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mercredi 16 mai 2018

Europe, le fragile retour de la croissance


16 mai 2018

Europe, le fragile retour de la croissance

Dix ans après le début de la crise, qui a laissé de profondes séquelles, l'économie européenne va mieux. Toutefois, les inégalités prospèrent, faisant le lit du populisme

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Un peu de naïveté. Une -certaine ignorance des mécanismes financiers. Beaucoup d'illusions, aussi. Plonger dans les archives du Monde a quelque chose de vertigineux. Et de douloureux. C'est se rappeler qu'il y a dix ans, en mai  2008, beaucoup d'Européens imaginaient encore qu'ils échapperaient au pire. Que la crise des subprimes américains, ces crédits hypothécaires accordés à des ménages peu solvables, resterait cantonnée aux Etats-Unis. Personne ou presque ne soupçonnait que la banque américaine Lehman Brothers ferait faillite quatre mois plus tard, mettant le feu aux poudres.
En mai  2008, la zone euro célébrait encore les bons chiffres de sa croissance : + 0,7  % au premier trimestre. Balayant les incertitudes financières s'accumulant à l'horizon, la Banque centrale européenne, dont le taux directeur était toujours à 4  %, s'enorgueillissait de ne pas céder aux sirènes alarmistes. " Les fondamentaux économiques restent sains ", affirmait son président, Jean-Claude Trichet, le 8  mai. Pour lui, le véritable risque était l'inflation, qui culminait alors à 3,3  %. En France, seule une poignée d'économistes avaient compris que l'ouragan de la crise s'apprêtait à frapper le Vieux Continent avec violence.
Dix ans après, comment va l'Union européenne (UE) ? La récession, la rigueur et la crise des dettes souveraines ont laissé de profondes séquelles – à commencer par le chômage des jeunes (15,6  % de la population active), celui de longue durée (45  % des chômeurs) et le niveau élevé des dettes publiques (81,6  % du PIB). Mais, dans l'ensemble, l'économie se porte mieux. En dépit du bref trou d'air du premier trimestre 2018, elle a renoué avec la croissance. " La reprise est pour le moment soutenable, nous l'attendions depuis longtemps ", résume Olivier Blanchard, ex-chef économiste du Fonds monétaire international. " La consommation et l'investissement sont repartis, il n'y a pas de déséquilibres majeurs ", observe Philippe Martin, président délégué du Conseil d'analyse économique, un organisme rattaché à Matignon.
" Fragmentation sociale "Après 2,4  % en  2017, l'UE devrait croître de2,3  % cette année, selon la Commission européenne. La zone euro a créé 7,5  millions d'emplois depuis quatre ans. Son taux de chômage, qui a culminé à 12,1  % début 2013, est retombé à 8,5  %, son niveau de décembre  2008. La Grèce, toujours sous assistance européenne, n'est pas encore tirée d'affaire. Mais l'Espagne et le Portugal ont renoué avec le dynamisme. " Notre reprise est équilibrée, nos entreprises sont montées en gamme ", se félicite Manuel Caldeira Cabral, le ministre de l'économie portugais. " 2017 fut une année fantastique pour les exports finlandais ", note Heidi Schauman, économiste à la banque Aktia, à Helsinki. " L'Irlande est au quasi plein-emploi et nous avons redressé nos finances publiques ", se réjouit Fergal O'Brien, du patronat irlandais, à Dublin.
Oui, l'économie européenne va mieux. Seulement voilà : il y a le Brexit. Il y a les tensions commerciales avec les Etats-Unis, susceptibles de faire dérailler la reprise. Il y a la Hongrie de Viktor Orban, la Pologne de Jaroslaw Kaczynski, la République tchèque d'Andrej Babis : la montée des populismes à l'Est interroge le futur que les Européens désirent – ou non – construire ensemble. Les capitales ne se font plus confiance. La France et l'Allemagne sont toujours incapables de s'entendre sur les réformes à mener pour renforcer la zone euro, tandis que les débats à Bruxelles, souvent techniques et sans fin, alimentent l'exaspération des citoyens : beaucoup estiment que les " costume cravate " de la Commission se fichent de leur sort.
Dans ces conditions, peut-on encore être optimiste à propos de l'Europe ? Répondre par la négative serait trop facile. La question mérite de prendre du recul. Dans son dernier rapport, la Banque mondiale se penche sur l'évolution du continent depuis l'après-guerre. " L'UE a été une formidable machine à convergence, qui a renforcé la croissance, la prospérité, et a profité à l'ensemble des citoyens et entreprises pendant plus de soixante ans ", rappelle l'institution. Après la chute du communisme, les pays d'Europe de l'Est ont vu leurs revenus tendre vite vers ceux de l'Ouest grâce à l'intégration européenne. Tout comme le Portugal, qui a rejoint l'Union en  1986, douze  ans après la chute de la dictature de Salazar, et l'Espagne, onze ans après la mort de Franco. Le marché unique a musclé les échanges entre pays membres. Bénéficiant de l'effacement des frontières, l'Allemagne a profité de la main-d'œuvre peu chère en Europe de l'Est pour développer son industrie. L'euro a fin mis à la concurrence déloyale par les dévaluations monétaires qui, en France, faisaient flamber l'inflation.
La crise de 2008 a presque fait oublier que le modèle social européen est un meilleur rempart que celui des Etats-Unis contre les inégalités. Selon les données du projet World Wealth and Income Data Base, emmené par l'économiste Thomas Piketty, le " top 1  % " des Américains et Européens les plus riches détenait environ 10  % du revenu national en  1980. Cette part est montée à 12  % en Europe en  2016… Mais elle a doublé outre-Atlantique (20  %). Parallèlement, la part de revenu détenu par la moitié la plus pauvre des Américains a chuté de 20 % à 12,5  % aux Etats-Unis, tandis qu'elle est toujours proche de 22  % sur le Vieux Continent.
Et pourtant. Depuis quelque temps, la machine à convergence de l'Europe fonctionne moins bien. A l'intérieur des pays, les inégalités se creusent entre les grandes métropoles riches en industries et services et les régions rurales. Entre les très diplômés captant les meilleurs emplois et les peu diplômés, abonnés à la précarité. Entre ceux qui profiteront de la révolution technologique et ceux qui en seront exclus." Le plus grand danger que court aujourd'hui l'Europe est celui de la fragmentation sociale ", dit Marcel Fratzscher, directeur de l'institut de recherche allemand DIW. Fragmentation sur laquelle prospèrent déjà les populismes. " L'UE n'agit pas suffisamment pour le bien commun ", regrette l'eurodéputée socialiste Pervenche Berès, appelant à des réformes permettant de muscler la solidarité et de mieux prévenir les crises.
Mais les mesures susceptibles de sauvegarder les modèles sociaux et de solidifier les économies – investir dans l'innovation, renforcer l'éducation et la formation – relèvent aussi des choix nationaux et des stratégies mises en œuvre par les seuls gouvernements. En matière de croissance et de politique, tout attendre de l'Europe est aussi vain que d'accuser celle-ci de tous les maux…
Marie Charrel
© Le Monde

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