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samedi 21 juillet 2018

Les Crises.fr - [RussEurope-en-Exil] Les virages à gauche par le nouveau gouvernement italien, par Jacques Sapir

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                        Les Crises

20.juillet.2018 // Les Crises



[RussEurope-en-Exil] Les virages à gauche par le nouveau gouvernement italien, par Jacques Sapir


On a beaucoup parlé de la question des migrants, et des déclarations fracassantes du nouveau Ministre de l’intérieur, M. Matteo Salvini. Mais, ces mesures ont en un sens caché le plus important. Sur trois domaines le nouveau gouvernement italien emmené par Giuseppe Conte, le Président du Conseil, entend prendre des dispositions qui pourraient avoir une influence considérable, tant en Italie que dans l’Union européenne. Ce gouvernement entend prendre des mesures qui, si elles se concrétisent, pourraient changer fortement la situation sociale mais aussi le rapport au libre-échange dans l’UE.
Giuseppe CONTE, Président du Conseil

Libre-échange et sanctions envers la Russie : vers un changement de pied

Conformément au programme gouvernemental signé entre le M5S et la Lega, le gouvernement italien a réitéré ses déclarations quant à son intention de bloquer l’AECG plus connu sous le nom de CETA, soit l’accord commercial entre l’UE et le Canada[1]. Il semble bien aujourd’hui que le gouvernement italien veuille aller plus loin que de simples déclarations et se prépare à exercer son droit de véto sur ce point.
Habituellement, les technocrates décident des traités internationaux à Bruxelles. On le sait, ces technocrates sont favorables pour des raisons de principes au libre-échange, raisons dont on a démontré la vacuité dans un ancien ouvrage[2]. La méthode manque largement de transparence et de démocratie, ce qui a été relevé par de nombreuses personnes. Cela avait d’ailleurs suscité la colère dans différends pays. Cette fois donc, les parlements nationaux auront leur mot à dire, et ce pour éviter les accusations de manque de légitimité d’une telle décision. Le Parlement européen a, bien entendu, déjà approuvé le traité. Mais cette approbation ne vaut pas ratification. Seuls des Parlements nationaux peuvent effectivement ratifier le traité. En effet avant sa mise en œuvre intégrale, « le texte de l’entente doit être ratifié par les parlements canadiens et ceux des vingt-huit États de l’Union européenne[3] ». L’application provisoire de l’accord, est intervenue le 21 septembre 2017. Une clause prévoit qu’en cas de rejet par l’un des parlements des États membres, l’accord s’applique provisoirement durant trois années laissant le temps à une renégociation. Mais, au-delà de ce délai, il sera annulé.
Si le parlement italien le rejette, comme on est en droit de le penser car il y a une large majorité contre l’adoption de ce traité[4], il mettrait de facto son veto au traité. Cela augure également mal pour le JEFTA, le traité entre l’UE et le Japon, qui a été signé le 16 juillet entre la Commission de Bruxelles et les émissaires japonais. En effet, si l’Italie rejette un traité international aussi important que le CETA, alors il est plus que probable qu’elle rejettera aussi le JEFTA. On le voit, le gouvernement italien ce gouvernement même qui fut si décrié, considéré horresco referens comme « populiste », autrement dit comme le Mal incarné, se prépare à faire échouer un traité qui était dénoncé par une large partie de la gauche européenne. Si le gouvernement italien va au bout de sa logique, c’est toute la construction libre-échangiste du commerce international qui en sera, et c’est heureux, affectée.
De plus, le Ministre de l’intérieur a annoncé que le gouvernement italien voterait vraisemblablement la fin des sanctions touchant la Russie en décembre de cette année[5]. On le voit, c’est tout l’édifice de l’Union européenne qui sera ébranlé par les décisions italiennes.
Mais ce n’est pas tout. C’est même très probablement un hors-d’œuvre.

L. Di Maio

Les rejet des « lois-travail » en Italie

Le ministre du Travail, qui est aussi le vice-Président du Conseil, M. Luca Di Maio, a proposé il y a quelques jours un «décret sur la dignité». Il a souligné que ce décret aiderait à stabiliser la vie et les conditions de travail de nombreux jeunes[6]. Ce décret vise à réduire les travaux «précaires» qui avaient été promus dans le fameux « Job Act » voté sous Matteo Renzi et dont Emmanuel Macron s’était inspiré en France pour sa réforme du code du travail. Pour l’heure, le décret a déjà été approuvé par le Conseil des ministres (le 2 juillet) et a été validé par le Président (le 12 juillet). Il a 60 jours pour être converti en loi par le Parlement c’est à dire tant l’Assemblée nationale que le Sénat.
Les associations d’industriels ainsi que de nombreux économistes ont bien entendu protesté. Elles ont souligné comment le décret réduit la flexibilité du marché du travail et permettrait un « retour au passé ». Pour ces organisations, comme pour ses économistes, ceci semble être un argument bien plus important que la vie des jeunes travailleurs que la loi Renzi condamnait à la précarité.
Ce décret, une fois traduit en loi, introduira des modifications substantielles dans environ 2 millions de contrats temporaires, en réduisant leur durée maximale de 36 à 24 mois. Il rendra par ailleurs plus difficile le recours aux contrats temporaires en introduisant l’exigence d’une «raison», autrement dit de justifier par l’employeur leur utilisation en lieu et place des contrats à durée indéterminée. Il y a deux raisons possibles: soit des besoins temporaires, non liés à l’activité ordinaire de l’entreprise (comme par exemple dans une activité saisonnière) et qui ne remplacent pas les contrats à durée indéterminée, soit des augmentations temporaires non prévues de la production dans le cadre de l’activité ordinaire de l’entreprise.
Ces mesures ont été contestées. Di Maio a accusé implicitement les services techniques du Ministère de l’Economie et des Finances de truquer ses chiffres pour justifier la réforme Renzi. De plus, le décret prévoit d’augmenter le coût des licenciements pour les entreprises et prévoit la fermeture des magasins le dimanche. Enfin, le décret prévoit le remboursement des subventions accordées par les entreprises étrangères qui investissent en Italie et qui délocalisent la production à l’étranger dans les cinq ans suivant le versement des subventions. A ces mesures concernant directement le « marché du travail » viennent s’ajouter la promesse de relèvement des minimas sociaux, en particulier en ce qui concerne les indemnités chômage. Ces mesures sont comparables à ce que propose l’opposition en France, et en particulier la France Insoumise.
On le constate, le gouvernement italien a prévu une véritable politique sociale. Il est frappant que cette dimension soit largement passée sous silence quand la presse française évoque ce gouvernement…

Une réforme des retraites

Mais, le gouvernement de M. Giuseppe Conte ne s’en est pas tenu là. Il a proposé une réforme des retraites qui pourrait avoir des conséquences importantes. Il s’agit, dans un premier temps, de recalculer ce que l’on appelle en Italie les «pensions d’or», c’est-à-dire les retraites supérieures à un certain seuil (probablement 5 000 €) et qui ne sont pas soutenues par un flux adéquat de cotisations (accumulées avec l’ancien système par répartition). La proposition se traduira probablement par un projet de loi, qui sera discuté par le Parlement après l’été. Un tel changement serait difficile à mettre en œuvre en raison de diverses condamnations judiciaires, qui considèrent les dispositions relatives aux retraites comme des «droits acquis» et ouvriraient ainsi une série de litiges. Ceci pourrait réduire les dépenses publiques en matière de pensions, bien que l’effet global ne soit pas significatif. Le gros problème est lié à la réforme Monti-Fornero introduite en 2011. Avec la réforme Monti-Fornero, l’âge de la retraite est devenu assez rigide au point que le gouvernement précédent de Matteo Renzi avait introduit un système complexe impliquant les banques qui auraient fourni une sorte de mise de fonds avant les versements de pensions réels. Ce système, comme nombre de « réformes » du gouvernement Renzi a été un échec. Le deuxième objectif est de rendre les dispositions de pension plus homogènes.
La réforme Monti-Fornero a fortement augmenté l’âge de la retraite et harmonisé les systèmes précédents, mais depuis lors, 15 «exceptions» ont été introduites pour les «emplois lourds». Le gouvernement de Giuseppe Conte a promis de faire reculer la réforme Monti-Fornero et il a alloué 5,0 milliards d’euros de provisions pour la refonte de cette loi. Il faut donc s’attendre à quelque chose de plus que les ajustements mentionnés. Il n’est pas clair si les 5,0 milliards d’euros serviront à faciliter la transition vers la retraite pour les personnes touchées par la réforme de 2011, ou si l’âge de la retraite sera réduit. Dans le premier cas, la somme provisionnée serait plus que suffisante. Mais, si l’on s’oriente en fait vers un abaissement de l’âge de la retraite, il faudra impérativement trouver de nouvelles sources de financement pour garantir la viabilité des finances publiques.
On le voit bien, le gouvernement Conte-Di Maio-Salvini s’est aussi attaqué là à un énorme chantier, dont les implications tant symboliques que financières pourraient être considérables. Ce qui est important c’est qu’il est en Europe, et en particulier au sein de l’Union européenne, le premier gouvernement à remettre en cause, ne serait-ce que partiellement, le discours néolibéral qui domine aujourd’hui et qui impose, pays après pays, l’allongement de l’âge de départ à la retraite et les réductions d’indemnités pour les plus pauvres et les plus démunis. Que l’on se souvienne de la polémique provoquée en France par la soi-disant « boulette » de la Ministre au sujet des pensions de reversions, et l’on mesurera l’ampleur de la rupture tentée par le nouveau gouvernement italien.


Le gouvernement italien mène donc une politique qui, du point de vue de ses effets, la classe directement à gauche. Traduite en lois et en mesures concrètes, elle devrait améliorer considérablement la situation d’une grande majorité des italiens. Mais, cette politique devra cependant trouver aussi des arguments pour la relance de l’activité industrielle et économique. L’Italie souffre depuis trop longtemps d’une situation déprimée. C’est sur ce point que le conflit avec l’Union européenne sera véritablement décisif.
[2] Sapir J., La démondialisation, Paris, le Seuil, 2011.
[3] Bélair-Cirino M., « Libre-échange – Le Canada et l’Union européenne concluent un accord », Le Devoir,‎ 18 octobre 2013
Kiwixar // 20.07.2018 à 10h56
“Une clause prévoit qu’en cas de rejet par l’un des parlements des États membres, l’accord s’applique provisoirement durant trois années laissant le temps à une renégociation”
…permettant de dégommer le gouvernement gênant (cf Berlusconi) ou de faire un bypass foireux anti-démocratique (exemple le Traité de Lisbonne après le référendum “non” de 2005). Cette UE contre les intérêts des peuples est vraiment à gerber. Y a vraiment que des petits bourgeois crétins pour encore trouver ça bien. Merci aux Italiens. Forza Italia!

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