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lundi 18 juin 2018

Pour les députés LRM, la fin de l'innocence.....


17 juin 2018

Pour les députés LRM, la fin de l'innocence

Un an après leur entrée à l'Assemblée, les élus macronistes novices ont appris les codes d'un monde politique souvent brutal

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Quand elle revoit l'année écoulée, sa première en tant que députée, Bénédicte Peyrol s'arrête sur le mois de décembre 2017. " Un moment un peu marquant ",confie pudiquement la jeune femme au visage juvénile, derrière ses lunettes rondes.De ces semaines hivernales, la députée de l'Allier, ancienne juriste dans une société de recyclage, se souvient d'abord de ses très courtes nuits. Non pas pour veiller sur l'examen du budget, comme elle pourrait le faire en tant que membre de la commission des finances. Mais parce qu'elle a passé des heures à tourner et retourner dans sa tête cette idée qui lui paraissait si bonne sur le papier avant de virer au fiasco politique.
Quelques semaines plus tôt, Bénédicte Peyrol avait souhaité faire dessiner sa première carte de vœux d'élue par des élèves de la circonscription. Pensant bien faire, elle avait écrit aux écoles et aux mairies autour de -Vichy en leur proposant de participer à un concours de dessin. Dans son courrier, elle soumettait deux propositions de thèmes. Le premier : " Dessine-moi une députée bleu-blanc-rouge ". Le deuxième : illustrer une phrase signée Antoine de Saint-Exupéry dans Vol de nuit," Voyez-vous dans la vie, il n'y a pas de solutions. Il y a des forces en marche : il faut les créer et les solutions les suivent ".
La députée y voyait un exercice de sensibilisation à la citoyenneté sans deviner le piège politique qui allait se refermer sur elle. " Pétainiste ", " instrumentalisation des élèves ", " référence déguisée au parti politique auquel adhère la députée "… La jeune femme découvre avec stupeur la virulence des réactions de ses opposants politiques. En plus de lui avoir ôté quelques heures de sommeil, la polémique lui rappelle douloureusement que sa vie n'est plus la même. " Je n'avais pas réalisé qu'en tant que député, tout ce que l'on fait peut être interprété politiquement ", constate-t-elle.
Le 18  juin, cela fera un an que Bénédicte Peyrol a été élue députée de l'Allier, à 26 ans. Comme elle, environ un tiers des 314 élus La République en marche (LRM) n'avaient jamais exercé de mandat, ni travaillé dans une quelconque " machine " politique, avant leur arrivée au Palais-Bourbon. Ces nouveaux élus ont été les figures du renouvellement de la vie politique voulu par Emmanuel Macron, les visages de cette société civile qui arrivait soudain aux responsabilités et qui a, tout au long de cette première année, découvert les tourments de la vie politique.
Les novices d'En marche ! ont ainsi dû apprendre à se fondre dans le costume de député. Eux qui étaient entrés à l'Assemblée sur la promesse de " faire de la politique autrement ", faisant vœu de " bienveillance ", ont souvent été rattrapés par un jeu politique parfois brutal et violent. " Ceux qui attendaient un endroit où ça phosphore sur des idées ont pu être déçus au début ", confie l'un de ces novices, qui souhaite rester anonyme. " C'est pas Robespierre et Marat en conclave ", ajoute-t-il.
" Je me suis endurcie "Lors des premiers mois d'exercice, les nouveaux venus découvrent au contraire le " rouleau compresseur " des réformes qui s'enchaînent, laissant peu de répit pour la réflexion politique. Ils découvrent aussi " la caricature " à laquelle se prête volontiers l'opposition. " Emmanuel Macron président des riches, cela nous a tous touchés ", se souvient Naïma Moutchou. Cette avocate de37 ans avait pourtant l'habitude, au tribunal, des tentatives de déstabilisation de ses adversaires.
A ses côtés, sur les bancs de la majorité, les députés LRM sont à fleur de peau face au déluge de critiques de La France insoumise, dès l'examen des ordonnances réformant le marché du travail, dans les premières semaines du quinquennat. Les troupes de Jean-Luc -Mélenchon leur reprochent d'être des cadres représentants des classes supérieures.
Dans la majorité, ceux qui ont grandi dans des familles modestes bondissent d'être dépeints ainsi. " Oui, je me suis endurcie au cours de l'année ", reconnaît Fiona Lazaar, élue dans le Val-d'Oise après une vie de chef de projet dans une société privée. " Il faut prendre beaucoup de distance, comprendre qu'on ne s'en prend pas à nous personnellement mais à ce qu'on représente ", renchérit-elle. " Une des premières choses que l'on apprend est que l'opposition n'est pas toujours de bonne foi ", observe Marie Guévenoux. La députée de l'Essonne connaît les stratégies politiciennes pour les avoir pratiquées comme collaboratrice politique à l'UMP, puis au parti Les Républicains, avant d'être élue pour la première fois en juin, sous l'étiquette LRM. Au cours des débats sur la loi de moralisation, au cœur de l'été, elle constate combien la stratégie de son ancienne famille politique parvient à déstabiliser la nouvelle majorité." Quand vous voyez ça de l'extérieur, vous pensez que tout est sincère et spontané, mais c'est aussi un jeu de rôle ! ", souligne-t-elle.
" Formation politique accélérée "" Parfois on se demande si, à notre tour, on va devenir cynique ", confiait en décembre  2017 un député novice en politique. S'il déplore les raccourcis de l'opposition, cet élu s'inquiète aussi, comme ses collègues, de la manière dont l'action de la majorité est relatée par la presse. " Ce qui est le plus difficile, c'est le décalage entre ce que je lis et ce que je vis ", abonde Naïma Moutchou, agacée que les médias décrivent un groupe parlementaire qui " se déchire " sur tel ou tel texte.
Ces dernières semaines, les députés ont ainsi découvert que les propositions minoritaires font souvent plus parler d'elles que les autres. " On fait de super textes et le débat public se focalise toujours sur un point de débat qui ne va pas ! ", constate aussi avec regret Fiona Lazaar. Lors de l'examen de la loi asile-immigration, qui a fortement divisé les députés, certains élus n'ont pas compris qu'une poignée de députés qui s'opposaient ouvertement au texte prennent ainsi la lumière, quand la majorité du groupe s'apprêtait à le voter et à respecter les consignes du groupe. Quant à Bénédicte Peyrol, elle n'en revient toujours pas que la presse vichyssoise ait réservé plus d'espace dans ses colonnes à la polémique sur ses cartes de vœux qu'à son travail sur le budget.
Face aux critiques, les députés LRM ont d'abord décidé de faire profil bas, sans rendre les coups, mais sans bouder leur plaisir quand l'un d'entre eux parvenait à moucher l'opposition dans l'Hémicycle. Le ministre de l'action et des comptes publics, Gérald Darmanin, en sait quelque chose : il doit en partie sa cote de popularité chez les " marcheurs " aux saillies cinglantes qu'il lance contre la droite.
Au fil des mois, les " marcheurs " ont aussi appris à " faire de la politique " tout en promettant de ne pas trahir la " bienveillance " sur laquelle ils ont été élus. " Ce n'est pas parce qu'on est bienveillants qu'on est crédules ou naïfs !, défend Naïma Moutchou.  On sait être fermes, tout en restant respectueux, sans attaques personnelles. " Les novices ont ainsi appris l'art du bras de fer pour faire triompher leurs idées. La loi asile-immigration a été en la matière " une formation politique accélérée ", poursuit l'élue francilienne. Décidés à amender le texte, les " marcheurs " ont dû longuement négocier entre eux, mais surtout avec le ministre de l'intérieur, Gérard Collomb. " Maintenant j'ai compris que, pour avancer, il faut mettre les sujets tout de suite sur la table, dès le début des discussions, pas au dernier moment ",résume une parlementaire.
Prendre en main le débatLe même schéma se répète lors de l'examen du projet de loi agriculture et alimentation au printemps. " On avait une position du gouvernement, une position des députés et, de prime abord, ça ne bougeait pas ", se souvient Sandrine Le Feur, députée du Finistère et maraîchère bio. " On comprend vite qu'il y a une part de bluff, confie une autre élue. On essaie de faire peur, on demande la lune et on obtient ce que l'on veut. "Sur la loi agriculture et alimentation, le ministre de l'agriculture, Stéphane Travert, se montre ainsi plus ouvert sur certains sujets, lors des débats dans l'Hémicycle. " C'est peut-être ça le jeu politique, raconte Sandrine Le Feur, mais je n'en savais rien. "
Petit à petit, ces députés ont appris à s'affirmer, à prendre en main le débat politique, tout en tentant d'imprimer leur marque sur les textes de loi. Au point que le groupe majoritaire se préoccupe aujourd'hui de gérer la multiplication des velléités des députés à faire entendre leur voix personnelle, notamment par voie d'amendement. " Il ne faut pas tomber dans l'excès inverse et s'affranchir tout le temps du groupe ",prévient Marie -Guévenoux. " Le but des députés de la majorité n'est pas de gagner contre le gouvernement ", poursuit la députée qui observe que " ce n'est pas évident de comprendre où est sa place "" Il y a une différence entre être capable de montrer qu'on en a sous le pied et appuyer sur la gâchette ", poursuit l'élue de l'Essonne. Une bonne définition du rapport de force, ou de la maturité politique après une année qui a signé la fin d'une certaine innocence.
Manon Rescan
© Le Monde


17 juin 2018

Agenda, taxis, rythme… Le lent apprentissage de l'Assemblée

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Comme beaucoup de Français, Fiona Lazaar a longtemps été " hallucinée de voir l'Hémicycle aux trois quarts vide " à la télévision. C'était avant de passer de l'autre côté du miroir. Elue députée du Val-d'Oise en juin  2017, elle a, comme ses collègues, compris les dessous de cette image catastrophique pour la réputation des députés. " On ne peut pas être partout : en commission, en séance, dans les ministères, en circonscription, en réunion de groupe ", poursuit l'élue, elle aussi obligée, aujourd'hui, de jongler avec son agenda.
En devenant députés, les nouveaux élus macronistes ont vu leur emploi du temps se remplir ligne après ligne. " On vous met sur un tapis roulant au début de la semaine, dont vous sortez lessivé le samedi après-midi ou au mieux le vendredi soir ", abonde Marie Guévenoux, députée de l'Essonne. " Avant je ne prenais jamais le taxi, raconte encore Fiona Lazaar. Mais je me suis aperçue que c'était devenu nécessaire parfois, on peut y passer des coups de fil, répondre à des mails… Et ça ne m'empêche pas de prendre les transports en commun aux heures de pointe. "
" Obligés de faire des choix "" Avant on m'aurait proposé un chauffeur, j'aurais dit “oh bah dis donc, c'est trop”…  ",concède Carole Bureau-Bonnard, qui bénéficie de ce service en tant que vice-présidente de l'Assemblée. Face aux interrogations sur ce privilège, la députée LRM de l'Oise brandit son agenda. " Avoir un chauffeur me permet d'assurer une présidence de séance le matin à l'Assemblée, un rendez-vous en circonscription et de revenir le soir à Paris ", poursuit-elle. Comme leurs prédécesseurs, les macronistes ont appris à s'adapter. " On est obligés de faire des choix ", a compris Fiona Lazaar.
Dans cette course contre le temps, les députés avaient d'abord ironisé sur le laborieux processus législatif, un frein à l'action de leur majorité. Plaidant pour toujours plus d'" efficacité " et de " pragmatisme ", ils ont souvent fait la leçon à leurs adversaires politiques qui présentaient dans l'hémicycle des propositions déjà rejetées en commissionSur ce point aussi, certains ont changé d'avis, et il n'est plus rare de voir des députés LRM profiter de chacune de ces étapes pour défendre leurs propositions. Comme si les habitudes de " l'ancien monde " avaient finalement du bon…
Ma. Re.
© Le Monde


17 juin 2018

" Assumons le changement : nous sommes des élus nationaux, pas des élus locaux "

Fin du cumul, réforme institutionnelle en cours, renouvellement des profils… De nombreux députés sont moins attachés à leur circonscription, au risque de se couper du terrain

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C'est une petite révolution en cours à l'Assemblée nationale. La première année de législature de l'ère Macron a mis en lumière un changement en profondeur de la pratique du mandat de député, qui devient un vrai député national. Une évolution qui résulte principalement de la loi sur le non-cumul des mandats, entrée en vigueur en  2017. Ne disposant plus d'un mandat exécutif local, les députés exercent désormais leur fonction à plein temps, en étant davantage présents à Paris et moins attachés à leur circonscription que leurs prédécesseurs.
Le signe le plus visible de cette mutation est sans conteste leur présence accrue, aussi bien dans l'hémicycle qu'en commission. Bien plus que lors des précédentes législatures. " Jamais le taux de présence à l'Assemblée nationale n'a été aussi élevé ",observe son président, François de Rugy. " Le non-cumul des mandats a changé beaucoup de choses : les députés sont désormais plus impliqués sur le travail législatif, alors qu'avant il y avait davantage de barons locaux axés sur leur mairie ",atteste -Pacôme Rupin, vice-président du groupe La République en marche (LRM) et député de Paris. Une rupture massive car, en  2012, 476 députés sur 577 exerçaient au moins un autre mandat électif. " La fin du cumul a signé la fin du “député-maire”, qui avait un sentiment -patrimonial sur son territoire ", analyse Thierry Solère, ex-député LR converti au macronisme.
L'entrée en masse de 312 députés de LRM à l'Assemblée en juin  2017, dont une immense majorité de novices, a amplifié ce phénomène. La plupart d'entre eux entretiennent un rapport différent à leur circonscription que les élus de " l'ancien monde ". Alors que ces derniers se voyaient d'abord comme des élus d'un territoire, devant relayer les attentes de leurs électeurs à Paris, les macronistes, eux, se considèrent avant tout comme des élus de la nation, devant servir l'intérêt général. Leur priorité est d'abord de voter les lois, afin de mettre en œuvre le projet d'Emmanuel -Macron. Ils distinguent d'ailleurs leur rôle de celui des sénateurs, chargés d'assurer la représentation des collectivités territoriales.
" Assumons le changement : nous sommes des élus nationaux, pas des élus locaux ",tranche le vice-président du groupe LRM, Gilles Le Gendre, élu à Paris, qui juge " utile "de " clarifier ce qui relève de l'élu national et de l'élu local ". " Nos concitoyens nous sollicitent pour des interventions diverses : école, logement, santé, etc. Mais la vérité, c'est que le député, quand il n'est pas conseiller municipal, n'a aucun pouvoir, au mieux une influence. Cette capacité à aider, même limitée, n'est pas inutile, mais personne ne parle de la faire disparaître. "
" Plus un outil électoral "Comme un symbole, plusieurs élus macronistes ne disposent pas de permanence dans leur -circonscription. Comme si le lien avec les citoyens et la présence sur le terrain étaient finalement secondaires au travail de législateur dans la capitale. Ce changement d'état d'esprit résulte des conditions de leur élection. Beaucoup ont conscience d'avoir été élus au Palais-Bourbon essentiellement grâce à l'image d'Emmanuel -Macron, et pas forcément grâce à leur ancrage local. " Notre sort est très lié à celui du président, il ne sert à rien de nous épuiser dans -notre circonscription alors que -notre réélection dépend surtout de son bilan ", reconnaît l'un d'eux.
Le député du Rhône Bruno -Bonnell incarne ce nouveau -modèle d'élu. Dans un portrait publié le 31  mars dans " M Le magazine du Monde "cet entrepreneur lyonnais entré en politique dans le sillage de l'élection -d'Emmanuel Macron assume de disposer d'un local n'ayant pas vocation à recevoir les électeurs. Peu actif en circonscription, il se considère comme " un élu de la nation " et non comme une " assistante sociale "susceptible de distribuer des " places en crèche " ou des " logements ". " Il faut sevrer la population des vieilles pratiques ", résume-t-il avec aplomb.
Si la fin du cumul des mandats a impulsé cette évolution, la suppression de la réserve parlementaire – votée par les macronistes en juillet  2017 dans le cadre de la loi sur la moralisation de la vie politique – l'a accentuée, en empêchant désormais aux parlementaires d'allouer des subventions particulières dans leur circonscription.
Alors que les élus de droite jugent que cette mesure risque de " déconnecter complètement le député de son territoire ", ceux de la majorité estiment qu'elle met fin à un " mélange des genres ". " Notre réforme permet de supprimer le clientélisme local, en faisant en sorte que, pour les députés, le territoire ne soit plus un outil électoral ",se targue la porte-parole des députés LRM, Aurore Bergé.
La réforme des institutions à venir ne peut qu'amplifier le phénomène. La baisse d'un tiers du nombre de parlementaires va entraîner un redécoupage des circonscriptions, qui vont devenir bien plus vastes que précédemment. En outre, avec l'introduction d'une dose de 15  % de proportionnelle, 61 députés seront désormais élus sur des listes nationales et non plus rattachés à une circonscription. " A l'avenir, le député va être de moins en moins un député territorial et de plus en plus un député parlementaire ",analyse Hervé Marseille, le chef de file des sénateurs centristes.
Une évolution dangereuse selon l'opposition, qui, à gauche comme à droite, dénonce une réforme risquant d'éloigner les élus des citoyens, en créant des députés " hors sol ", " dans des circonscriptions XXL ", " des juristes parisiens, coupés du terrain ". Et va conduire à un affaiblissement du Parlement. " Macron veut des élus peu enracinés, sans assise locale, pour qu'ils soient plus vulnérables et aux mains d'un exécutif fort ",accuse le député Les Républicains (LR) Philippe Gosselin. " Le pouvoir veut changer le rôle des parlementaires, abonde le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau. La transmutation vise à faire en sorte qu'ils ne soient plus sur le terrain pour en faire uniquement des experts. "
L'exécutif, de son côté, assume cette redéfinition du rôle du -député. Lors de son discours devant le Congrès à Versailles, en juillet  2017, Emmanuel Macron avait invité les députés à " mieux allouer le temps parlementaire ", en se concentrant sur leurs missions de contrôle de l'action du gouvernement et d'évaluation des politiques publiques. Plutôt que de passer du temps à s'occuper des citoyens de leur circonscription.
Alexandre Lemarié
© Le Monde

17 juin 2018

Nouvelle donne entre le Parlement et les collectivités

Les associations d'élus locaux ont dû adapter leur lobbying à l'ère du non-cumul des mandats

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L'an  I du Parlement du non-cumul. La suppression de la possibilité, pour les députés et les sénateurs, d'exercer une fonction exécutive locale a considérablement changé la donne en ce qui concerne les relations entre le législatif et les collectivités territoriales. Fini les " députés-maires " et autres sénateurs présidents de conseil départemental : les parlementaires ont dû laisser leur casquette d'élu local au vestiaire et les collectivités ont perdu de puissants relais au sein des deux assemblées.
" Avant, quand j'étais encore député, je siégeais à la commission des lois et je défendais directement, avec d'autres collègues, les positions qui me semblaient bonnes pour les collectivités, explique Dominique Bussereau, le président de l'Assemblée des départements de France (ADF). Maintenant, il faut procéder de manière professionnelle et systématique à un suivi permanent. " A la fin du cumul, qui concerne aussi bien les députés que les sénateurs, s'ajoute, à l'Assemblée nationale, l'arrivée d'une vague de primo-élus, en particulier dans le groupe majoritaire La République en marche (LRM), n'ayant que peu ou pas exercé un mandat local.
" Avant, on avait des parlementaires présidents d'intercommunalité ou maires qui, à travers leur expérience d'élu local, se forgeaient une conviction. Aujourd'hui, ils n'ont plus ça ", constate Jean-Luc Rigaut, le président de l'Assemblée des communautés de France (AdCF). Il convient cependant de relativiser. S'ils ont dû se résigner à se délester de leurs fonctions exécutives locales, il reste encore à l'Assemblée et, surtout, au Sénat bon nombre de parlementaires ayant exercé des responsabilités locales. Depuis un an, par exemple, une quinzaine de départements ont vu leur président changer, celui-ci ayant décidé de conserver son mandat parlementaire.
" Une fausse bonne idée "Le président de l'Association des maires de France (AMF), François Baroin, n'en démord pas : la suppression du cumul est, selon lui, " une fausse bonne idée "" Ça renforce le rôle et l'influence des grandes métropoles, qui ont les moyens de se faire entendre, alors que les petites communes, elles, ont plus de difficultés à se frayer un chemin ", estime le maire de Troyes. Les premiers mois de fonctionnement de la nouvelle Assemblée ont été marqués, selon lui, par " pas mal d'incompréhension, voire de méconnaissance de cette nouvelle Assemblée sans expérience d'élus locaux ". D'autant plus, ajoute-t-il, que " tous les partis, y compris le mien - Les Républicains -ont été influencés par des think tanks ultralibéraux qui considèrent les collectivités, au mieux, comme des facteurs de blocages ou, au pire, comme des gouffres financiers ; et ça, c'est insupportable ".
" Il y a des nostalgiques du cumul, observe Jean-René Cazeneuve, le président (LRM) de la délégation de l'Assemblée nationale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, mais on est passé à autre chose. Les députés sont désormais dans une logique où ils sont à temps plein sur leurs mandats, mais ils sont encore dans leurs circonscriptions, ils rencontrent et ils écoutent les élus locaux. Je réfute l'idée selon laquelle ils seraient déconnectés des réalités territoriales. Attention à ne pas faire un procès d'intention. "
Le premier changement tangible au cours de cette première session a été la création, en novembre  2017, de cette délégation aux collectivités territoriales au Palais-Bourbon, à l'initiative des associations d'élus, notamment l'AMF, qui poussaient l'idée que l'Assemblée se dote d'une structure identique à celle existant depuis de nombreuses années au Sénat. Ce que François de Rugy, président de l'Assemblée nationale, a accepté.
Les associations, de leur côté, se sont aussi réorganisées et structurées. " On avait une seule personne pour s'occuper du Parlement ; maintenant, on en a deux ", indique le président de l'ADF. " Nous sommes très sollicités, l'Assemblée auditionne beaucoup, poursuit M.  Bussereau. On a des interlocuteurs moins spontanément connaisseurs des collectivités, même s'il reste encore quelques spécialistes, ce qui fait que, parfois, on a des questions assez incongrues. Mais beaucoup ont une volonté sincère de se mettre à niveau. Cela nous oblige, en tout cas, à une plus grande présence. "
M.  Rigaut fait un constat identique. " Nous sommes aujourd'hui beaucoup plus soumis à des auditions. Nous nous sommes organisés en conséquence en nous spécialisant sur des thématiques, détaille le président de l'AdCF. Nous avons un rôle supplémentaire d'information et de synthèse. " L'association représentant les " intercos ", qui fournit un important travail d'analyse, va même jusqu'à organiser des petits déjeuners par groupes de huit à dix  parlementaires sensibilisés au sujet des collectivités.
L'AMF n'est pas en reste et a, elle aussi, fait évoluer son dispositif de travail avec les parlementaires. " Nous sommes en train de mettre en place des groupes de réflexion, dans lesquels nous invitons tous les groupes parlementaires ", indique M.  Baroin. " Tout cela est plutôt sain, commente M.  Cazeneuve. En fait, il y a plus une crainte de coupure qu'une réalité. " Le lobbying des collectivités doit simplement emprunter d'autres voies et moyens.
Patrick Roger
© Le Monde

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