Le quotidien Rodong Sinmun avait déjà couvert la visite en long et en large, avec trois pages sur six de photos, mardi 12 et mercredi 13 juin, mais il a fallu attendre jeudi pour que la télévision d'Etat nord-coréenne fasse elle aussi le récit détaillé du déplacement de Kim Jong-un à Singapour et de sa poignée de main historique avec le président des Etats-Unis, Donald Trump.
Environ 3 000 journalistes étran-gers s'étaient rués sur la cité-Etat pour couvrir l'événement, mais la télévision du régime, elle, a mis quarante-huit heures à diffuser son sujet. Rien ne devait être laissé au hasard pour présenter au peuple maintenu dans une mentalité d'assiégé le réchauffement des relations avec l'ennemi américain. Pas plus tard qu'à l'automne, Donald Trump était qualifié de
" vieux gâteux, dur de la feuille ".
" Immense succès "Les critiques contre l'Amérique s'étaient déjà atténuées depuis le sommet intercoréen du 27 avril et la perspective qui s'était ouverte, quelques jours plus tard, d'une rencontre entre MM. Trump et Kim. Elles ont cessé depuis le -début du mois de juin. Signe de cette rapide évolution diplomatique, l'ex-homme d'affaires n'est plus présenté dans la vidéo de quarante-deux minutes comme
" le belliciste nucléaire " mais comme
" Donald J. Trump, président des Etats-Unis d'Amérique ".
Le sommet est présenté comme
" la rencontre du siècle ", entre deux chefs d'Etat se retrouvant d'égal à égal, même si c'est bien sûr Kim Jong-un qui a le rôle principal, pour avoir mené le programme nucléaire à son aboutissement et pu contraindre ainsi les Etats-Unis au respect. Ce postulat ressortait d'une dépêche de l'agence KCNA mercredi 13 juin se félicitant de
" l'immense succès " de la visite de Singapour et expliquant que M. Trump avait
" compris " les demandes de la Corée du Nord, notamment celle d'abandonner les manœuvres militaires entre les armées américaine et sud-coréenne. La vidéo diffusée jeudi montre M. Trump offrant le salut militaire au général No Kwang-chol, promu ministre de la défense. Kim Jong-un est également filmé visitant la cité-Etat en dirigeant acclamé à l'étranger,
" les cœ
urs battants des habitants de Singapour " ayant un
" respect infini " pour lui.
Tout aussi intéressante est la manière de montrer la ville. La propagande a cessé depuis le début des années 2000 de répéter que Pyongyang n'avait rien à envier au développement de Séoul ou de New York, bien consciente que l'information circulait, du fait de l'affaiblissement du contrôle d'un Etat incapable de subvenir aux besoins alimentaires de sa population.
Mais en 2017 encore, pour souligner la colère dans le Sud contre la très conservatrice présidente Park Geun-hye (condamnée depuis à vingt-quatre ans de prison pour corruption), la télévision du Nord montrait les manifestations mais jugeait préférable de flouter les immeubles de Séoul en fond.
Cette fois, Singapour est montrée dans toute sa prospérité : le cortège passe devant les multiples centres commerciaux et une boutique Cartier, et les habitants sur le bord de la route sont tous munis de leur smartphone. Kim Jong-un visite le luxueux hôtel-casino Marina Bay Sands. Une longue séquence le montre même dans le port de marchandises et ses hautes piles de conteneurs.
Un pari, car ces images pourraient faire envie aux Nord-Coréens. Mais, justement, M. Kim a convoqué, en avril, une réunion du Parti du travail pour présenter sa
" nouvelle ligne stratégique ". Après l'avoir emporté sur le développement du nucléaire, le pays peut désormais se consacrer au progrès économique. La visite de Singapour, de ce point de vue, est un tournant pour sortir le pays de l'ornière des sanctions et, de retour, le dirigeant fait miroiter la richesse singapourienne à son peuple.
Harold Thibault
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