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mercredi 16 mai 2018

Chômage de longue durée : les territoires se mobilisent


16 mai 2018

Chômage de longue durée : les territoires se mobilisent

En Meurthe-et-Moselle, une loi peu connue, votée par le Parlement, permet aux chômeurs de revenir à l'emploi

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Près du bassin où s'ébattent des carpes koï, trois hommes suent à grosses gouttes. Ils ont déjà rehaussé les murs, consolidé la charpente. Reste à couvrir l'auvent. Qu'importe si le soleil cogne fort ce vendredi 11  mai sur le bourg lorrain de Gerbécourt-et-Haplemont : Marc Duval-Hass et ses collègues en redemandent. Qui dit chantier dit travail. " Une bouffée d'air " inespérée après un an, parfois plus, à se ronger les sangs faute d'emploi. Car les trois ouvriers sont des rescapés du chômage de longue durée. Le phénomène touchait encore 46,1  % des chômeurs au premier trimestre 2018, selon la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares). Un chiffre qui a explosé en  2008 avec la crise et peine depuis à diminuer. Surtout dans des territoires comme ce bout rural de Meurthe-et-Moselle, affectés de longue date par la désindustrialisation et la déprime du bâtiment.
Chauffeur pendant treize ans pour une entreprise de travaux publics, Marc Duval-Hass était aux premières loges. " Avant la crise, se souvient-il, quand je montais à la carrière en camion chercher du sable, je faisais la queue. Puis, il y a eu de moins en moins de monde au chargement… " L'entreprise qui l'employait a compté jusqu'à une centaine de salariés et intérimaires, avant d'enchaîner les plans de licenciements jusqu'en  2015. Quand est venu le tour du quinquagénaire, père de cinq enfants, " ça a été la claque. Trois mois sans salaire avant la liquidation. Un gouffre ". La chute est d'autant plus rude que Pôle emploi, ici, n'a pas grand-chose à proposer. Thanry, la scierie de Favières, a fermé ses portes au début des années 2000. A Toul, c'est l'usine de pneus Kleber qui a mis la clé sous la porte. Même la cristallerie de Vannes-le-Châtel a réduit la voilure.
Pour l'ancien chauffeur, la lumière est venue d'une initiative peu connue, permise par une loi votée en février  2016 à l'unanimité par le Parlement : l'expérimentation zéro chômage longue durée. Comme neuf autres territoires en France, celui de Colombey-les-Belles, a obtenu l'autorisation de recruter en CDI, par le biais d'une entreprise à but d'emploi (EBE), des salariés jusque-là privés de travail. Entre Blénod-lès-Toul et Aboncourt, environ 500 personnes y sont éligibles. Des chômeurs, mais aussi des allocataires de minima sociaux qui n'arrivent pas à joindre les deux bouts.
Tout le territoire en profitePorté par ATD Quart Monde, le projet repose sur un principe simple : plutôt que de verser une indemnité chômage (un chômeur de longue durée recevant à peu près 18 000  euros par an), l'Etat abonde un fonds qui reverse la somme aux EBE pour chaque personne recrutée. Ces dernières, en lien avec Pôle emploi et les missions locales, développent des activités en fonction des compétences de leurs salariés. " Ils nous disent ce dont ils ont envie. L'offre et la demande d'emploi sont inversées ", souligne Aurélie Mathelin, chargée du projet.
Installée dans un entrepôt de 1 000 m² à Bulligny, La Fabrique a commencépar se lancerdans la " recyclerie ". Grâce aux aides additionnelles de la région et du département, 40 000  euros ont été investis dans des machines de peinture et d'ébénisterie. " On nous a même proposé une formation dans une école d'ameublement. Jamais un patron ne m'a donné ça ", s'étonne encore Philippe Terrillon, un menuisier échevelé de 60 ans. Une boutique a ouvert dans la zone industrielle pour écouler les pièces réparées et relookées.
Au fil des embauches, l'activité s'est diversifiée : maraîchage bio, taille de vignes et vergers, miellerie, bûcheronnage… 53 salariés sont aujourd'hui employés par La Fabrique. Tout le territoire en profite. Un comité local, composé de partenaires du projet, d'élus et de chefs d'entreprise, est consulté tous les mois. Tant qu'elle ne concurrence pas des entreprises déjà présentes sur le territoire, l'EBE peut tout se permettre. Elle compte bientôt ouvrir un atelier de matelasserie en laine de mouton, la future Literie laine du Grand Est. Résultat : pour un chiffre d'affaires de 99 000  euros, La Fabrique a reversé 372 160  euros de salaire à ses employés en  2017. Et c'est sans compter les aides à la mobilité et le soutien psychologique.
" C'est pas compliqué, on revit ", résume Marc Duval-Hass. Un de ses fils, âgé de 28 ans, travaille aussi pour La Fabrique. " Alors ma foi, dit le père, je me vois bien encore faire ça une paire d'années. " Officiellement, l'expérimentation court jusqu'en  2021. Ses promoteurs espèrent bien convaincre les parlementaires de voter une nouvelle loi pour en élargir le champ. Ils doivent se rendre le 15  mai, à l'Assemblée nationale, pour défendre leur projet.
Élise Barthet
© Le Monde

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