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dimanche 17 juin 2018

Le guêpier de la réforme des pensions de réversion


16 juin 2018

Le guêpier de la réforme des pensions de réversion

Ce dispositif, destiné à compenser les inégalités hommes-femmes et à lutter contre la pauvreté, va être revu

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Voilà le type même de débat susceptible de braquer les syndicats : " Doit-on maintenir des pensions de réversion ? " Ces quelques mots apparaissent à la fin d'un document récemment remis aux partenaires sociaux, dans le cadre de la concertation sur la réforme des retraites. Le fait même de poser la question laisse entendre que la réponse pourrait être négative, ce qui signerait l'extinction d'un dispositif améliorant les ressources de plusieurs millions de personnes. Il doit être maintenu, a insisté la CGT, dans un communiqué diffusé mercredi 13  juin. Les autres confé--dé-rations de salariés y sont, elles aussi, très attachées.
Ce sujet hautement inflammable figure parmi les multiples thématiques que Jean-Paul Delevoye aborde lors de rencontres, engagées depuis fin 2017, avec les partenaires sociaux. Le haut-commissaire à la réforme des retraites est, en effet, chargé de piloter une réflexion dans la perspective du big bang annoncé par Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle. L'objectif de l'exécutif est de présenter, début 2019, un projet de loi qui doit être voté l'été de la même année : il jettera les bases d'un système " universel " au sein duquel chaque euro cotisé donnera les mêmes droits à tous.
Différences de salairesPour le chef de l'Etat, nos régimes de retraite se distinguent par leur caractère " injuste " et " complexe ". La réversion constitue l'une des preuves de ces défauts. Elle permet, après le décès d'une personne, de reverser une partie des droits acquis par celle-ci au conjoint survivant (ou aux ex-conjoints). Il faut avoir été marié pour percevoir la somme.
Pour l'obtenir, les règles sont hétérogènes et peuvent virer au casse-tête. L'octroi d'une pension de réversion est parfois assorti de conditions d'âge et de ressources (au moins 55  ans et pas plus de 20 550  euros de revenus annuels dans le privé). Son montant est différent selon les régimes (54  % de la pension dans le privé, 50  % dans le public).
A l'origine, les pensions de réversion visaient à protéger les épouses qui, pour beaucoup, n'exerçaient aucune activité rémunérée. En  2016, 4,4  millions de personnes en bénéficiaient, dont 89  % de femmes. Pour 1,1  million d'entre elles, il s'agissait de leur unique pension.
La réversion permet de réduire (partiellement) les inégalités, très importantes, selon le sexe : grâce à ce dispositif, l'écart entre les pensions des femmes et celles des hommes est de 25  % (en  2015) alors qu'il s'élève à 40  % si l'on ne prend en considération que la pension dite " de droit direct ". Des différences liées au fait que les femmes ont des salaires plus faibles que les hommes et accumulent moins de droits à la retraite. Ces disparités tendent, toutefois, à s'atténuer, notamment en raison de l'augmentation du travail féminin, mais sans disparaître.
La réversion est aujourd'hui au cœur des interrogations pour plusieurs raisons. " Elle est a priori étrangère à un système par points ou notionnel qui individualise les droits ", explique Bruno Palier, directeur du -laboratoire interdisciplinaire -d'évaluation des politiques publiques de Sciences Po Paris. Or, la réflexion en cours est précisément axée sur la construction d'un système par points. En outre, l'incroyable capharnaüm qui règne dans le dispositif milite en faveur d'une remise en plat. La Cour des comptes, dans un rapport rendu en  2015, avait, d'ailleurs plaidé pour " un mouvement d'harmonisation ". " Pour nous, il est hors de question de toucher aux pensions de réversion, prévient Philippe Pihet (FO). Si vous les supprimez, vous faites passer la moitié des veuves sous le seuil de pauvreté. " Tout en restant " méfiant ", M.  Pihet ne pense pas que le gouvernement soit " assez imprudent politiquement " pour éradiquer ce mécanisme. Ce qu'il craint, en revanche, c'est " une harmonisation par le bas ".
Serge Lavagna (CFE-CGC) pense, de son côté, que le principal risque réside dans l'idée de généraliser " la mise sous condition de ressources " : si ce paramètre-là est introduit dans tous les régimes, " ça équivaut à une suppression de la réversion pour la population que nous représentons " – c'est-à-dire les cadres.
Plus ouvert, Frédéric Sève (CFDT) considère qu'il y aura " un travail de normalisation à faire "" Le problème de la réversion, observe-t-il, c'est que c'est un peu un couteau suisse : ça sert à la fois pour compenser les inégalités hommes-femmes et pour lutter contre la pauvreté. La question est de savoir quel objectif on vise et quel est le bon outil pour l'atteindre. " " Nous sommes d'accord pour qu'une réflexion soit engagé mais les éventuels changements qui seraient apportés ne doivent pas réduire les droits des assurés ", met en garde Pascale Coton (CFTC).
Dans l'entourage de M.  Delevoye, on assure que " le sujet n'est pas tranché "" La concertation en cours est l'occasion de tout réinterroger, ajoute-t-on. Mais si on maintient ce dispositif, qu'est-ce qu'on en fait et qu'est-ce qu'on vise ? " L'hypothèse d'" un alignement sur l'un ou l'autre des régimes " est exclue, complète-t-on : " Il y a tellement de différences qu'il faut réfléchir de façon ad hoc. "
Raphaëlle Besse Desmoulières et Bertrand Bissuel

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