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samedi 14 juillet 2018

A Deraa, l'étincelle de la révolution syrienne s'est éteinte


14 juillet 2018

A Deraa, l'étincelle de la révolution syrienne s'est éteinte

Un convoi d'officiers de l'armée régulière a investi, jeudi, les secteurs rebelles de cette ville emblématique, qui fut le théâtre en 2011 des prémices du soulèvement anti-Assad

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L'étendard du régime syrien flotte sur les quartiers sud de Deraa pour la première fois depuis sept ans. Jeudi 12  juillet, un convoi d'officiers de l'armée régulière et de membres de la police militaire russe a investi les secteurs rebelles de cette ville emblématique, à la pointe sud de la Syrie, qui fut le théâtre en  2011 des prémices du soulèvement anti-Assad. Ce déploiement s'est fait sans combat, conformément à l'accord de cessez-le-feu, conclu le 6  juillet, entre l'armée russe et les chefs des groupes armés.
Cet arrangement, qualifié de " réconciliation " par Damas mais que les insurgés vivent comme une capitulation, était intervenu après deux semaines de bombardements, qui ont causé la mort d'environ 150 civils. Après avoir repris le contrôle, durant l'hiver et le printemps, de la totalité de la banlieue de Damas ainsi que de l'autoroute entre Homs et Hama, le pouvoir syrien était déterminé à rasseoir son autorité sur cette région stratégique, adjacente à la Jordanie et au plateau du Golan, partiellement occupé par Israël.
L'accord, dicté aux rebelles sous la menace d'une reprise des bombardements, prévoit leur désarmement et leur amnistie, ainsi que le retour des institutions étatiques. Une partie des insurgés pourrait se reconvertir en force de police locale ou bien intégrer une unité de l'armée consacrée à la lutte contre l'organisation Etat islamique (EI). Ceux qui refusent d'abandonner le combat anti-Assad ou qui ne croient pas aux promesses de " réconciliation " de Damas devraient être transférés dans la province d'Idlib, l'ultime possession rebelle, au nord-ouest du pays, qui promet d'être la prochaine cible de l'aviation russe.
C'est l'épilogue de sept années de lutte, le dernier souffle d'une insurrection à bout de forces, victime de la brutalité du régime Assad, des inconséquences de la communauté internationale et de ses propres erreurs.
" Oubliez vos enfants "A Deraa, tout a commencé par un graffiti. " Jay alek el dor ya doctor " (" Ton tour arrive, docteur "). Il est tracé par une bande de jeunes, un soir de la fin février  2011 sur le mur d'une école de la ville. Dans un Proche-Orient en pleine ébullition, après le renversement des despotes tunisien et égyptien, Zine Al-Abidine Ben Ali et Hosni Moubarak, le pied de nez au dictateur syrien, ophtalmologue de formation, est explicite.
Les effrontés sont raflés dans les jours qui suivent par les services de renseignement et aussitôt torturés. " Ils nous fouettaient les pieds avec des câbles électriques, a raconté au Monde l'un des membres de l'équipée nocturne, rencontré en  2013, dans le nord de la Jordanie, où il s'était réfugié. Ils voulaient à tout prix nous faire dire que nous avions été manipulés par un agent étranger. "
La détention des adolescents se prolongeant, une délégation de parents se rend chez le chef de la branche locale de la sécurité politique, Atef Najib. Ce cousin de Bachar Al-Assad, connu pour ses manières brutales et son train de vie tapageur, aurait alors eu ces mots : " Oubliez vos enfants et allez retrouver vos femmes. Elles vous en donneront d'autres. Et puis si vous n'êtes pas capables de leur faire des enfants, amenez-nous vos femmes. On le fera pour vous. "
Véridiques ou non, ces propos se répandent comme une traînée de poudre. -L'offense faite aux pères de famille scandalise cette ville de 100 000 habitants, pétrie de conservatisme tribal. Des dizaines -d'habitants outragés organisent une -marche de protestation, le vendredi 18  mars, à la sortie de la prière. Ils sont repoussés par des -canons à eau et des tirs à balles réelles, qui font deux morts, les deux premiers -martyrs du soulèvement syrien. Leurs -funérailles, le lendemain, drainent des -centaines de personnes dans la rue, aux cris de " Celui qui tue son peuple est un -traître ". Nouveaux coups de feu et nouveaux morts.
Les condoléances offertes par le vice-ministre des affaires étrangères, Fayçal -Meqdad, un natif de Deraa, dépêché sur place par le pouvoir, n'apaisent pas la fièvre, pas plus que la libération de quelques-uns des malheureux tagueurs.
A la vue de leurs ongles arrachés, la colère de la population redouble. Le palais de justice et le siège du parti Baas, la formation au pouvoir depuis cinquante ans en Syrie, sont incendiés. Les autorités locales ripostent en attaquant le 21  mars la mosquée Al-Omari, dans la vieille ville de Deraa, devenue le quartier général des protestataires.
" C'était comme une guerre, se rappelle Manal Abasie, une comptable de 46 ans, qui habitait à proximité et qui est aujourd'hui exilée à Amman. L'électricité a sauté, il y avait des coups de feu partout. Je n'oublierai jamais la voix des gens qui formaient une chaîne humaine autour de la mosquée et suppliaient les soldats de ne pas les tuer. “S'il vous plaît, ne tirez pas, nous sommes vos -frères…” " Peine perdue. Les kalachnikovs crépitent. Des dizaines de manifestants sont abattus dans et autour du lieu de culte.
Le 30  mars, dans son premier discours depuis le début de la contestation, Bachar Al-Assad compare les indignés de Deraa à des " conspirateurs " à la solde d'Israël. " Ce discours a exaspéré encore un peu plus les gens qui s'attendaient à des excuses ", témoigne -Jihad Al-Mahameed, l'un des initiateurs de la marche fondatrice du 18  mars, qui travaillait à l'époque comme directeur d'une banque, et qui est, lui aussi, installé à Amman.
Armes de la guerre yougoslaveA la fin du mois, une colonne de chars pénètre dans Deraa, dont les sorties sont toutes bouclées. Le président a confié à son frère Maher, chef de la 4e division blindée, la garde prétorienne du régime, la responsabilité de mater la ville rebelle. Des snipers prennent position sur les toits et jusque dans les minarets des mosquées. Les militaires pourchassent porte à porte les frondeurs et les quelques déserteurs qui les ont rejoints. Au bout de dix jours, l'armée se retire, pensant avoir purgé la ville de ses " groupes terroristes ". Mais en solidarité avec Deraa, des manifestations ont éclaté un peu partout dans le pays. Une révolution est née.
" Je n'en croyais pas mes yeux, se remémore Mounir Al-Hariri, un ex-général des services de renseignement, qui était alors en poste dans la ville voisine de Souweïda.Pour nous, les gens de la vieille génération, qui connaissent les liens historiques de -Deraa avec le Baas, il était inconcevable que cette ville se soulève ", ajoute ce haut gradé, réfugié à Amman, qui est l'un des rares responsables des moukhabarat (les renseignements) à avoir fait défection.
Du fait de sa localisation sur le plateau volcanique du Hauran, en lisière de la Jordanie et d'Israël, la cité a toujours été sensible aux sirènes du nationalisme arabe, dont le parti au pouvoir a fait son fonds de commerce. Signe de son loyalisme, la ville a fourni au régime certains de ses plus hauts dignitaires, comme Fayçal Meqdad et le vice-président Farouk Al-Chareh.
" Si Atef Najib n'avait réagi comme il l'a fait, il n'y aurait peut-être pas eu de révolution, estime Mounir Al-Hariri. Si Bachar était allé sur place, avait dédommagé les familles et puni son cousin, comme des notables le lui avaient demandé lors d'une audience à Damas, tout Deraa serait descendue dans la rue pour l'acclamer. " Tayssir Massalma, un militant des droits de l'homme, originaire de la ville, nuançait en  2013 : " Les enfants de Deraa ne sont pas la raison de la révolution, ils en sont l'étincelle. La révolte aurait de toute façon fini par éclater, à cause des pratiques du régime ".
Durant la seconde moitié de l'année 2011, les dissidents s'organisent. Ils se barricadent dans les ruelles de la vieille ville, nommée Deraa Al-Balad. Leurs rassemblements sont protégés par les conscrits qui ont jeté leur uniforme et par de jeunes locaux qui prennent les armes. Ils se revendiquent de l'Armée syrienne libre (ASL), une organisation créée au mois de juillet, par un colonel exilé en Turquie, qui ambitionne de devenir le bras militaire de la révolution. A l'automne, ces combattants en baskets et jeans moulants mènent leurs premières attaques.
En réaction, la répression s'intensifie. Des milliers d'habitants de Deraa et des villages agricoles environnants, qui se sont soulevés dans son sillage, passent dans les chambres de torture des moukhabarat. Des abattoirs, où l'on pratique bastonnades, électrocutions et viols à la chaîne. Les meneurs politiques du mouvement sont particulièrement ciblés. L'architecte Maan Al-Awdat, connu comme le " Guevara du Hauran ", est assassiné par un franc-tireur le 8  août 2011.
" Bachar et sa clique veulent nous empêcher de réfléchir, nous enfermer dans le cycle de la vengeance et déclencher une guerre civile, prédit en mars  2012 Najati Tayara, un professeur de philosophie, alors installé à Amman. Et malheureusement, ils sont en train de réussir. " Les révoltés de Deraa, qui s'étaient indignés que le régime ait introduit des fusils et des liasses de billets dans la mosquée Al-Omari, en mars  2011, pour accréditer l'idée d'un complot de l'étranger, supplient désormais la communauté internationale de leur envoyer des armes.
Les premières arrivent fin 2012. Des avions croates, les soutes pleines de matériel hérité de la guerre civile yougoslave (missiles antichars, lance-grenades, canons sans recul, etc.) se sont posés à Amman et leurs cargaisons ont discrètement franchi la frontière. Ces livraisons sont payées par l'Arabie saoudite, décidée à faire tomber Bachar Al-Assad pour affaiblir l'Iran, allié de Damas et adversaire numéro un de Riyad au Proche-Orient. La Jordanie, protégée du royaume saoudien, structure cette filière d'armement clandestine.
Ses cadres sécuritaires, qui proviennent en grande partie des tribus du nord, liées par le sang aux populations du sud de la Syrie, ont pris langue avec les rebelles de Deraa. L'opération est conduite avec l'assentiment des Etats-Unis qui ont posé une condition : pas de missiles sol-air. Washington redoute qu'en plus de détruire des appareils civils syriens, ses tout nouveaux alliés ne ciblent aussi des avions israéliens.
Rivalité acrimonieuse entre rebellesLa prudence est d'autant plus de mise que le nord de la Syrie, où le Qatar et l'Arabie saoudite ont envoyé des armes dès le printemps 2012, avec la bénédiction de la Turquie, s'est transformé en Far West islamiste. Les groupes radicaux, qui tiennent le haut du pavé, tiraillent à tout-va pour passer sur Al-Jazira, la chaîne de télévision qatarie, sans se soucier des civils, qui paient le prix des représailles. L'une de ces factions, nommée Front Al-Nosra, composée en partie d'Irakiens, va bientôt officialiser son allégeance à Al-Qaida.
Dans le sud, quelques salafistes jordaniens, en mal de djihad, ont rejoint Deraa. Mais les services de sécurité du royaume, beaucoup plus professionnels que leurs homologues turcs, veillent au grain. Les destinataires des armes croates sont des groupes labellisés " ASL ", sans idéologie marquée, que les opposants politiques qualifient de " modérés ". Leur commandant est le colonel Ahmed Naameh, un ex-officier de l'armée régulière, connu pour sa méfiance à l'égard des islamistes.
L'objectif de ces rebelles est de faire de -Deraa la tête de pont d'une offensive contre Damas, située une centaine de kilomètres plus au nord. Des combattants formés en Jordanie, sous supervision américaine, sont envoyés par vagues successives dans la Ghouta, la banlieue de la capitale syrienne, aux mains de l'opposition. Bien que le sud du pays soit beaucoup plus militarisé et fortifié que le nord, du fait de sa proximité avec Israël, les anti-Assad, dopés par leur ravitaillement en armes, enregistrent quelques victoires. Malgré les bombardements du régime, notamment l'emploi de barils explosifs, une arme dévastatrice, ils consolident leur emprise sur les quartiers sud de Deraa, désormais coupée en deux. Et ils avancent dans la campagne environnante.
Leur plan subit un coup d'arrêt en avril  2013, lorsque les forces gouvernementales reprennent le contrôle d'Otaiba, à l'extrémité orientale de la Ghouta. Cette localité, reliée à la province de Deraa par une route en plein désert, permettait aux insurgés du sud syrien d'infiltrer la banlieue de Damas. Un mois plus tard, les rebelles -perdent la ville de Khirbet Ghazaleh, maillon-clé sur l'autoroute menant de -Deraa à la capitale, qu'ils étaient pourtant sur le point de conquérir.
A l'origine de ce fiasco, la rivalité acrimonieuse entre deux chefs de guerre rebelles, le colonel Naameh d'une part, et Bachar Zoabi de l'autre, commandant de la Brigade Yarmouk, l'un des plus puissants groupes armés du sud. Exaspéré que le premier, basé à Amman, ait accouru sur le terrain pour se filmer en train de proclamer victoire et que, dans le même temps, le ravitaillement en munitions qu'il avait demandé ne lui soit pas parvenu, le second avait ordonné à ses hommes de se retirer de la ville, précipitant sa reprise par les loyalistes.
L'épisode, emblématique des dissensions qui minent la rébellion, pèsera de longs mois sur le moral des insurgés. Un an plus tard, en mai  2014, Ahmed Naameh est kidnappé par des membres du Front Al-Nosra. Dans une vidéo enregistrée par ses ravisseurs, son dernier signe de vie, le colonel affirme avoir orchestré la débâcle de Khirbet Ghazaleh à la demande de ses contacts arabes et occidentaux, inquiets du rôle joué par le groupe djihadiste dans l'offensive.
Bien qu'obtenue sous la pression et donc sujette à caution, cette " confession " -souligne un phénomène exact : l'influence -croissante des capitales anti-Assad sur la -rébellion de Deraa. Depuis fin 2013, les -chargements d'armes qui lui parviennent sont gérés par une discrète cellule, installée à Amman, le Military Operations Center (MOC).
Des experts d'une dizaine de pays arabes et européens – dont l'Arabie saoudite, la -Jordanie, le Qatar, les Emirats arabes unis, la France et le Royaume-Uni – participent à cette salle d'opérations, sous la baguette de l'Agence centrale de renseignement (CIA) américaine. En plus de fournir des armes, des formations et des salaires aux groupes jugés fiables, cette structure finance un site Internet qui relaie leur propagande. Le MOC n'a pas de droit de veto sur les plans d'attaque des rebelles. Mais selon qu'il les valide ou non, l'aide offerte est plus ou moins -importante.
Ce système produit rapidement des résultats. En février  2014, après l'échec des négociations de paix de Genève, 49 groupes estampillés " ASL ", représentant près de 30 000 combattants, se regroupent sous la bannière du Front du Sud. Cette coalition se dote d'un credo " MOC-compatible ", mettant l'accent sur le pluralisme et la bonne gouvernance.
Même s'il intègre des factions d'inspiration islamiste, ce rassemblement concrétise la domination, dans la région de Deraa, des unités révolutionnaires, dotées d'un prisme national. Par opposition aux formations -djihadistes, à l'optique transnationale, comme le Front Al-Nosra et l'EI, qui pullulent respectivement dans le nord et l'est de la Syrie. L'ancrage des rebelles du sud dans le tissu social local – conséquence du relatif enclavement de la région de Deraa et du fait que la Jordanie verrouille beaucoup mieux sa frontière que la Turquie, par où s'infiltrent des milliers d'extrémistes non syriens – -contribue aussi à leur force.
En octobre  2014, les anti-Assad s'emparent de la colline de Tel-Hara, l'un des points les plus élevés de la région sud, site d'implantation d'une base d'interception électronique syro-russe. En décembre, ils investissent la localité de Cheikh Miskin, menaçant ainsi de couper la voie de ravitaillement des quartiers nord de Deraa, restés sous -contrôle gouvernemental. Cette percée incite un baron des moukhabarat, Rustum Ghazaleh, à mettre le feu à sa villa, située dans un village voisin, de peur qu'elle ne tombe entre les mains de ses ennemis – Ghazaleh mourra quelques mois plus tard, en avril  2015, des suites d'une altercation avec un autre patron des services de -sécurité -syriens.
En février  2015, les rebelles repoussent une violente offensive des prorégime, emmenée par le Hezbollah, le mouvement chiite libanais, allié d'Assad et financé par Téhéran. Le fait que des forces pro-iraniennes se rapprochent de sa frontière inquiète Israël, dont la République islamique est la bête noire. En plus de conduire des frappes ciblées contre ces éléments, l'Etat hébreu s'est mis à fournir de l'aide humanitaire aux Syriens du Golan, soignés par milliers dans les hôpitaux de Galilée. Ce soutien inclura à partir de 2017 quelques livraisons d'armes à des groupes rebelles, censés faire la police le long de la zone de démarcation traversant le plateau.
Le Front du Sud poursuit sa poussée au printemps 2015. Il s'impose à Bosra Al-Cham, une localité de l'est de Deraa. Puis, il déloge les loyalistes du terminal de Nassib, à la frontière avec la Jordanie, carrefour commercial-clé, par où transitent les marchandises à destination du Golfe et de l'Europe. Mi-2015, le Front du Sud a étendu son emprise sur les deux tiers du Hauran et la moitié sud du plateau du Golan. Cette progression coïncide avec une avancée des rebelles du nord qui, sous le commandement du Front Al-Nosra, se sont emparés des villes d'Idlib et de Jisr Al-Choghour. Et avec la conquête de la cité antique de Palmyre par l'EI. Pour la première fois depuis 2011, le régime vacille sur ses bases.
Les combattants de Deraa n'iront cependant pas plus loin. La bataille qu'ils lancent en juillet  2015, à grand renfort de propagande, pour " libérer " les secteurs de la ville qui leur échappent, capote au bout de quelques jours. " Le MOC a refusé de nous soutenir sur cette attaque, de même qu'il a toujours refusé de nous fournir des missiles -sol-air, qui nous auraient permis de protéger nos territoires contre les bombardements -incessants du régime ", déplore Ibrahim Al-Jabawi, l'ex-directeur de l'organe de -communication du Front du Sud. " Le MOC nous a donné suffisamment d'armes pour harceler les troupes syriennes, mais jamais assez pour marcher sur Damas, renchérit -Essam Al-Rayyes, un ancien porte-parole de la -rébellion. Ce que Bachar Al-Assad a reçu de l'Iran et de la Russie a toujours été plus -important. "
Même si l'administration Obama a appelé à la chute de Bachar Al-Assad, ses deux priorités au Proche-Orient sont en fait la destruction de l'EI et la conclusion de l'accord sur le nucléaire iranien. Patronner une offensive contre Deraa en pleine phase finale des négociations, avec pour risque évident de braquer Téhéran, le protecteur du régime syrien, n'est guère dans l'intérêt de Washington. Dans l'esprit de ses soutiens occidentaux, le Front du Sud a vocation à pousser Bachar Al-Assad à négocier, pas à le faire tomber. " Notre destin n'est plus entre nos mains, le conflit est devenu un grand jeu entre Washington, Moscou et Téhéran ", maugrée à l'époque le conseiller politique d'un groupe rebelle.
La prudence est d'autant plus de mise dans les capitales occidentales que la prise de -Nassib a viré au fiasco. Les rebelles ont non seulement associé le Front Al-Nosra à leur opération, en violation des consignes du MOC, mais ont été aussi incapables d'empêcher les pillages dans la zone franche adjacente au terminal. Le saccage des usines et des entrepôts par les villageois des environs et le kidnapping de plusieurs chauffeurs routiers exaspèrent les Jordaniens qui ferment aussitôt leur frontière. L'épisode relance les doutes, lancinants outre-Atlantique, sur la capacité des rebelles à s'administrer et à faire barrage aux djihadistes.
L'incohérence de Donald TrumpArrive septembre  2015, le démarrage de l'intervention militaire russe en Syrie. Le tapis de bombes qui s'écrase sur les zones rebelles du nord résout le dilemme des parrains du Front du Sud. Plutôt que de surenchérir, les Etats-Unis et le royaume hachémite concluent une trêve informelle avec Moscou. En échange d'un gel des combats, le Hauran et le Golan échappent aux raids des Mig russes, qui se concentrent sur Alep. Le MOC ordonne alors à ses obligés de rediriger leur arsenal contre les groupes extrémistes du sud, comme l'Armée de Khalid Ibn Walid, qui a fait allégeance à l'EI. L'impératif antiterroriste finit de l'emporter sur les velléités de changement de régime.
En juillet  2017, l'entente jordano-américano-russe est formalisée dans un accord de " désescalade ", signé par Donald Trump, le nouveau locataire de la Maison Blanche, et son homologue du Kremlin, Vladimir -Poutine. Le cessez-le-feu s'enracine. Les rebelles se mettent à espérer que leur sort pourrait être différent de celui de leurs camarades d'Alep, poussés à la capitulation sous le blitz russe. Mais Donald Trump, qui n'est pas à une incohérence près, annonce dans le même temps la fermeture du MOC. L'aide militaire et financière s'arrête en -décembre.
Quand en mars  2018, la Ghouta ploie à son tour sous les coups de massue de Damas et Moscou, la CIA recontacte ses clients de -Deraa. Elle leur déconseille de reprendre les armes pour soulager la banlieue damascène, affirmant que dans un tel cas, Washington ne pourrait pas s'opposer à des frappes russes. Les rebelles obtempèrent, persuadés que les Etats-Unis s'efforcent de préserver la zone de " désescalade ". Le -département d'Etat agite même la menace de " réponses fermes et appropriées " en cas d'attaque du Kremlin et de son allié. Mais mi-juin, quand les unités d'élite de l'armée syrienne se massent à l'entrée du Hauran, les insurgés reçoivent un message complètement différent de l'ambassade américaine d'Amman. " Vous ne devez pas fonder vos décisions sur l'hypothèse ou sur l'attente d'une intervention militaire américaine. "
C'est le feu vert à l'opération de reconquête du sud. Ecœurés, démobilisés après deux années de quasi-calme, parfois -achetés et " retournés " par le régime, les groupes armés hissent le drapeau blanc les uns après les autres, le plus souvent sans combattre. Les forces gouvernementales se redéploient dans la région de Deraa. Le -berceau de la révolution est devenu son -cimetière.
Benjamin Barthe
© Le Monde

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