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mercredi 16 mai 2018

La gauche, année zéro


16 mai 2018

La gauche, année zéro

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Le constat relève de l'évidence : les élections de 2017 ont fait exploser la gauche. Electoralement, politiquement, idéologiquement, ce " camp ", qui a structuré l'histoire du pays depuis plus d'un siècle, s'est retrouvé en miettes, fracturé et impuissant face au chamboule-tout de la présidentielle et des législatives.
Un an a passé. Le diagnostic n'a pas changé : c'est la gauche année zéro. En l'occurrence, zéro ne signifie pas le point de départ d'une reconstruction, d'une réinvention, encore moins d'une reconquête. Mais le maintien en déshérence de cet espace qui s'était avant tout construit dans la lutte pour la justice sociale contre les inégalités. Personne n'est venu l'occuper.
La majorité présidentielle aurait pu. Le champ était libre et la promesse du candidat Macron se voulait œcuménique, " de droite et de gauche ", capable de " protéger "autant que de " libérer ". Devenu président, par inclination autant que par stratégie, il a choisi d'investir le terrain traditionnel de la droite pour mieux achever de la déstabiliser. La liberté de l'entrepreneur a primé sur la protection du salarié, la promotion du risque sur la sécurité de l'emploi, l'attractivité de la France sur le pouvoir d'achat des Français. Quant au volet social annoncé, il est resté limité (augmentation du minimum vieillesse, dédoublement des classes de cours préparatoire), fractionné (suppression à terme de la taxe d'habitation), hypothétique (réformes en gestation de la formation professionnelle ou de l'apprentissage) ou encore dans les limbes (plan en faveur des banlieues).
" Imposture "C'est au point que, dans la majorité même, des voix s'interrogent ou s'inquiètent. Ainsi l'ancien premier ministre Manuel Valls appelait récemment de ses vœux " un plan audacieux contre la pauvreté " pour répondre " à l'attente puissante de justice sociale ". Dimanche 13  mai, le président du MoDem, François Bayrou, a souligné que les Français ont besoin " d'attention, de reconnaissance et de justice, au moins autant que d'efficacité ". Quant à l'ancienne socialiste Brigitte Bourguignon, présidente de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, elle ne cache plus ses " inquiétudes " : " Nous avons le devoir de faire plus, et plus vite, pour ceux qui ont moins ", a-t-elle martelé.
Pour l'heure, le chef de l'Etat fait la sourde oreille. Ecartant d'un revers de main l'étiquette de " président des riches " que lui a valu sa première année de mandat, il ne semble guère enclin à dévier du sillon qu'il a commencé à tracer. Il est vrai que la gauche patentée est, jusqu'à présent, trop timorée, divisée ou caricaturale pour lui opposer une concurrence sérieuse.
Elle dénonce ou vitupère, bien sûr. Le " nouveau monde " macronien " est, en fait, la nouvelle droite ", griffe Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste. " L'imposture " ne tardera pas à éclater, assure l'ancien candidat socialiste Benoît Hamon, tant il est évident, à ses yeux, " qu'on est 100  % dans la droite libérale et conservatrice ". Quant au chef de file de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, il veut croire (dans la dernière livraison de son blog) que " c'est un peu panique à bord chez l'adversaire " devant la " marée populaire " appelée à se lever lors de la manifestation du 26  mai à Paris.
Mais ces trois oppositions mettent le plus clair de leur énergie, comme chien et chat, à se récuser mutuellement pour tenter d'asseoir ou de restaurer leur prééminence. Jean-Luc Mélenchon y va au lance-flammes : " Le PS, ce boulet de la gauche ", est le " faux nez du retour de François Hollande ". D'ailleurs, ajoute-t-il, " le front uni de la petite gauche n'a jamais été notre but, c'est même un obstacle " pour atteindre l'objectif recherché : " La fédération du peuple ".
A la tête de son mouvement, Génération.s, Benoît Hamon n'est pas en reste : Mélenchon a choisi une " stratégie populiste ", le PS s'est discrédité au pouvoir, donc " nous sommes la gauche puisque tous les autres ne le sont pas ! " CQFD. Quant à Olivier Faure, il se veut optimiste sur sa capacité à " créer une alternative crédible entre la droite incarnée par Emmanuel Macron, et Jean-Luc Mélenchon, qui n'est une alternative crédible aux yeux de personne ". Ambiance !
Tant qu'il en sera ainsi, le président de la République pourra continuer à avancer sans trop de soucis. Mais il est d'autant plus surprenant qu'il ne cherche pas davantage à occuper, d'une manière ou d'une autre, ce terrain en jachère.
par Gérard Courtois
© Le Monde

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