La France et l'Italie divergeant sur les modalités d'accueil de migrants, malgré l'affirmation d'une " entente parfaite "entre Emmanuel Macron et Giuseppe Conte, vendredi 15 juin à Paris ; -Angela Merkel soumise à la pression conjuguée de l'extrême droite et de Horst Seehofer, pré-sident de la CSU et ministre allemand de l'intérieur, qui prône un durcissement sans précédent de la politique migratoire de son pays, quitte à affaiblir une chancelière allemande de plus en plus isolée ; le Hongrois Viktor Orban refusant tout réfugié sur son sol, au nom de la défense de la " civilisation "…
Plus de doute : le dossier de ce qu'on appelle, faute de mieux, la crise migratoire, est redevenu l'enjeu majeur du débat européen et menace l'Union européenne (UE) d'un délitement. On peut ajouter que l'Autriche, qui assumera, le 1er juillet pour six mois, la présidence tournante de l'UE serait, selon la presse viennoise, en négociation avec des pays des Balkans pour y installer un camp – ou des camps – de rétention pour les déboutés du droit d'asile, en attente de leur éventuel renvoi vers leur pays de départ. Un projet officieusement condamné par Bruxelles, mais auquel se rallieraient sans doute les populistes italiens et -danois, voire le secrétaire d'Etat belge à la migration.
De l'émotion à l'indifférenceL'errance en Méditerranée des 629 passagers de l'
Aquarius, attendu dimanche 17 juin à Valence en Espagne, illustre jusqu'à la -caricature la division entre les pays membres de l'Union, l'impuissance à trouver des solutions consensuelles et le passage, en quelques années, de l'émotion à une forme d'indifférence, de la mobilisation à l'instrumenta-lisation. Le tout à moins d'un an des élections européennes de mai 2019, au risque d'alimenter la montée en puissance des formations d'extrême droite.
Il est loin le temps où, en 2013, après un naufrage au large de Lampedusa, un premier ministre italien et un président de la -Commission européenne se rendaient en Sicile en hommage aux 366 victimes. Très loin aussi, l'appel à accueillir et répartir en urgence des réfugiés lancé par François Hollande, Angela Merkel et Jean-Claude Juncker, après la diffusion, en 2015, des photos d'Aylan Kurdi, 3 ans, un Kurde de Syrie retrouvé noyé sur une plage turque. Depuis, le drame migratoire a fait tellement de victimes que l'on ne parvient plus à les dé-nombrer : 10 000 noyés selon les comptages d'ONG et les informations douteuses des gardes-côtes libyens, 15 000 en trois ans selon SOS Méditerranée…
Est-ce faute d'avoir agi à temps contre des pays de l'Est bafouant les valeurs énoncées par l'article 2 du traité de l'Union, que les pays membres et les institutions ont laissé se répandre l'idée que l'on pouvait allègrement oublier les valeurs proclamées, dont, dans le cas présent, la nécessaire solidarité entre les pays membres ?
Ce mutisme, cette prudence, n'auront eu qu'un effet : les " durs " de l'Europe de l'est ont rallié d'autres dirigeants à leur cause et ce camp semble prêt, désormais, à provoquer ceux qui, comme Mme Merkel, M. Macron ou le tout récent premier ministre espagnol, le socialiste Pedro Sanchez, recherchent encore une solution " européenne " et raisonnable. Même si la " relocalisation " prévue des demandeurs d'asile reconnus a largement échoué, si les quotas de réfugiés à attribuer par pays ont vécu, et si la réforme de Dublin III, ce règlement qui oblige le pays de première arrivée à procéder seul aux enregistrements d'un demandeur, se fera attendre longtemps encore. Mme Merkel dit miser sur une improbable issue favorable lors du prochain sommet européen de Bruxelles, à la fin juin, mais c'est surtout pour tenter de calmer sa majorité.
Entre-temps, Matteo Salvini, le ministre italien de l'intérieur, pourra encore crier victoire impunément si son pays refuse d'autres accostages de navires de secours. Il ne se trouvera aucun chef d'Etat pour oser le contredire, car ils -savent que quand d'autres, dont Matteo Renzi, les appelaient à l'aide, ils détournaient le regard.
A Bruxelles, la Commission, elle, ne condamne ni Malte, ni l'Italie pour leur refus de laisser l'
Aquarius accoster. Surtout pas l'Italie, ce pays qui a accueilli près de 700 000 migrants en cinq ans, mais contre lequel elle jugea utile d'ouvrir une procédure d'infraction en 2015, parce qu'il tardait à enregistrer les arrivants. Ce pays auquel l'Europe n'a offert que ce qu'elle peut encore offrir : de l'argent. Une Italie qui, finalement, a décidé de confier son sort à une coalition portée par une colère populaire contre " Bruxelles ", totem d'une Europe semble-t-il -incapable de réagir au populisme qu'elle dit redouter.
Pas d'issue ? Si. Avec, d'abord, la prise en compte du réel : 35 000 migrants sont arrivés en Europe par la Méditerranée depuis janvier – dont 14 000 en Italie. C'est 77 % de moins qu'en 2017, et si une partie de ces personnes a droit à une protection internationale – souvent temporaire –, on voit mal comment elle pourrait leur être refusée.
Harmonisation des règlesParallèlement, l'UE envisage d'accélérer ce qu'elle évoque depuis des lunes : un contrôle efficace de ses frontières extérieures – la Commission propose un corps de 10 000 membres –, une gestion commune avec les pays de départ et de transit, des accords fermes de réadmission, une harmonisation des règles de l'asile. L'hypothèse de centres d'enregistrement en -Libye ou en Tunisie a, en revanche, peu de chances de se concrétiser.
Aujourd'hui, c'est clairement l'Europe de Schengen qui est menacée, et la réponse à opposer au populisme suppose un leadership capable de pédagogie et d'un -discours réaliste. L'urgence est là, l'issue incertaine.
Jean-Pierre Stroobants, et Thomas Wieder
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