La " suspension " de la guerre commerciale avec la Chine annoncée le 19 mai par le secrétaire au Trésor Steven Mnuchin n'est plus qu'un souvenir. Donald Trump a approuvé l'imposition de droits de douane sur les importations chinoises, à hauteur de 50 milliards de dollars (43 milliards d'euros), suscitant une riposte immédiate de Pékin. Le détail en a été donné vendredi 15 juin par communiqué, par le représentant au commerce Robert Lighthizer.
Les Américains vont procéder en deux temps : à partir du 6 juillet, un droit de douane additionnel de 25 % sera appliqué sur 818 lignes de produits, représentant environ 34 milliards de dollars d'importations. Dans un second temps et après des auditions supplémentaires, 284 produits représentant 16 milliards d'importations pourront être taxés. Objectif, rééquilibrer le déficit bilatéral, qui atteint 375 milliards de dollars entre la Chine et les Etats-Unis.
" J'ai une relation extraordinaire avec le président Xi. Nous y travaillons. Il considère que c'est inéquitable ", a assuré Donald Trump sur Fox News.
" Protéger le leadership "Le conflit ne porte pas tant sur le commerce que sur la menace que fait peser Chine sur la domination technologique des Américains.
" Nous devons prendre des actions défensives fortes pour protéger le leadership américain en matière de technologie et d'innovation face à la menace sans précédent que représentent le vol par la Chine de notre propriété intellectuelle, le transfert forcé de technologie américaine et les cyberattaques sur nos réseaux d'ordinateurs ", a déclaré M. Lighthizer.
Le discours américain, qui se concentrait sur la résorption du déficit commercial avec la Chine, rebascule donc sur un terrain plus stratégique. Les Etats-Unis reprochent aux responsables chinois de forcer les multinationales américaines à partager leur technologie pour pouvoir s'implanter sur leur territoire. Plus fondamentalement, les Américains contestent le plan Made in China 2025, porté par le président Xi Jinping, qui vise à assurer l'autonomie technologique de la Chine.
En mai, les Chinois avaient proposé d'augmenter leurs achats de produits américains, pour un montant d'environ 70 milliards de dollars, pour réduire leur excédent commercial. Pékin s'était engagé à acheter plus d'hydrocarbures, de soja, voire d'avions Bœing. Les observateurs en avaient déduit que l'administration Trump était la grande perdante de cet accord, Washington n'ayant rien obtenu de très fondamental. Dans la foulée, Donald Trump avait durci le ton, et les " antichinois " de son équipe, le conseiller Peter Navarro et le secrétaire au commerce Robert Lighthizer, ont visiblement repris de l'influence auprès du président.
Logiquement, après l'annonce des sanctions, vendredi, les secteurs qui auraient dû bénéficier des achats chinois ont souffert en Bourse à New York : Bœing, qui vend des appareils à la Chine mais importe aussi beaucoup de pièces détachées pour ses avions 737 et 787, a reculé, tout comme le soja, que les agriculteurs américains vendent aux Chinois pour leurs élevages de porcs. Toutefois, les marchés restent beaucoup plus calmes que ne le laisserait supposer l'ampleur de la crise politique. Le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, a annoncé mercredi 13 juin que la guerre commerciale actuelle n'était pour l'instant pas visible dans les chiffres.
Dès cet hiver, le vice-président chinois Wang Qishan, recevant une délégation de patrons américains, les avait invités à faire du lobbying auprès de Donald Trump pour éviter une guerre commerciale. Parmi eux figuraient des dirigeants d'IBM, du fonds d'investissement Blackstone, dont le PDG est proche du locataire de la Maison Blanche, ou encore Qualcomm, l'entreprise californienne de semi-conducteurs, qui attend le feu vert des autorités chinoises de la concurrence pour racheter le néerlandais NXP pour un montant de 44 milliards de dollars.
Le sénateur républicain de l'Utah, Orrin Hatch a estimé que les
" droits de douane vont affecter les entreprises et les consommateurs de Chine et des Etats-Unis et mettre en danger l'économie des deux pays ". La chambre de commerce américaine, elle, déplore que ces droits fassent peser
" le coût des pratiques déloyales chinoises sur les épaules des consommateurs, des industriels, des éleveurs et des fermiers américains ". Les multinationales américaines vont payer des droits de douane sur leurs propres produits, ce qui a conduit les producteurs de semi-conducteurs à dénoncer des mesures
" contre-productives ".
L'affaire révèle l'extraordinaire imbrication des économies chinoise et américaine. L'entreprise chinoise de télécoms ZTE a dû cesser ses activités en mai, à la suite de l'interdiction de se fournir auprès d'entreprises américaines pour avoir violé les embargos sur la Corée du Nord et l'Iran. L'entreprise taïwanaise Foxconn, qui assemble en Chine les iPhone d'Apple, examine l'impact de la guerre commerciale, révèle le
Wall Street Journal. A terme, les Chinois ont un intérêt objectif à réduire leur dépendance commerciale et technologique vis-à-vis des Etats-Unis. Après le pivot vers le Pacifique engagé par Barack Obama, c'est au tour des Chinois de pivoter vers l'Ouest, quitte à davantage commercer avec les Européens.
Arnaud Leparmentier
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