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dimanche 29 avril 2018

Les deux Corées passent un cap vers la paix


29 avril 2018

Les deux Corées passent un cap vers la paix

La déclaration des dirigeants du Nord et du Sud mentionne une " dénucléarisation complète de la péninsule "

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Une dénucléarisation complète de la péninsule " ainsi que la tenue cette année de négociations en vue d'un traité de paix mettant fin à la guerre de Corée (1950-1953) sont les principaux engagements pris par les dirigeants des deux Corées vendredi 27  avril. Ils se sont rencontrés à Panmunjom, au milieu de la zone démilitarisée qui les sépare, stigmate d'un des conflits les plus meurtriers du XXe  siècle, suspendu par un simple armistice.
Afin de ménager les susceptibilités, la garde d'honneur convoquée pour l'événement était vêtue de tenues de l'armée royale d'avant la colonisation japonaise (1910-1945) et la division de la péninsule par les vainqueurs américains et soviétiques de la guerre du Pacifique.
Ce troisième sommet entre les deux pays, grand spectacle d'une journée parfaitement chorégraphié et fortement médiatisé, a offert l'image de dirigeants – accompagnés de leurs épouses – détendus et chaleureux. Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un et le président du Sud Moon Jae-in se sont longuement entretenus, allant jusqu'à s'isoler une demi-heure en tête à tête sur une petite terrasse de bois bleue, loin de leurs conseillers et de leurs services de sécurité.
La déclaration signée à l'issue de cette rencontre s'en tient à de grands objectifs, sans entrer dans les détails ni indiquer les étapes pour les réaliser ou un calendrier. Mais la cordialité affichée n'en donne pas moins un élan décisif à la paix. L'ordonnateur du sommet, M.  Moon, chercherait-il à contraindre le président américain à reprendre ce registre pacifique lors de sa rencontre prévue fin mai ou début juin avec M.  Kim ?
" Acteurs de l'histoire "Conclue après une année marquée dans les deux Corées par la crainte d'une nouvelle guerre, la déclaration de Panmunjom renforce la dynamique d'apaisement observée dans la péninsule depuis le début de l'année – enclenchée par l'invitation au dialogue lancée par Kim Jong-un dans son discours du 1er  janvier, mais formulée dès l'été 2017 par Moon Jae-in.
Elle fut accueillie avec soulagement par la population. Le sommet a été retransmis en direct à la télévision au Sud, où il a suscité une vive émotion, mais en différé au  Nord, où la presse du 28  avril mentionnait la dénucléarisation.
Par des actes symboliques comme le petit ballet des deux dirigeants franchissant à tour de rôle, comme s'ils s'en jouaient, la ligne de démarcation matérialisée au sol par une barre de béton, la troisième rencontre intercoréenne a pris un tour historique : au-delà de décennies d'hostilité et des enjeux géopolitiques contemporains, les deux Corées ont indiqué au reste du monde qu'elles sont une.
" Nous sommes les acteurs de l'histoire. Nous devons assumer une mission que personne ne peut accomplir pour nous ", a déclaré M. Kim au cours du dîner, avant son retour à  Pyongyang, en écho aux déclarations de M.  Moon avant son élection en mai  2017 : " Les problèmes de la Corée doivent être traités par la Corée. "
Le chemin sera long avant que les engagements se concrétisent. " Une dénucléarisation de toute la péninsule " en particulier – " objectif commun " de Pyongyang et de Séoul selon le communiqué – sera le dossier le plus litigieux. Les Etats-Unis exigent en effet une dénucléarisation unilatérale de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) ; Pyongyang et désormais Séoul parlent d'une dénucléarisation de " toute la péninsule " – ce qui pourrait impliquer de mettre aussi fin à la protection nucléaire de la Corée du Sud par Washington.
" Il n'y aura plus de guerre dans la péninsule coréenne ", ont promis les deux dirigeants, et pour l'instant tout le monde se félicite des espoirs de résolution pacifique.
" Les Etats-Unis et leur grand peuple devraient être fiers de ce qui se passe en Corée ",a tweeté Donald Trump, qui, à l'automne 2017 encore, jugeait que M.  Moon perdait son temps à vouloir dialoguer avec le Nord. Pékin a  qualifié ce sommet de " développement positif en vue de la réconciliation et de la coopération intercoréenne ".Le Japon, de son côté, arc-bouté sur sa politique de fermeté face à la Corée du Nord,attend des " mesures concrètes ".
Afin d'établir une paix durable dans la péninsule, Pyongyang et Séoul se déclarent prêts à un désarmement progressif et appellent à des rencontres au plus haut niveau entre les signataires (Chine, Etats-Unis et Corée du Nord) de l'armistice qui, en  1953, a mis fin à trois années de combats sans avoir jamais été suivi d'un traité de paix, laissant les deux Corées techniquement en état de guerre, situation qualifiée vendredi d'" anormale ".
InfrastructuresLa déclaration prévoit également une reprise des réunions des familles séparées par la guerre le 15  août, jour anniversaire de l'indépendance de la Corée à la suite de l'occupation japonaise, ainsi que la mise en œuvre des principaux projets (48 au  total) décidés lors du sommet de 2007 – dont le développement d'une ligne de fret et l'établissement d'une zone de paix en mer Jaune, théâtre de plusieurs incidents depuis la fin des années 1990. Projets qui n'ont jamais été amorcés en raison de l'arrivée au pouvoir à Séoul, l'année suivante, du président conservateur Lee Myung-bak. Cette coopération devrait commencer par la remise en état d'infrastructures dont le réseau ferroviaire : reprendra-t-elle sans attendre des progrès en matière de dénucléarisation ?
L'atmosphère de ce dernier sommet intercoréen tranche avec le premier, en  2000, lorsque le président Kim Dae-jung s'était rendu à Pyongyang. Sa rencontre avec Kim Jong-il (1942-2011) marqua un tournant dans les relations entre les deux pays : il contribua à modifier le regard de la population du Sud par une meilleure connaissance de la réalité au Nord. Mais la personnalité réservée des deux dirigeants et l'époque – la RPDC se dégageait à peine d'une dramatique famine – n'autorisaient pas l'atmosphère chaleureuse de ce vendredi.
La politique de rapprochement entre le Sud et le Nord, de 1998 à 2008, a certes été un ballon d'oxygène pour un pays aux abois qui poursuivait ses ambitions nucléaires, mais elle n'en indiquait pas moins la volonté des deux Corées de prendre en main leur destin, longtemps asservi aux intérêts des grandes puissances. Volonté que Kim Jong-un et Moon Jae-in ont réaffirmée à Panmunjom avec encore plus de vigueur.
Philippe Mesmer et Philippe Pons (à Tokyo)
© Le Monde


29 avril 2018

" Je m'assurerai que vous puissiez dormir tranquillement "

Kim Jong-un a tour à tour plaisanté sur ses tirs de missiles et évoqué les fortes attentes des deux côtés de la Corée déchirée

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Kim Jong-un est attendu comme un Martien sortant de sa soucoupe volante, vendredi 27  avril, lorsqu'il apparaît et s'approche de la ligne de démarcation, qu'il franchit pour serrer la main du président sud-coréen, Moon Jae-in.
Il détend de suite l'atmosphère. M.  Moon lui demande, pour engager la discussion : " Vous êtes venu au Sud, mais quand puis-je aller au Nord ? ", et le dirigeant, qui aurait 34 ans, saisit la main du président sud-coréen, qui en a 65, pour passer du côté nord de la ligne : " Pourquoi n'y allons-nous pas maintenant ? "
Il y a quelques mois encore, en pleine escalade verbale entre M. Kim et le président américain, Donald Trump, la péninsule était en alerte. Là, les deux hommes parlent voyage, légèrement, pour briser la glace. " Comment êtes-vous venu ? ", demande M.  Moon. " Je suis venu en voiture via Kaesong tôt ce matin. " " Vous avez dû partir au petit matin vous aussi ", l'interroge en retour le dirigeant nord-coréen. " Cela ne m'a pris qu'environ une heure parce que c'est juste à 52  km ", dit le président du Sud.
L'homme énigmatique – le mystère, qui reste entier après le sommet, est de déterminer ce qu'il entend par " dénucléarisation " – se révèle jovial, selon le récit de la rencontre fait par le secrétaire chargé de la communication de la présidence sud-coréenne, Yoon Young-chan.
Le Nord-Coréen se permet même une blague sur ses tirs intempestifs de missiles ces dernières années, qui ont cessé à l'automne 2017 : " On m'a dit que vous ne parveniez pas à  faire de bonnes nuits, que vous étiez réveillé aux aurores parce que vous deviez assister aux  réunions du Conseil de sécurité nationale à cause de nous. Vous avez dû vous habituer à  vous lever tôt le matin. " M.  Moon lui répond : " Je dormirai bien, l'esprit tranquille, à présent, parce que vous avez donné votre parole lorsque notre envoyé spécial est allé au Nord. " M.  Kim d'ajouter : " Je m'assurerai que vous puissiez dormir tranquillement. "
Un cheval au galopAprès cet échange, Kim Jong-un change de registre pour évoquer un thème grave et sensible, la tragédie de la péninsule divisée : " En marchant ces 200 mètres environ, je me suis demandé pourquoi la distance a semblé telle et pourquoi cela a été si difficile.(…) Beaucoup de gens ayant de fortes attentes nous regardent ici, à l'endroit même qui symbolise la confrontation. "
Il évoque " ceux qui ont été nerveux à cause d'éventuels tirs de l'armée nord-coréenne, notamment les résidents de l'île de Yeonpyeong - théâtre de plusieurs affrontements depuis la fin des années 1990 - , les Nord-Coréens - qui ont fait -défection et les gens déplacés, qui ont de forts espoirs pour notre rencontre d'aujourd'hui. " Au passage, une surprenante référence aux transfuges qui fuient son pays. En chemin, Moon Jae-in, lui, a vu beaucoup de gens sortir le saluer : " Les gens ont de fortes espérancesNous portons beaucoup sur nos épaules. "
La discussion se recentre plus tard sur les transports. Faut-il y voir une manière, pour le dirigeant nord-coréen, de demander de l'aide à son homologue du Sud, ou une simple réflexion sur le moment ? " Ce qui m'inquiète, si le président Moon vient nous rendre visite, c'est que notre système de transport est déficient, et vous pourriez le trouver inconfortable. Ceux qui sont venus - dans la délégation du Nord - aux  Jeux olympiques de Pyeongchang ont dit à quel point le train à grande vitesse est rapide. Parce que vous êtes habitué à cela, vous pourriez être déconcerté en visitant le Nord. Nous nous préparerons pour faire en sorte que votre séjour soit confortable. "
Tout est affaire de vitesse, car " si les attentes sont fortes, il y a également des sceptiques ", fait valoir M. Kim, se félicitant de ces " cent jours  environ " au cours desquels le dialogue sur la péninsule déchirée a progressé davantage que sur les onze années écoulées depuis le dernier sommet intercoréen.
Moon Jae-in, lui aussi, mise sur la célérité. Les précédents efforts de rapprochement se sont heurtés au Sud aux alternances politiques, rappelle-t-il. Un an déjà a passé depuis sa prise de fonction. Kim Jong-un évoque alors sa sœur, chargée de la propagande : " Le département de Kim Yo-jong a trouvé une formule : “Accélérer comme un cheval qui peut galoper 10 000 miles par jour. "
Harold Thibault
© Le Monde


29 avril 2018

Corées : la longue route du rapprochement

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Signe des temps, l'image historique des deux dirigeants coréens, celui du Sud et celui du Nord, franchissant main dans la main, dans un sens puis dans l'autre, la frontière qui sépare leurs pays à Panmunjom a instantanément fait le tour du monde et enfiévré les réseaux sociaux, vendredi 27  avril. Ce monde fracturé et tourmenté a désespérément besoin de bonnes nouvelles : la rencontre entre Kim Jong-un et Moon Jae-in, sa bonhomie soigneusement chorégraphiée, sa minute inattendue avec l'invitation du numéro un nord-coréen au président sud-coréen à faire un pas au Nord, puis leur engagement à conclure un traité de paix et à dénucléariser la péninsule constituent, incontestablement, des motifs d'espoir.
Cet espoir dépasse la péninsule coréenne, où la tension entre les deux pays était à son comble il y a quelques mois encore. Un conflit armé entre les deux Corées aurait en effet immédiatement des conséquences désastreuses sur les Etats-Unis, la Chine, le Japon, et l'Asie en général. Quant au risque de prolifération nucléaire, il concerne la planète tout entière.
Mais s'il faut évidemment applaudir à ces bonnes nouvelles, il ne faut pas non plus verser dans la naïveté. La mise en scène et le renouvellement des hommes au sommet de l'un et l'autre pays ne peut pas effacer complètement une impression de déjà-vu. Ce n'est pas, en effet, le premier sommet intercoréen : en  2007, Kim Jong-il, le père de Kim Jong-un, avait déjà rencontré le président Roh Moon-hyun. Il était déjà question de gel de programme nucléaire et de traité de paix, qui sont restés lettre morte, tout comme les promesses faites lors d'un précédent sommet, en  2000.
Pourquoi cette fois-ci serait-elle la bonne ? L'entrée des Etats-Unis dans le jeu, avec la promesse d'un sommet offerte par le président Trump au dictateur nord-coréen, qu'il menaçait, il y a quelques mois, de pulvériser en le traitant de " Little Rocketman ", a sans doute poussé Kim Jong-un à de meilleurs sentiments. Ayant mené à bien son programme nucléaire, celui-ci peut -dorénavant négocier en position de force. Autre facteur possible : l'effet des sanctions pèse de plus en plus sur l'économie nord-coréenne.
Mais diplomates et analystes, après avoir épluché la déclaration commune de Panmunjom, restent sur leur faim sur plusieurs points. S'il y est fait état de " dénucléarisation complète ", aucune définition de ladite " dénucléarisation " n'est apportée, ce qui ouvre la porte à de multiples interprétations. Rien n'est dit sur les mécanismes de vérification du supposé démantèlement, mécanismes essentiels aux yeux des Etats-Unis. Aucun calendrier ne vient non plus encadrer les prochaines étapes de ce rapprochement. Comme le dit l'adage, en diplomatie, le diable est dans les détails ; cette déclaration, pour prometteuse qu'elle soit, est particulièrement pauvre en détails.
Peut-être, finalement, la révélation la plus intéressante de cette étonnante rencontre est-elle l'aveu glissé par le dictateur nord-coréen à son interlocuteur du Sud, qui lui confiait son rêve de visiter un site légendaire pour tous les Coréens dans la partie Nord de la péninsule : " Ce sera embar-rassant, lui aurait répondu Kim. La route pour y aller est très mauvaise. " Oui, le régime de Pyongyang a besoin d'aide. Mais la route à emprunter pour transformer les louables intentions de ce sommet en réalisations concrètes risque d'être, elle aussi, très chaotique.
© Le Monde

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