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mercredi 16 mai 2018

L'optimisme retrouvé du Portugal


16 mai 2018.

L'optimisme retrouvé du Portugal

Sorti du plan d'aide européen en 2014, le pays profite du rebond de ses exportations. On recense moins de départs chez les jeunes Lusitaniens

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En ce matin ensoleillé de mars, difficile de se frayer un chemin Rua da Prata, au cœur de Lisbonne. Une bande de retraités -japonais se serrent devant la vitrine d'une conserverie traditionnelle, où les recettes de sardines revisitées s'arrachent à prix d'or. En face, un vendeur de souvenirs déploie une collection de bracelets en liège sous le regard hésitant d'un couple enlacé. " Lorsque nous nous sommes installés ici, il y a sept ans, les immeubles tombaient en ruine et j'avais peur de marcher seule dans les rues désertes ", se souvient Ana Santiago, l'une des dirigeantes de l'incubateur Startup Lisboa.
A l'époque, les caisses de la capitale portugaise sont vides. Le pays, en pleine récession, est sous la coupe des politiques d'austérité. Prête à tout pour sauver la cité, la mairie installe un lieu dévolu aux jeunes entreprises dans le centre-ville, alors décati. Le pari est osé, mais il fonctionne. Aujourd'hui, les créateurs de start-up européens se battent pour décrocher une place au sein de -l'incubateur, qui a essaimé dans d'autres quartiers. Quant aux touristes, ils prennent d'assaut les rues -historiques, le nez levé vers les façades rénovées. " Pendant la crise, nous avons tout perdu, y compris la peur, résume Ana. C'est ce qui nous a donné la force de nous relever. "
Quelque chose a changé au Portugal. Cela ne tient pas seulement à -l'essor du tourisme lisboète. Ni aux bons chiffres de la croissance retrouvée. En  2017, le produit intérieur brut (PIB) a progressé de 2,7  %, au plus haut depuis dix ans. Le taux de chômage est retombé sous la barre des 8  %, loin du pic de 17  % atteint en  2013. " La structure de notre économie s'est transformée en profondeur, et nous avons gagné des parts de marché à l'étranger, détaille Augusto Santos Silva, le ministre des affaires étrangères.Grâce à cela, le poids de nos exportations dans le PIB est passé de 30  % à 43  % depuis 2007. "
Le gouvernement auquel il appartient, dirigé par le socialiste Antonio Costa, allié aux communistes et au Bloc de gauche, est arrivé au pouvoir fin 2015. Avec une promesse : tourner la page de la rigueur et soutenir la consommation, tout en poursuivant le redressement des finances publiques. A ce moment-là, nombre d'observateurs se montraient sceptiques. " Mais cela a marché, analyse Pedro Magalhaes, politologue à l'université de Lisbonne. Le pouvoir d'achat s'est redressé, tout comme l'optimisme et les exportations. "
Le pays est plus ouvert et plus fier. Depuis janvier, la réunion des ministres des finances de la zone euro (l'Eurogroupe) est dirigée par un Portugais, Mario Centeno. Le symbole est fort pour Lisbonne qui, en  2011, victime de la spéculation sur sa dette souveraine, fut contraint d'être placé sous la tutelle de ses -partenaires européens. " Nous l'avons vécu comme une humiliation ", se rappelle le journaliste et écrivain Hugo Gonçalves, qui appartient à la génération née après la " révolution des œillets ", en  1974. Celle qui a vécu le décollage économique consécutif à l'entrée dans l'Union européenne, en  1986. " Nous avons grandi avec la conviction que tout irait toujours mieux. La crise de 2008 nous a fait faire un terrible bond en arrière ", raconte-t-il.
" Nous nous sommes réinventés "En  2011, comme des milliers d'autres jeunes, il émigre pour fuir le chômage. Direction le Brésil, alors en plein boom. Avant lui, son père et son grand-père étaient, eux aussi, à leur époque, -partis chercher meilleure fortune ailleurs, en France. Avant de revenir. Mais, à la différence de leurs aînés, les émigrés des années 2010 sont -diplômés de l'éducation supérieure. Depuis le pic de 2013, où 120 000 d'entre eux ont fait leur valise, les départs refluent.
Certains commencent à revenir. Comme Hugo Gonçalves. Ou Ana Garcia, rentrée d'Angola en  2015, après sept ans passés dans l'ancienne colonie portugaise. Là-bas, elle travaillait au département marketing d'une compagnie gazière. " Le Portugal me manquait ", confie-t-elle. A son retour, elle crée Ohmm, une agence de location immobilière. " J'ai lancé mon entreprise au moment où le tourisme décollait et où mon pays reprenait espoir. J'ai eu de la chance, ou du flair ! "
Les Portugais ont un mot pour cela : desenrascanço, que l'on pourrait traduire par la capacité à improviser des solutions. Un trait de la -culture lusitanienne. Pendant les années difficiles, ceux qui n'ont pas émigré ont créé de petites entreprises familiales. Les PME du textile ou de l'agroalimentaire, elles, sont allées chercher en Asie les clients qu'elles ne trouvaient plus dans une Europe en récession. " La crise a agi comme un électrochoc pour beaucoup d'entre nous, juge M. Gonçalves. Nous nous sommes réinventés. "
Le pays, cependant, a encore beaucoup à faire pour panser les cicatrices laissées par la crise. A commencer par la précarité économique. De nombreux employeurs abusent des recibos verdes (" reçus verts "), ces contrats à l'origine conçus pour les indépendants et n'offrant aucun droit – congés, indemnités chômage et maladie – aux salariés. " J'enchaîne les recibosverdes depuis quatre ans dans l'hôtellerie. Même le secteur -public en propose. C'est la flexibilité voulue par Bruxelles, sans la sécurité ", déplore Jorge Cortes, 29 ans. Selon les derniers chiffres disponibles, 127 800 travailleurs étaient dans la même situation en  2016.
Comme Jorge Cortes, beaucoup de jeunes peinent encore à boucler les fins de mois. Le salaire minimal, aujourd'hui de 580  euros mensuels (contre 1 498,47  euros en France), a été revalorisé deux fois depuis fin 2015. Mais cela est largement insuffisant. "Le tourisme a fait bondir les loyers. Les familles modestes ne peuvent plus se loger à Lisbonne et à Porto ", s'inquiète Eugenio Fonseca, président de la branche portugaise de l'association catholique Caritas. Sa crainte : que, ces prochaines -années, la reprise économique se fasse au prix du creusement des -inégalités. D'autant que, passé l'effet de rattrapage, la croissance devrait retrouver son rythme de croisière, plus bas, autour de 1,5  %…
M. C.
© Le Monde

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