conscience. La trajectoire jusqu'en  2025 est fixée ", veut croire le député (LRM) Jean-Jacques Bridey, président de la commission de la défense de l'Assemblée nationale.
Du côté des opérations, le président a demandé au général Lecointre des marges de manœuvre, persuadé que " la France, dans un monde dont l'histoire n'est pas finie, doit se réengager à l'extérieur ", selon les mots d'un proche. Il pourrait avoir besoin demain d'envoyer l'armée sur un nouveau front. Mais les marges sont là aussi difficiles à trouver. En Irak et en Syrie, Paris veut rester engagé avec des partenaires. Les moyens militaires n'ont été que réduits à la marge depuis le repli de l'organisation Etat islamique. La France n'est pas complètement rassurée sur le maintien de la présence américaine. Car, à Washington, l'administration répète qu'il n'y aura pas de retrait si les conditions sécuritaires ne sont pas réunies tandis que Donald Trump dit le contraire.
Au Sahel, " Barkhane " n'a pas changé d'étiage, avec 4 500 hommes déployés sur cinq pays. Les militaires assurent que " le fait d'occuper durablement le terrain paie ". Pour l'entourage du président, " c'est un succès, car plusieurs dizaines de terroristes ont été neutralisés, même si on ne peut bien sûr pas dire que “Barkhane” a tout réussi ". Mais, au Mali, les conditions politiques d'une amélioration de la situation se dérobent. Pour le reste, dans les territoires d'outre-mer, les missions de l'OTAN ou l'opération " Sentinelle " de sécurité intérieure, les engagements restent nombreux.
De son côté, la ministre des armées, Florence Parly, a lancé des réformes techniques, attendues, dans le domaine de la maintenance des matériels ou de la gestion des programmes d'armement. Elles mettront du temps à produire leurs effets. Un " plan familles " comprenant de nombreuses mesures concrètes propres à améliorer la vie militaire a été engagé. Sur ce terrain des ressources humaines, il y a urgence. L'attractivité des armées donne des signes de faiblesse et trop de militaires quittent le service avant terme, déçus ou aspirés par les besoins de l'économie. L'institution recrute en moyenne 26 000 jeunes par an. En  2017, alors qu'elle a été autorisée pour la première fois depuis longtemps à augmenter ses effectifs, elle n'a pas réussi à remplir 6 000 de ses postes. Pour le chef des armées, cette bataille n'est pas spectaculaire, mais, si elle est perdue, tous ses plans seront contrariés.
Nathalie Guibert et Cédric Pietralunga
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire