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samedi 21 juillet 2018

Alerte au business de la fausse science





20 juillet 2018

Alerte au business de la fausse science

Tous les ans, de pseudo-revues savantes publient des milliers d'articles qui n'ont pas de valeur scientifique

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LE CONTEXTE
" Fake Science "
Une enquête internationale regroupant 23 médias
Lancé à l'initiative de laSüddeutsche Zeitung et de son magazine, ainsi que de laNorddeutscher Rundfunk, le projet " Fake Science " (" fausse science ") a rassemblé 23 médias internationaux dont Le Monde, The New Yorker, The Indian Express et Aftenposten, qui ont partagé ressources informatiques – une base de données de 175 000 articles et présentations de conférences douteux a notamment été rendue accessible – et informations pendant plusieurs mois avant de publier, à partir du 19 juillet, le résultat de leurs enquêtes.
Le savoir, lui non plus, n'échappe pas à la contrefaçon. La part prise par la " fausse science " dans la production scientifique mondiale augmente de manière considérable depuis une dizaine d'années et aucun signe de pause ne semble poindre à l'horizon. Au sein d'une collaboration baptisée " Fake Science " et formée de 23 médias internationaux, dont la Norddeutscher Rundfunk (NDR), la Süddeutsche ZeitungTheNew Yorker ou encore l'AftenpostenLe Monde a enquêté sur l'ampleur et l'impact de ce phénomène, qui n'épargne pas la France.
A quoi peut ressembler de la science contrefaite ? Depuis une décennie, des dizaines de maisons d'édition peu scrupuleuses comme Omics et Science Domain (Inde), Waset (Turquie) ou encore Scientific Research Publishing (Chine) ont créé des centaines de revues en accès libre au nom ronflant, ayant toutes les atours de vraies revues savantes. Mais contrairement à celles-ci, ces journaux ne disposent pas d'un comité éditorial, ils facturent des frais aux chercheurs – de l'ordre de quelques centaines d'euros par article – et publient les " travaux " sans contrôle et très rapidement. Ils ne soumettent pas les manuscrits des comptes rendus de recherche qu'ils reçoivent à la " revue par les pairs " (peer review, en anglais). Ce processus de contrôle qualité, préalable à toute publication savante, est l'une des étapes-clés de la construction de la science.
Le même mécanisme existe pour les conférences scientifiques : souvent sollicités par courriel, des chercheurs s'inscrivent, moyennant finance, pour présenter leurs travaux. Mais il n'y a bien souvent personne – ou pas grand monde – pour écouter ces simulacres de conférences.
Données fabriquéesDe la diffusion de fausses informations à la promotion de médicaments en passant par l'activisme climatosceptique ou antivaccin, voire simplement la volonté de chercheurs de " gonfler " artificiellement un CV : les motivations des chercheurs sont nombreuses. En  2014, des " travaux " publiés dans de telles fausses revues ont par exemple été présentés sous les ors de l'Académie des sciences française, pour mettre en doute la responsabilité humaine dans le changement climatique en cours…
Les journalistes de la Süddeutsche Zeitung et de la NDR ont mis la main au portefeuille : ils ont soumis pour publication au Journal of Integrative Oncology, édité par la société Omics, les résultats d'une étude clinique montrant que de l'extrait de propolis était plus efficace sur le cancer colorectal que les chimiothérapies conventionnelles. L'étude était fictive, les données fabriquées, et les auteurs, affiliés à un institut de recherche imaginaire, n'existaient pas non plus. La publication fut néanmoins acceptée en moins de dix jours et publiée le 24  avril. Le patron d'Omics ayant été ensuite contacté par les journalistes de la collaboration Fake science, l'article a été retiré – il reste néanmoins visible dans le cache de Google.
Le documentaliste américain Jeffrey Beall (Aurora Library, à Denver) a dressé le premier, entre 2012 et 2017, une liste de ces " journaux prédateurs ", ainsi que les spécialistes les nomment. Elle est aujourd'hui utilisée par de nombreux chercheurs en " scientométrie ". M.  Beall a recensé pas moins de 11 000 revues scientifiques douteuses. Cependant, cette liste est controversée : une zone grise existe entre journaux de médiocre réputation et publications frauduleuses.
D'autres estimations ont été proposées, aussi impressionnantes. Dans une étude publiée en  2015 dans la revue BMC Medicine, -Cenyu Shen et Bo-Christer Björk (Hanken School of Economics, à Helsinki) estiment, pour leur part, à environ 8 000 le nombre de journaux prédateurs actifs en  2014. La quantité d'articles scientifiques douteux aurait été, selon les deux chercheurs, multipliée par huit entre 2010 et 2014, passant de 50 000 à environ 400 000.
Accessibles librement sur le Web, ces articles sont aussi, parfois, indexés par les grandes bases de données de la littérature savante comme Web of Science, Scopus ou encore Google Scholar. Une situation plus que problématique, car ces bases de données sont utilisées par la communauté scientifique, les agences d'expertise, les administrations… Ivan Sterligov, directeur du Centre de scientométrie de la Higher School of Economics (HSE) de Moscou (Russie), a sondé la présence de " journaux potentiellement prédateurs " (JPP) dans la base Scopus. Selon ses résultats, présentés en conférence et en cours de publication, plus de 60 000 articles étaient concernés en  2015, soit 3  % environ du total d'articles indexés dans la base de données, gérée par le géant anglo-néerlandais de l'édition scientifique Elsevier.
" C'est un problème majeur et il ne montre pas de signes de ralentissement. Les conséquences les plus graves portent sur l'intégrité scientifique et sur le fait de baser des travaux de recherche sur des données fausses ou non vérifiées ", estime de son côté une porte-parole de Clarivate Analytics, la société qui gère la base de données Web of Science. Les grandes bases se sont lancées dans une chasse aux faux journaux : Web of Science a tout récemment expurgé son index de 112 revues.
Impact sur les finances publiquesPour Ivan Sterligov, même présents dans une base de données, les articles publiés dans des journaux potentiellement prédateurs sont moins cités que les autres. " Cela confirme que ce qui est recherché - par ceux qui publient dans des revues - est d'ajouter des lignes supplémentaires à leur liste de publications ", estime-t-il. Et, ainsi, d'embellir leur CV.
Les chiffres sont parfois vertigineux. Selon les travaux de M. Sterligov, le Kazakhstan a eu jusqu'à 50  % de sa production scientifique publiée dans des revues douteuses en  2013. En 2015, l'Indonésie était en première place avec 32 %. Deux ans plus tard, cette dernière demeurait à 30 % de sa production nationale dans des revues douteuses, tandis que le Kazakhstan refluait à 15 %. Les pays européens sont au-dessous de 1  %. La Chine ou l'Iran imposent depuis peu à leurs savants des règles limitant le recours à ces éditeurs. Au total, la médecine, l'ingénierie et la pharmacologie sont les domaines les plus représentés et en croissance.
Cette production de fausse science pèse à l'évidence sur les finances publiques des pays les plus touchés : ce sont généralement des laboratoires publics qui alimentent le chiffre d'affaires des éditeurs frauduleux. " D'une manière générale, il est probable que ce sont les fausses conférences qui coûtent le plus cher, puisque outre l'inscription, il y a de nombreux frais associés : déplacement, hébergement… ", estime Marin Dacos, conseiller " science ouverte " de la ministre de l'enseignement supérieur de la recherche et de l'innovation, -Frédérique Vidal.
Aux Etats-Unis, la Commission fédérale du commerce a lancé des poursuites au printemps contre l'éditeur Omics pour tromperie. Selon le mémorandum des avocats de la FTC, le chiffre d'affaires de la société a été supérieur à 50  millions de dollars entre 2011 et 2017. Interrogé par les membres de la collaboration Fake science, le patron d'Omics défend bec et ongles l'intégrité de son activité.
Stéphane Foucart, et David Larousserie
© Le Monde


20 juillet 2018

" Je me suis fait doublement piéger "

Les titres " prédateurs " prospèrent sur l'injonction faite aux chercheurs de publier beaucoup. La France dit vouloir assainir ce climat

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La France n'est pas épargnée par la contrefaçon scientifique. Les journalistes de la collaboration " Fake Science ", qui regroupe une vingtaine de titres internationaux dont Le Monde, ont interrogé les bases de données des sociétés publiant des revues douteuses ou organisant de fausses conférences scientifiques.
La recherche française apparaît parmi les dix plus gros contributeurs dans l'index de la société Waset, basée en Turquie, avec quelque 1 700 références sur 70 000 – articles et présentations à des colloques. Dans les index des éditeurs Omics et Scidom, la France figure parmi les vingt premiers contributeurs, avec respectivement 800 et 700 articles, sur des totaux respectifs de 58 400 et 74 000 articles.
Ces chiffres tranchent avec les estimations du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. " Nous avons un suivi très fin des frais de publication engagés par les chercheurs français, explique Marin Dacos, conseiller science ouverte de la ministre Frédérique Vidal. En  2015, environ 60 000 articles ont été publiés par les chercheurs des universités et des organismes de recherche publics français, dont 2 500 ayant donné lieu à des frais de publication, pour quelque 4  millions d'euros. Mais moins de 50 de ces articles ont été publiés dans des revues douteuses, pour une somme de 46 000  euros. C'est bien sûr regrettable, mais c'est une proportion très mineure. "
Cependant, les chiffres du ministère ne tiennent pas compte des cas où les chercheurs paient les frais de publication de leur poche. Dans d'autres situations, des chercheurs français peuvent aussi cosigner des articles douteux comme auteurs secondaires – c'est généralement le premier auteur qui règle les frais – au côté de scientifiques étrangers. Les coûts d'inscription à des fausses conférences sont, eux, plus difficiles à suivre.
La majorité des chercheurs français concernés contactés par Le Monde disent avoir été trompés. " Je me suis fait doublement piéger ", témoigne Bernard Gay, professeur émérite de l'université de Bordeaux, ex-directeur du département de médecine générale. En  2013, il est sollicité, par courriel, pour publier dans le Journal of General Practice (du groupe Omics). Il répond favorablement mais proteste, huit jours plus tard, quand on lui demande de régler des frais de publication.
" Listes blanches "La revue lui propose alors de les annuler s'il accepte de devenir membre du comité éditorial. " J'ai réalisé ma seconde erreur ! Je n'ai rien eu à faire dans ce comité, ni relecture ni avis à donner. Et je n'arrive pas à faire supprimer mon nom de cette instance ", constate le médecin, qui se sert maintenant de sa mésaventure pour sensibiliser ses collègues.
Dans les bases de données des éditeurs douteux, on recense une trentaine d'articles cosignés par un membre de l'université d'Aix-Marseille. C'est l'une des institutions française les plus présentes dans ce corpus. " Certains chercheurs se font avoir car il y a encore de l'inculture numérique dans cette profession, note Marie Masclet de Barbarin, vice-présidente de l'université. Nous avons vérifié qu'aucuns frais de publication versés par l'université n'allaient dans la poche de ces éditeurs prédateurs. Les frais de publication ont dû être payés par les autres institutions partenaires. "
Eric Filiol, directeur du laboratoire de virologie et de cryptologie opérationnelles à l'Esiea Ouest, une école d'ingénieurs du monde numérique, a un avis mitigé sur ces revues, dans lesquelles il a publié une poignée d'articles. Il juge certains journaux " malhonnêtes " car " ils utilisaient mon nom dans leur comité éditorial, sans mon autorisation, et j'ai dû être menaçant pour le faire enlever "." Mais il faut comprendre pourquoi ces journaux prédateurs existent, ce qui en soit est un scandale ", poursuit-il, évoquant la pression que subissent les chercheurs pour publier un grand nombre d'articles.
" Les conférences et journaux dits  sérieux sont quelquefois de véritables entreprises de copinage, et y publier devient impossible ou très difficile, ajoute-t-il. Le monde académique est devenu fou, et ce ne sont plus le contenu et la qualité scientifique qui prévalent mais des tas d'autres choses qui n'ont rien à voir avec la science. Du coup, certains se tournent vers ces journaux, ce qui reste une erreur. "
" Nous faisons beaucoup de pédagogie auprès des chercheurs, assure de son côté M. Dacos, en nous appuyant sur des “listes blanches” de revues à privilégierL'existence de revues prédatrices est favorisée par les méthodes actuelles d'évaluation de la recherche, qui sont très quantitatives. La ministre a annoncé une réforme de l'évaluation de la recherche, plus qualitative, qui aura notamment pour effet de rendre ces revues moins attractives. "
S. Fo. et D. L.
© Le Monde


20 juillet 2018

Les parodies de conférences scientifiques, une affaire juteuse

Pour attirer les inscriptions à des rencontres factices ou de piètre qualité, des sociétés se prévalent de chercheurs à l'insu de ces derniers

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Les 17 et 18  mai, Paris devait être la capitale mondiale des sciences. Pas moins de cinquante conférences dans les domaines de l'aérospatiale, la mécanique, l'énergie, l'environnement, le génie civil, l'économie, l'informatique, les sciences sociales ou encore la chimie, étaient prévues au même endroit. Le jour dit, dans un hôtel près de la gare Montparnasse, la baudruche se dégonfle : une salle de quelque 60  m2, louée 500  euros pour une demi-journée seulement, et pas plus d'une trentaine de personnes présentes. Visiblement, autant ont annulé leur participation, comme en témoignent les badges restants, posés sur une table de bureau.
Cette parodie de conférence scientifique internationale était organisée par l'entreprise World Academy of Science, Engineering and Technology (Waset). La société multiplie ce genre d'événements, amortis avec deux ou trois participants, qui paient des frais d'inscription de quelques centaines d'euros. " Je ne le ferai pas une seconde fois ! L'organisation était nulle, et ce n'était pas une conférence scientifique, s'emporte Atilla Atli, enseignant-chercheur à l'Ecole catholique des arts et métiers de Lyon (ECAM-Lyon), une école d'ingénieurs. J'ai parlé cinq minutes devant des gens qui ne connaissaient pas mon sujet. " Son exposé avait été vite accepté, " sans aucune question technique ", note-t-il.
Interrogée sur l'intérêt de sa présence, une autre participante française, thésarde, préfère ne pas répondre. Elle est, précise sa directrice de thèse, " affectée d'avoir utilisé sa bourse personnelle sur une conférence qui ne valait peut-être pas l'investissement qu'elle y a mis, et elle ne souhaite plus échanger là-dessus ". Tout le monde n'est pas déçu. Une jeune Kosovare, étudiante en management, salue sa sœur et sa cousine venues la voir à Paris. Impossible de poser trop de questions aux rares participants ; l'organisateur, sourcilleux, nous ramène poliment à l'accueil de l'hôtel.
" Il faut alerter "Un mois plus tard, à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis) – et non à Paris comme le claironnent les plaquettes de présentation –, un concurrent de Waset fait un peu mieux recette. La société Conference Series, filiale de l'entreprise indienne Omics Publishing Group, a réservé toute la semaine des salles dans un hôtel pour alterner conférences en oncologie, néphrologie, génie civil, chimie ou encore sciences du climat. Le 20  juin, néanmoins, petite surprise : les conférences de néphrologie et d'oncologie hématologique partagent la même salle et le même programme…
" Quand j'ai vu que mon nom apparaissait dans les organisateurs, sans l'avoir sollicité, je suis tombée de ma chaise et j'ai annulé ma venue, déclare la neurœndocrinologue Marie-Pierre Junier, directrice de recherche (Institut national de la santé et de la recherche médicale). Je vais demander le remboursement et alerter mes collègues sur ces mauvaises pratiques. "
Sur place, à peine plus de monde qu'à Paris. Une pathologiste, venue des Etats-Unis, assume d'être venue pour retrouver de la famille à Paris. Un collègue suisse, qui reconnaît qu'il n'y a guère de personnes intéressantes à cette conférence, s'est inscrit pour profiter de la Ville-lumière. " J'avais choisi Toronto l'an dernier pour la même raison ", dit-il sans fard.
Autre étrangeté : ce jour-là, trois entreprises différentes partagent la même personne à l'accueil, qui navigue entre les badges de couleurs différentes. Omics, donc, mais aussi la singapourienne Meetings International et la britannique EuroSciCon. Les deux premières appartiennent au groupe Pulsus, tandis qu'EuroSciCon explique sur son site Internet être en contrat avec Meetings international pour certaines organisations.
" Il faut alerter sur ces pratiques. Trop de chercheurs les ignorent. Les organisateurs ne font pas cela pour la science, mais pour l'argent ", selon Thibaut Sylvestre, directeur de recherche (CNRS) à l'Institut Femto-ST de Besançon (Doubs). Comme d'autres scientifiques, il a eu la désagréable surprise de découvrir son nom dans la liste des membres du comité d'organisation d'une conférence Omics sur l'optique et les lasers. Sans à aucun moment avoir été sollicité ni même prévenu. Malgré ses relances pour faire supprimer son nom, celui-ci est resté.
Cette tactique d'enrôlement de chercheurs à leur insu, dans les comités scientifiques de ces fausses conférences, est payante : ces appâts fonctionnent. " C'est parce que j'ai vu dans le comité d'organisation un chercheur que je connaissais que je me suis inscrite,témoigne Caroline Kulcsar, professeure à l'université Paris-Sud. Les organisateurs me proposaient d'être oratrice dans une conférence plénière, ce qui est une marque de reconnaissance. " Elle a finalement décidé de ne pas y participer et va alerter ses collègues de l'existence de telles pratiques. Elle a également demandé le remboursement de l'inscription, en vain.
LouangesLes chercheurs qui s'inscrivent à ces conférences factices ne sont pas tous des victimes  de ces agissements. Certains y voient un moyen de voyager aux frais de leur institution, de retrouver des proches à l'étranger, de faire du tourisme… Sans toujours réaliser que, d'une certaine manière, ils participent à un détournement de fonds publics – leurs frais étant généralement pris en charge par leur institution de rattachement (université, institut de recherche, etc.).
La naïveté de certains est également surprenante, qui se laissent séduire par des courriels promotionnels flatteurs, pleins de louanges pour leur production scientifique, leur promettant tarifs préférentiels pour la participation à telle ou telle conférence ou la publication d'un nouvel article.
Il n'est pourtant pas compliqué de flairer la supercherie : contrairement aux conférences scientifiques, les réunions douteuses organisées par quelques entreprises peu scrupuleuses ne sont pas soutenues par des sociétés savantes, des universités ou encore des entreprises ayant pignon sur rue. Elles ont rarement un comité local d'organisation et seulement un comité global – parfois factice. Un coup d'œil aux programmes précédents montre aussi qu'on n'y voit aucune " célébrité " scientifique.
Parfois, un simple coup d'œil sur le site de Waset suffit pour se faire une idée : les conférences organisées par la société – que Le Monde n'est pas parvenu à contacter – sont prévues jusqu'au début des années 2030. La dernière inscrite au programme se déroulera les 28 et 29  décembre 2031, à Paris. Les chercheurs qui souhaitent y présenter leurs travaux doivent soumettre le résumé de ceux-ci avant le 28  novembre 2031…
David Larousserie
© Le Monde

20 juillet 2018

La gangrène de la fausse science

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C'est un mal discret qui ronge silencieusement la science, et qui s'étend avec une inquiétante célérité. Depuis un peu moins d'une décennie, des sociétés peu scrupuleuses créent à foison de fausses revues scientifiques qui acceptent de publier, moyennant finances, des travaux parfois fragiles, voire carrément frauduleux ou fantaisistes. Aux côtés d'une vingtaine de médias écrits et audiovisuels internationaux, qui se sont coordonnés pour publier simultanément le résultat de leurs travaux, Le Monde a enquêté sur cette science contrefaite.
Celle-ci est en pleine expansion : environ 10 000 revues dites " prédatrices " contribuent à construire une science " parallèle ", susceptible de tromper les administrations publiques, les entreprises, et même parfois les institutions scientifiques elles-mêmes. Ces revues douteuses relaient parfois, en leur donnant le lustre de la scientificité, des " travaux " climatosceptiques, antivaccins, ou encore de fausses études cliniques vantant les mérites de faux médicaments. Selon des estimations récentes, cette production représente jusqu'à 2  % à 3  % de l'index de certaines grandes bases de données de la littérature savante. C'est six fois plus qu'il y a cinq ans.
Deux grands phénomènes ont nourri cette envolée. D'une part, la lutte contre le monopole des grands éditeurs scientifiques (Elsevier, Springer, etc.) et pour un accès libre aux résultats de la recherche. Porté par la communauté scientifique depuis presque deux décennies, ce combat légitime est passé par la création de nouvelles revues scientifiques, souvent de qualité, qui reposent sur le principe du " publieur-payeur " : c'est l'institution des chercheurs, qui soumettent leur travail pour être publiés, qui paie à la revue des frais de publication. En -contrepartie, celle-ci s'engage à ne pas faire payer l'accès aux travaux publiés.
Ce modèle prend tout son sens lorsqu'on sait que les revues scientifiques " classiques " commercialisent à des tarifs prohibitifs les articles qu'elles publient, prospérant ainsi sur le commerce de connaissances souvent produites grâce à la recherche publique, et ralentissant ainsi la libre circulation du savoir. Les éditeurs " prédateurs " ont détourné ce principe du publieur-payeur  en faisant paraître complaisamment des articles qui ne sont pas préalablement expertisés (au terme de la sacro-sainte " revue par les pairs ", ou peer review) tout en touchant toujours de juteux " frais de publication ".
D'autre part, les revues prédatrices prospèrent aussi grâce aux nouvelles formes d'évaluation de l'activité scientifique. Le travail des chercheurs est, de plus en plus, jugé en fonction de critères quantitatifs, et non qualitatifs. Il faut publier, toujours plus, toujours plus vite, et donc de plus en plus mal. Cette tendance est un pousse-au-crime – en particulier dans certains pays du Sud, où des primes à la publication ont parfois été instaurées pour le personnel académique. Soumettre son travail à une revue prédatrice garantit presque toujours une publication très rapide.
Face à ce fléau, les communautés scientifiques et les gouvernements s'organisent. En France, qui n'est pas le pays le plus touché, le ministère de la recherche prend la question au sérieux et promeut des " listes blanches " de revues à privilégier. Il faut maintenant infléchir les politiques d'évaluation de la recherche vers moins de quantitatif et plus de qualitatif. Seule une prise conscience mondiale pourra rendre son intégrité à la science.
© Le Monde

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