Quand elle revoit l'année écoulée, sa première en tant que députée, Bénédicte Peyrol s'arrête sur le mois de décembre 2017. " Un moment un peu marquant ",confie pudiquement la jeune femme au visage juvénile, derrière ses lunettes rondes.De ces semaines hivernales, la députée de l'Allier, ancienne juriste dans une société de recyclage, se souvient d'abord de ses très courtes nuits. Non pas pour veiller sur l'examen du budget, comme elle pourrait le faire en tant que membre de la commission des finances. Mais parce qu'elle a passé des heures à tourner et retourner dans sa tête cette idée qui lui paraissait si bonne sur le papier avant de virer au fiasco politique.
Quelques semaines plus tôt, Bénédicte Peyrol avait souhaité faire dessiner sa première carte de vœux d'élue par des élèves de la circonscription. Pensant bien faire, elle avait écrit aux écoles et aux mairies autour de -Vichy en leur proposant de participer à un concours de dessin. Dans son courrier, elle soumettait deux propositions de thèmes. Le premier :
" Dessine-moi une députée bleu-blanc-rouge ". Le deuxième : illustrer une phrase signée Antoine de Saint-Exupéry dans
Vol de nuit," Voyez-vous dans la vie, il n'y a pas de solutions. Il y a des forces en marche : il faut les créer et les solutions les suivent ".
La députée y voyait un exercice de sensibilisation à la citoyenneté sans deviner le piège politique qui allait se refermer sur elle.
" Pétainiste ", " instrumentalisation des élèves ", " référence déguisée au parti politique auquel adhère la députée "… La jeune femme découvre avec stupeur la virulence des réactions de ses opposants politiques. En plus de lui avoir ôté quelques heures de sommeil, la polémique lui rappelle douloureusement que sa vie n'est plus la même.
" Je n'avais pas réalisé qu'en tant que député, tout ce que l'on fait peut être interprété politiquement ", constate-t-elle.
Le 18 juin, cela fera un an que Bénédicte Peyrol a été élue députée de l'Allier, à 26 ans. Comme elle, environ un tiers des 314 élus La République en marche (LRM) n'avaient jamais exercé de mandat, ni travaillé dans une quelconque " machine " politique, avant leur arrivée au Palais-Bourbon. Ces nouveaux élus ont été les figures du renouvellement de la vie politique voulu par Emmanuel Macron, les visages de cette société civile qui arrivait soudain aux responsabilités et qui a, tout au long de cette première année, découvert les tourments de la vie politique.
Les novices d'En marche ! ont ainsi dû apprendre à se fondre dans le costume de député. Eux qui étaient entrés à l'Assemblée sur la promesse de
" faire de la politique autrement ", faisant vœu de
" bienveillance ", ont souvent été rattrapés par un jeu politique parfois brutal et violent.
" Ceux qui attendaient un endroit où ça phosphore sur des idées ont pu être déçus au début ", confie l'un de ces novices, qui souhaite rester anonyme.
" C'est pas Robespierre et Marat en conclave ", ajoute-t-il.
" Je me suis endurcie "Lors des premiers mois d'exercice, les nouveaux venus découvrent au contraire le
" rouleau compresseur " des réformes qui s'enchaînent, laissant peu de répit pour la réflexion politique. Ils découvrent aussi
" la caricature " à laquelle se prête volontiers l'opposition.
" Emmanuel Macron président des riches, cela nous a tous touchés ", se souvient Naïma Moutchou. Cette avocate de
37 ans avait pourtant l'habitude, au tribunal, des tentatives de déstabilisation de ses adversaires.
A ses côtés, sur les bancs de la majorité, les députés LRM sont à fleur de peau face au déluge de critiques de La France insoumise, dès l'examen des ordonnances réformant le marché du travail, dans les premières semaines du quinquennat. Les troupes de Jean-Luc -Mélenchon leur reprochent d'être des cadres représentants des classes supérieures.
Dans la majorité, ceux qui ont grandi dans des familles modestes bondissent d'être dépeints ainsi.
" Oui, je me suis endurcie au cours de l'année ", reconnaît Fiona Lazaar, élue dans le Val-d'Oise après une vie de chef de projet dans une société privée.
" Il faut prendre beaucoup de distance, comprendre qu'on ne s'en prend pas à nous personnellement mais à ce qu'on représente ", renchérit-elle.
" Une des premières choses que l'on apprend est que l'opposition n'est pas toujours de bonne foi ", observe Marie Guévenoux. La députée de l'Essonne connaît les stratégies politiciennes pour les avoir pratiquées comme collaboratrice politique à l'UMP, puis au parti Les Républicains, avant d'être élue pour la première fois en juin, sous l'étiquette LRM. Au cours des débats sur la loi de moralisation, au cœur de l'été, elle constate combien la stratégie de son ancienne famille politique parvient à déstabiliser la nouvelle majorité.
" Quand vous voyez ça de l'extérieur, vous pensez que tout est sincère et spontané, mais c'est aussi un jeu de rôle ! ", souligne-t-elle.
" Formation politique accélérée "
" Parfois on se demande si, à notre tour, on va devenir cynique ", confiait en décembre 2017 un député novice en politique. S'il déplore les raccourcis de l'opposition, cet élu s'inquiète aussi, comme ses collègues, de la manière dont l'action de la majorité est relatée par la presse.
" Ce qui est le plus difficile, c'est le décalage entre ce que je lis et ce que je vis ", abonde Naïma Moutchou, agacée que les médias décrivent un groupe parlementaire qui
" se déchire " sur tel ou tel texte.
Ces dernières semaines, les députés ont ainsi découvert que les propositions minoritaires font souvent plus parler d'elles que les autres.
" On fait de super textes et le débat public se focalise toujours sur un point de débat qui ne va pas ! ", constate aussi avec regret Fiona Lazaar. Lors de l'examen de la loi asile-immigration, qui a fortement divisé les députés, certains élus n'ont pas compris qu'une poignée de députés qui s'opposaient ouvertement au texte prennent ainsi la lumière, quand la majorité du groupe s'apprêtait à le voter et à respecter les consignes du groupe. Quant à Bénédicte Peyrol, elle n'en revient toujours pas que la presse vichyssoise ait réservé plus d'espace dans ses colonnes à la polémique sur ses cartes de vœux qu'à son travail sur le budget.
Face aux critiques, les députés LRM ont d'abord décidé de faire profil bas, sans rendre les coups, mais sans bouder leur plaisir quand l'un d'entre eux parvenait à moucher l'opposition dans l'Hémicycle. Le ministre de l'action et des comptes publics, Gérald Darmanin, en sait quelque chose : il doit en partie sa cote de popularité chez les " marcheurs " aux saillies cinglantes qu'il lance contre la droite.
Au fil des mois, les " marcheurs " ont aussi appris à
" faire de la politique " tout en promettant de ne pas trahir la
" bienveillance " sur laquelle ils ont été élus.
" Ce n'est pas parce qu'on est bienveillants qu'on est crédules ou naïfs !, défend Naïma Moutchou.
On sait être fermes, tout en restant respectueux, sans attaques personnelles. " Les novices ont ainsi appris l'art du bras de fer pour faire triompher leurs idées. La loi asile-immigration a été en la matière
" une formation politique accélérée ", poursuit l'élue francilienne. Décidés à amender le texte, les " marcheurs " ont dû longuement négocier entre eux, mais surtout avec le ministre de l'intérieur, Gérard Collomb.
" Maintenant j'ai compris que, pour avancer, il faut mettre les sujets tout de suite sur la table, dès le début des discussions, pas au dernier moment ",résume une parlementaire.
Prendre en main le débatLe même schéma se répète lors de l'examen du projet de loi agriculture et alimentation au printemps.
" On avait une position du gouvernement, une position des députés et, de prime abord, ça ne bougeait pas ", se souvient Sandrine Le Feur, députée du Finistère et maraîchère bio.
" On comprend vite qu'il y a une part de bluff, confie une autre élue.
On essaie de faire peur, on demande la lune et on obtient ce que l'on veut. "Sur la loi agriculture et alimentation, le ministre de l'agriculture, Stéphane Travert, se montre ainsi plus ouvert sur certains sujets, lors des débats dans l'Hémicycle.
" C'est peut-être ça le jeu politique, raconte Sandrine Le Feur,
mais je n'en savais rien. "
Petit à petit, ces députés ont appris à s'affirmer, à prendre en main le débat politique, tout en tentant d'imprimer leur marque sur les textes de loi. Au point que le groupe majoritaire se préoccupe aujourd'hui de gérer la multiplication des velléités des députés à faire entendre leur voix personnelle, notamment par voie d'amendement.
" Il ne faut pas tomber dans l'excès inverse et s'affranchir tout le temps du groupe ",prévient Marie -Guévenoux.
" Le but des députés de la majorité n'est pas de gagner contre le gouvernement ", poursuit la députée qui observe que
" ce n'est pas évident de comprendre où est sa place ".
" Il y a une différence entre être capable de montrer qu'on en a sous le pied et appuyer sur la gâchette ", poursuit l'élue de l'Essonne. Une bonne définition du rapport de force, ou de la maturité politique après une année qui a signé la fin d'une certaine innocence.
Manon Rescan
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