Ce que j'ai entendu ces dernières heures ne me plaît pas, mais je jugerai sur les faits. " Lundi 14 mai, le chef du gouvernement espagnol,Mariano Rajoy, a comme il se doit suivi avec at-tention l'élection par le Parlement catalan de l'indépendantiste Quim Torra à la présidence de la région.
Après cinq mois de blocage, ce novice en politique a obtenu 66 voix pour, 65 contre et les -quatre abstentions des séparatistes radicaux de la Candidature d'unité populaire (CUP). Mais ce proche de Carles Puigdemont, son prédécesseur démis en octobre 2017 lors de la mise sous tutelle de la région par Madrid après sa déclaration unilatérale d'indépendance, risque de prolonger la confrontation avec l'Etat espagnol.
Institutions parallèlesM. Torra a en effet assuré qu'il sera
" fidèle au mandat - du référendum illégal -
du 1er octobre : construire un Etat indépendant sous forme de République ". Pour lui,
" l'ambition de la législature est l'élaboration d'un projet de Constitution. " Pour avancer vers l'indépendance, il a annoncé la création d'institutions parallèles, sans détailler leur fonctionnement et leur composition, mais en donnant un rôle éminent à son mentor, M. Puigdemont, toujours en attente en Allemagne d'une éventuelle extradition vers l'Espagne :
" en exil, l'espace libre d'Europe, avec son conseil de la République ", et en Catalogne, une
" assemblée des élus " dont le rôle,
" très important ", n'a pas été précisé. M. Torra a aussi promis de
" faire face avec plus de capacité de résistance aux procès des responsables politiques catalans ", attendus à l'automne. Enfin, il a annoncé qu'il rétablira
" toutes les lois suspendues par le Tribunal constitutionnel ".
La réponse de Madrid n'a pas tardé. Mariano Rajoy a dit vouloir
" miser sur l'entente et la concorde ", tout en lançant un avertissement :
" Je garantis que la loi, la Constitution et le reste du cadre juridique vont être respectés ". Le chef du gouvernement conservateur est sous pression d'une partie de l'opinion publique espagnole et de la formation libérale et " unioniste " Ciudadanos, qui exige de prolonger l'article 155 de la Constitution, celui de la mise sous tutelle de la Catalogne, en vigueur depuis la déclaration d'indépendance du 27 octobre 2017. Or le gouvernement s'était engagé à lever cette mesure d'exception dès qu'un exécutif serait formé dans la région rebelle.
Depuis des jours, Albert Rivera, chef de file de Ciudadanos, en tête dans les sondages nationaux, reproche à M. Rajoy de ne pas avoir déposé de recours devant le Tribunal constitutionnel contre le vote par procuration de Carles Puig-demont et d'un autre député " fugitif ", Toni Comin, ce qui aurait empêché l'élection de M. Torra. Il l'accuse d'avoir cédé aux exigences du Parti nationaliste basque (PNV), lequel avait posé comme condition pour soutenir, à Madrid, le projet de budget 2018, que le gouvernement lève l'article 155.
Ce positionnement inquiète les socialistes.
" S'il n'y a pas de dialogue politique, il y aura un affrontement social ", indique le dirigeant socialiste catalan, Miquel Iceta. Lui qui cherche à construire des ponts entre les blocs indépendantistes et constitutionnalistes, plaide pour
" une évolution fédérale de l'Espagne. Si nous ne trouvons pas une solution, nous serons tous perdants, car nous sommes divisés en deux et aucun ne peut prendre le dessus ". Pedro Sanchez, le secrétaire général du Parti socialiste, devait aborder la question avec M. Rajoy, mardi 15 mai. Les socialistes ne s'opposent pas à la levée de l'article 155, qu'ils souhaitent plutôt réactiver dès que nécessaire.
" C'est plus difficile la première fois que la seconde ", a souligné le porte-parole du parti, en sommant le gouvernement de faire des propositions politiques pour la Catalogne.
M. Torra n'a pas hésité à ajouter un peu d'huile sur le feu.
" Notre président est Carles Puigdemont ", a-t-il répété à plusieurs reprises lors du débat d'investiture. Mardi 15 mai, il devait se rendre à Berlin pour donner sa première conférence de presse, conjointe avec l'ancien président catalan, recherché par l'Espagne pour " rébellion ".
Le scénario " Campora "En choisissant de désigner M. Torra pour lui succéder, Carles Puigdemont semble appliquer un plan qu'il mûrit de longue date : le scénario " Campora ". En 1973, Héctor José Campora avait été élu à la tête de l'Argentine après avoir été désigné candidat par Juan Domingo Peron, lui-même exclu du scrutin. Le slogan de la campagne avait alors été
" Campora au gouvernement, Peron au pouvoir. "
M. Torra, qui n'a pas non plus -démenti les informations selon lesquelles M. Puigdemont lui aurait interdit d'utiliser le bureau officiel du président de la Généralité, ne serait qu'une " marionnette ", un " concierge " ou un " porte-voix " de M. Puigdemont – comme l'a déjà dénoncé l'opposition – lequel conserverait la
" présidence légitime " et le pouvoir réel, tout en restant à Berlin. Au moins tant qu'il ne sera pas remis à la justice espagnole. Et s'il l'est ?
" Le conflit s'aggravera ", avance un proche de l'ancien président.
Sandrine Morel
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