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dimanche 17 juin 2018

La BCE choisit la prudence pour normaliser sa politique monétaire


16 juin 2018

La BCE choisit la prudence pour normaliser sa politique monétaire

L'institution interrompra ses rachats de dettes à la fin de l'année

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Même en ayant longuement préparé les esprits, l'annonce du retrait à venir de soutiens exceptionnels à l'économie est toujours un exercice périlleux pour un banquier central. A en juger par l'enthousiasme des Bourses, Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE), s'en est tiré haut la main, jeudi 14  juin. A l'issue d'un conseil des gouverneurs exceptionnellement délocalisé à Riga, en Lettonie, l'Italien a acté formellement l'arrêt, à la fin de l'année 2018, des rachats de dettes publiques et privées réalisés par l'institution.
Scrutée depuis des mois, la sortie progressive de son programme d'assouplissement quantitatif (le quantitative easing, en anglais, ou QE) passera par une diminution des rachats, de 30 milliards d'euros mensuels actuellement, à 15  milliards à partir d'octobre, avant leur interruption, fin décembre. Sous réserve, a toutefois insisté M. Draghi, que les données à venir " confirment " les prévisions d'inflation à moyen terme.
La décision était attendue, le calendrier établi. Mais cette annonce signe bel et bien la fin d'une ère. Depuis le lancement du QE, en mars  2015, l'institution de Francfort a racheté plus de 2 400  milliards d'euros de dettes – l'équivalent de deux fois le produit intérieur brut (PIB) de l'Espagne et à peu près autant que celui de la France… Conçu pour soutenir la croissance et les prix en zone euro – une mission remplie avec un certain succès –, ce dispositif créait de plus en plus de remous au sein de la BCE.
Ses membres les plus orthodoxes – les " faucons " –, arguant d'une croissance plus robuste, militaient pour que l'institution commence à normaliser sa politique sans tarder afin de se reconstituer des marges de manœuvre. En confirmant l'arrêt du QE, Mario Draghi a semblé leur donner raison. Pourtant, le banquier central a tout fait pour éviter de donner l'impression qu'il préparait la voie d'un resserrement monétaire. Il a même fait passer le message inverse en affirmant que l'institution maintiendrait ses taux d'intérêt au plus bas, " au moins jusqu'à l'été 2019, et aussi longtemps que nécessaire ". Plus tard que ce qu'escomptaient la plupart des analystes.
La BCE est donc encore loin d'emboîter le pas à la Réserve fédérale américaine (Fed), la banque centrale des Etats-Unis, qui a relevé, mercredi, ses taux directeurs pour la septième fois depuis 2015. M.  Draghi a souligné avec insistance que l'ensemble des décisions maintenait " une politique monétaire amplement accommodante ". Et qu'elles avaient été prises à l'unanimité. " En réalité, tout cela laisse penser que la BCE est assez inquiète de la situation, estime Gilles Moëc, économiste chez Bank of America ML. Avec ces annonces, elle s'achète encore du temps. "
Contexte plus tenduA l'évidence, le contexte est plus tendu qu'il y a six mois. La reprise européenne, à son zénith fin 2017, donne des signes de faiblesse. L'institut de Francfort a d'ailleurs abaissé sa prévision de croissance pour 2018 en zone euro, à 2,1 % contre 2,4 % auparavant. A ce coup de mou s'ajoutent les inquiétudes géopolitiques, notamment celles liées au risque de guerre commerciale avec les Etats-Unis.
La crainte d'une spirale protectionniste pèse déjà sur la confiance des entreprises. En Allemagne, le moral des investisseurs a flanché en juin à son niveau le plus bas depuis cinq ans, selon le baromètre ZEW publié mardi.
L'Europe est aussi minée par des tensions internes avec l'avènement, en Italie, d'un gouvernement eurosceptique et anti-austérité. " Nos décisions ont été prises face à une économie forte avec une augmentation indéniable des incertitudes ", a sobrement résumé M. Draghi. Sur l'inflation, seul critère officiellement pris en compte par la BCE, les perspectives sont en revanche plus positives : l'institution prévoit désormais une hausse des prix autour de 1,7  % cette année et la suivante, proche de son objectif de 2  %, et supérieure à sa précédente estimation de 1,4  %. Une remontée largement stimulée par les prix de l'énergie mais aussi par des hausses de salaire.
En faisant montre d'une extrême prudence dans la normalisation de sa politique, la BCE prend acte de ce paysage très mouvant. Elle tire aussi les leçons du passé. Au cours de la dernière décennie, l'institution a remonté ses taux à deux reprises : en juillet  2008, juste avant la crise financière, et en avril  2011, en pleine crise des dettes souveraines de la zone euro. Dans les deux cas, elle fut accusée d'avoir aggravé la situation et se trouva contrainte de rabaisser ses taux quelques mois plus tard.
Marie de Vergès
© Le Monde

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