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mercredi 16 mai 2018

Remonter le fil de l'amnésie traumatique ......




16 mai 2018

Remonter le fil de l'amnésie traumatique



anna karlson
santé L'incapacité à se souvenir d'un événement traumatisant, engendrée notamment par une agression sexuelle, est prise en compte par un projet de loi, examiné à l'Assemblée nationale. Un groupe de parole a permis à des femmes d'échanger sur cette " mémoire congelée "

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Dans un silence impeccable ponctué de chants d'oiseaux du jardin attenant, six femmes et un homme échangent autour d'une table, grignotant des tomates cerises et des chips. Il est 13  heures et le soleil entre par touches dans la salle de la Maison de l'Assomption de -Paris, prêtée pour l'occasion.En ce jour de printemps quasi caniculaire se tient le premier groupe de paroleconsacré aux victimes de violences sexuelles dans l'enfance qui ont subi une amnésie liée aux traumatismes, menant à un effacement partiel ou total des faits dans la mémoire.
L'amnésie traumatique ? C'est un " mécanisme dissociatif, une déconnexion du circuit de la -mémoire pour survivre, qui se produit chez des -victimes de viol, mais aussi de guerre ", explique la psychiatre Muriel Salmona. La journaliste Mié-Kohiyama, initiatrice de ce projet de groupe de parole, sans vocation thérapeutique, s'est remémoré à 37  ans les viols dont elle-même a été victime petite : " L'idée est de partir du “Je” pour partager, créer du lien et échanger sur l'amnésie traumatique, ce mécanisme qu'on a toutes traversé. " Les participantes se sont inscrites au groupe sur la page Facebook Moiaussiamnésie consacrée aux victimes -d'amnésie traumatique consécutive à des violences sexuelles, que Mié a lancée fin 2017. Pour animer le groupe, Mié est accompagnée de Samir Ben -Salem, juriste de formation ayant étudié la psychologie, seul participant à ne pas être -victime, " un homme bienveillant avec un regard extérieur ", précise Mié.
" C'est mieux que tu oublies "Natacha, 37 ans, ingénieure en informatique, se lance : " C'était à une fête d'anniversaire, j'avais 16 ans. C'est une amnésie partielle, car pendant vingt ans, je ne me suis souvenue que du début et de la fin. Je pensais que c'était un viol par un seul homme. En fait, ils étaient trois et ça a duré deux heures, retrace très calmement Natacha, les regards des participants délicatement fixés sur elle. A l'époque, je me suis confiée à mon médecin, mais elle m'a dit : “Parfois, la première fois est un peu -désastreuse, ce n'est pas pour ça que c'est un viol.” "
Quand le fils de Natacha naît, il y a sept ans, elle a des crises d'angoisse. Des souvenirs, comme la vue d'un rideau " moche ", refont surface. A l'été 2017, elle voit une psychologue. " Quand je lui ai expliqué qu'il me manquait un morceau du viol, je trouvais cela absurde, décrit Natacha. Elle m'a rassurée. Puis un jour, en marchant dans la rue, j'ai eu une sensation extrêmement violente : je pleurais, je tremblais, je revivais tout. "Natacha n'arrive pas à en parler à ses proches pour l'instant : " J'ai cru que le mouvement #metoo m'aiderait, mais non, j'ai juste peur qu'on me remette en question. "
Un sentiment partagé par Sandrine, 42 ans, victime de viols par son oncle dans l'enfance : " Un membre de ma famille m'a parlé d'effet de mode quand il a su, alors que j'ai des écrits danslesquels mon agresseur dit qu'il espérait que je ne me souvienne de rien, s'indigne Sandrine. Il a avoué à mes parents, s'est excusé. Quelles preuves vouloir de plus ? " Samir remarque : " Avant #metoo, on ne t'écoutait pas et maintenant on te dit “arrête ton -cinéma”. Les gens ne veulent pas voir les victimes. "
Valérie, 42 ans,acquiesce : " Je comprends que de l'extérieur ça paraisse dingue, mais on est des -preuves vivantes que ces souvenirs congelés peuvent nous ressurgir à la figure. " Natacha, très investie dans le site internet et les actions de Moiaussiamnésie, est soulagée par ces mots : " Ça fait du bien de voir des personnes qui comprennent, car comment expliquer ça ? Bonjour, j'ai oublié la pire chose qui m'est arrivée dans ma vie ! "
Le lancement du groupe est scellé à 14  heures par l'arrivée de Rebecca et Nathalie, qui déposent sur la table en bois rectangulaire un gâteau au chocolat et des abricots secs. " Bonjour, je m'appelle Nathalie, j'ai 47 ans, j'ai deux filles… euh, ça fait un peu Alcooliques anonymes en fait ! " Les -rires éclatent. Puis le silence se réinstalle, afin que la professeure de français reprenne son récit : " Ça fait sept ans que j'ai récupéré mes souvenirs, quand ma deuxième fille avait 5 ans et demi, l'âge auquel j'ai été violée par mon oncle. On allait chez lui une fois par an jusqu'à mes 9 ans. Les deux ans qui ont -entouré la sortie d'amnésie ont été les pires de ma vie, mais j'ai réussi à traverser le tunnel. "
L'énergique Sandrine, en jean et baskets roses, qui travaille dans les ressources humaines, -embraye. " J'ai 42 ans, trois enfants. J'ai été violée – c'est un mot que j'ai eu du mal à dire – par le petit frère de mon père. Il était hébergé à la maison quand j'avais 6 ans. Cela a duré dix-huit mois, -jusqu'à ce que mes parents le mettent à la porte car je leur avais dit qu'il fumait, retrace Sandrine dans un débit accéléré, ses ongles vernis de rouge en mouvement devant elle. Comme toi, Nathalie, je m'en suis souvenue quand ma fille avait 5 ans et demi. Lors d'un repas de famille, elle était assise à côté de mon agresseur. J'ai eu peur pour elle. Ça a commencé là, mais je n'ai pas d'exactitude de quand tout est remonté, c'est un peu comme un robinet mal fermé. "
A cette période, Sandrine enchaîne des angines, des pharyngites, des hernies sans savoir pourquoi. " C'est mieux que tu oublies ", lui dira sa mère. " Je trouve ton témoignage très parlant, -indiqueMié, car l'amnésie traumatique, c'est aussi les douleurs physiques, ces maux emprisonnés dans le corps. "
" Une torture "Malgré la prescription, encouragée par un commandant de police rencontré lors d'une -diffusion du documentaire " Viols sur mineurs : mon combat contre l'oubli ", de l'animatrice -Flavie Flament, Sandrine a porté plainte. Nathalie a fait de même. " Ma sœur m'a dit d'y aller si -jamais il y avait d'autres victimes ", dit-elle. -Natacha n'a pas encore pris de décision. " C'est un miracle que j'arrive à en parler sans pleurer, sourit-elle. Ce sera prescrit en octobre, donc j'espère arriver à la plainte. "
Edmonde (son prénom a été modifié), 65 ans, retraitée de l'enseignement, a vu des souvenirs remonter à 46 ans. " Quand j'avais 4 ans et demi, alors que ma mère était hospitalisée, mon frère, qui avait 12 ans, m'a touchée avec le gant puis avec le thermomètre pas au bon endroit. Il savait très bien ce qu'il faisait car il avait de la vaseline avec lui, scande-t-elle en élevant la voix et en tapant sur la table avec sa main.C'est un salaud ! " La -petite Edmonde en parlera à sa mère qui la traitera d'" affabulatrice "" L'amnésiese déclenchealors. Il y a deux semaines, j'ai encore eu une levée de l'amnésie, j'ai revécu et dégueulé le mal partout ", souffle-t-elle.
Claire, 64 ans,retraitée elle aussi, prend la-paroleles yeux presque fermés derrière ses -lunettes rondes : " Je retrouve la même chose que toi, je suis tout le temps en train de revivre des -moments. Mon père m'a agressée petite. Puis j'ai été violée à 21 ans par un inconnu, ça m'a foutue par terre. J'ai des trous dans la mémoire, il m'a donc fallu passer un temps fou à détricoter pour retrouver mon histoire. "
Mié propose à Rebecca, institutrice de 33 ans, d'en dire un peu plus sur elle. " Je suis hospitalisée depuis deux mois et je pense que ce groupe est une des dernières étapes avant ma sortie, dit-elle les mains jointes devant sa poitrine. Ça a commencé quand j'avais 7 ans, c'était le compagnon de ma mère. Les premiers souvenirs de bains avec mon beau-père sont revenus en  2016, au cours d'une conversation avec une amie. Mon frère a confirmé mes doutes. Puis, j'ai revu des scènes où mon -beau-père me montrait comment le masturber, surtout de 7 à 10 ans. A la suite d'un cauchemar, j'ai -ressenti une grande douleur dans le bas-ventre qui me transperçait.Cela m'a menée à deux tentatives de suicide. " Face aux participants, Rebecca décortiquece qu'elle ressent : " Je m'en suis beaucoup voulu et je m'en veux toujours, mais je me rends compte aussi de la chance que je me donne en -mettant en place les choses pour aller bien, pour -atténuer ce poids de la culpabilité qui a verrouillé davantage les souvenirs. "
Après quatre heures de discussion, un tour de table a lieu pour que chacune dise ce qu'elle -retiendra du groupe." J'emmène toutes vos histoires comme un espoir, et je vais essayer de puiser un peu en chacune d'elles ", s'égaye Natacha. Sandrine se dresse sur sa chaise : " Moi, je repars avec le sac à dos plein, vous m'avez fait prendre une bouffée d'air. " Rebecca a lesourire : " J'étais venue chercher de la résonance et c'est ce que j'ai trouvé dans vos récits. " Il est 18  heures, certaines échangent leurs numéros, d'autres se disent merci.
La psychiatre Muriel Salmona, spécialisée en psychotraumatologie, souligne l'intérêt du groupe de parole : " C'est une chance immense de se sentir entouré et d'obtenir une reconnaissance des autres. La mémoire traumatique est une torture, mais à partir du moment où les souvenirs -remontent, c'est le signe que l'on peut se soigner : on ne survit plus. On va alors pouvoir travailler sur le psychotraumatisme. Et le groupe aide aussi à voir qu'on est capable de vivre. "
Sophie Boutboul
© Le Monde



16 mai 2018

le délai de prescription en débat

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Lors de l'examen du projet de loi -contre les violences sexuelles et sexistes, qui a -débuté lundi 14  mai en séance publique, à l'Assemblée nationale, Sophie Auconie, -députée (UDI) d'Indre-et-Loire, présentera un amendement approuvé au Sénat. Ce dernier prévoit que l'amnésie traumatique soit -considérée comme un obstacle à la dénonciation des faits entraînant la suspension de la prescription.
L'amnésie post-traumatique fera quoi qu'il -arrive son apparition dans la -législation puisqu'elle est citée dans le projet de loi parmi les arguments ayant motivé l'allongement du délai de prescription de vingt à trente ans pour les crimes sexuels.
Dans une étude prospective de 1995, la sociologue américaine Linda Williams avait recueilli les témoignages de 129 femmes reçues à -l'hôpital après des plaintes dans leur enfance pour des violences sexuelles. Parmi elles, 38  % ne se souvenaient pas du viol ou des agressions subies dix-sept ans auparavant. " La loi prendra désormais en compte la réalité des difficultés que les mineurs victimes peuvent rencontrer à révéler les faits, quand ils se retrouvent plusieurs -années dans l'incapacité de s'en souvenir ",explique Youssef Badr, porte-parole de la chancellerie.
" Stress post-traumatique "En France, la psychiatre Muriel -Salmona travaille depuis des années sur le mécanisme de l'amnésie traumatique. Elle a réalisé, en  2015, l'enquête " Impact des violences sexuelles de l'enfance à l'âge adulte ", avec le soutien de l'Unicef. Conduite auprès de 1 200 victimes par son -association, Mémoire traumatique, elle concluait que plus d'un tiers des répondants témoignaient d'une -période d'amnésie traumatique.
Dans le DSM-5, le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l'Association psychiatrique américaine, l'amnésie dissociative est décrite comme un " symptôme de l'exposition à la mort, à des blessures graves ou à des violences sexuelles ". Il y est expliqué que " certaines personnes présentant un syndrome de stress post-traumatique peuvent ne pas se rappeler une partie ou la totalité d'un événement traumatique, comme une victime de viol souffrant de -déréalisation ".
Jim Hopper, psychologue américain, enseignant à la Harvard Medical School, complète : " Certaines parties de l'événement traumatique sont encodées et enregistrées, mais pas forcément appréhendées. Les souvenirs peuvent ensuite remonter quand la personne se trouve dans un environnement moins hostile, se sentant en sécurité. " Il note que certains voient leur souvenir ressurgir en -entendant que leur agresseur a récidivé, en vivant une nouvelle agression, lors de souffrances telles des maladies, la perte d'un être cher ou encore quand un de leurs -enfants atteint l'âge qu'ils avaient lors du traumatisme.
" Mais on ignore précisément ce qui permet cette récupération des souvenirs. Son contexte est semblable à la combinaison d'une serrure ", analyse Jim Hopper. Une vision partagée par David Corwin, le premier pédo-psychiatre à avoir filmé une jeune fille de 17 ans retrouvant les souvenirs perdus qu'elle lui avait confiés lorsqu'elle avait 6  ans dans le cadre d'un mandat de justice.
Dans les années 1990, aux Etats-Unis, un débat a eu lieu sur des " épidémies de faux souvenirs " ou sur le " mythe des souvenirs refoulés ", -sujet du livre de la psychologue Elizabeth Loftus (Exergue, 2001), connue pour avoir démontré que des thérapeutes pouvaient -implanter des souvenirs dans la tête des patients par leurs questions. Elle était dans l'équipe de la défense de Bill Cosby, condamné fin avril pour agressions sexuelles. " Je ne nie pas qu'il y ait de faux souvenirs, mais peu de levées d'amnésie se font dans le cadre de la thérapie ", -affirme Jim Hopper.
Face à ce débat américain, Muriel Salmona s'attelle à rappeler que les fausses allégations de violences sexuelles chez les personnes déposant une plainte sont rares. Une étude du psychologue américain -David Lizak, portant sur 136 cas de violences sexuelles, les estimait à 5,9 %. Et une étude canadienne évaluait les faux témoignages de violences sexuelles dans l'enfance à 4  %.
So. Bo.
© Le Monde

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