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dimanche 29 avril 2018

Grève à la SNCF : les voies pour sortir de la crise


29 avril 2018

SNCF : les pistes pour sortir du conflit

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 La mobilisation contre le " nouveau pacte ferroviaire " fléchit après un mois de grève, reconnaissent les grévistes, et elle devrait encore baisser en mai
 Les syndicats attendent beaucoup de leurs rencontres, le 7 mai, avec le premier ministre, qui ne semble pourtant pas disposé à infléchir la réforme
 Les cheminots espèrent des précisions sur la reprise de la dette et souhaitent que l'Etat soit associé aux négociations de branche avec le patronat
La SNCF a annoncé des indemnisations pour les usagers au onzième jour de grève, notamment pour les abonnés des trains express régionaux (TER)
Des universitaires et des économistes analysent les conditions d'un renouveau du réseau ferroviaire, un bien commun de la nation
cahier éco – Pages 3 et 6-7
© Le Monde


 
29 avril 2018

Grève à la SNCF : les voies pour sortir de la crise

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 Alors que la mobilisation paraît s'émousser, cinq pistes semblent se dessiner pour une fin de conflit d'ici à la fin mai
 La direction de l'entreprise ferroviaire a présenté des mesures de dédommagement des usagers après un mois de conflit
 Dette, monopole, concurrence, statut : des chercheurs pourfendent les idées reçues sur la SNCF
Pages 3 et 6-7



29 avril 2018

SNCF : cinq pistes pour une sortie de crise

La rencontre des syndicats avec le premier ministre, Edouard Philippe, le 7 mai, sera cruciale pour la suite du conflit

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Ason onzième jour, le mouvement de grève contre le Nouveau pacte ferroviaire lancé par le gouvernement depuis maintenant un mois montre des premiers signes d'essoufflement. Le taux de grévistes pour la journée du samedi 28  avril (50  % de conducteurs déclarés en grève, contre 77  % au premier jour du mouvement) confirme que la mobilisation marque le pas.
Côté syndical on reconnaît la baisse. " C'est la fin du mois, les salaires tombent et c'est dur pour les grévistes, surtout pour les cheminots payés 1 200 ou 1 500  euros ",explique Erik Meyer, secrétaire fédéral de Sud Rail, l'un des syndicats représentatifs de la SNCF. A l'UNSA, deuxième syndicat de l'entreprise publique, on constate ce reflux " assez fort chez les cadres " et on s'attend à des taux de grévistes plus faibles encore autour des ponts du mois de mai.
A ce stade du conflit, le fruit syndical serait-il suffisamment mûr pour que l'on puisse imaginer une sortie de mouvement ? Des signes le laissent penser depuis le vote du projet de loi le 17  avril à l'Assemblée qui a entériné les grands principes de la réforme tout en inscrivant dans le marbre législatif de vrais avantages pour les cheminots. Le discours des syndicats a évolué : on s'arc-boute moins sur les grands principes – refus de la -concurrence, statut – pour se concentrer sur la négociation du cadre social. Mais, la bataille n'est pas gagnée par le gouvernement. Les syndicats restent unis et mobilisés. " Le deuil du statut n'est pas encore fait ", glisse un syndicaliste. Dans ce contexte, cinq prérequis se dessinent avant d'entrevoir une extinction du mouvement.
Concéder un geste, ne serait-ce que symbolique, le 7  mai Les quatre principaux syndicats de la SNCF (CGT, UNSA, SUD, CFDT) ont vécu comme une victoire de leurs revendications l'invitation par le premier ministre à venir les rencontrer le lundi 7  mai. Ils ont soif de symboles et attendent beaucoup de ces rencontres bilatérales à Matignon. Trop peut-être. Les déclarations du premier ministre sur Europe 1, jeudi 26  avril, n'ont guère laissé d'espace à un infléchissement de la réforme.
Pourtant, selon nos informations, des discussions informelles ont été entamées entre les équipes du premier ministre et certaines confédérations pour préparer les réunions. Un négociateur, côté cheminots, s'attend même à des déclarations qui pourraient intervenir quelques jours avant la rencontre du 7  mai.
Faire une annonce précise sur la dette de la SNCFParmi ces annonces, l'une des plus attendues concernerait des précisions sur la reprise de la dette de 46  milliards d'euros annoncée à partir du 1er  janvier 2020 par Emmanuel Macron. A vrai dire, c'est le premier ministre lui-même qui a déclenché cette attente. " Je souhaite pouvoir présenter les grands équilibres économiques à venir du système ferroviaire avant que ne commence la discussion au Sénat ", a-t-il écrit aux syndicats dans la missive où il les invite le 7  mai.
" Ce serait un vrai signal positif ", assure Florent Monteilhet, secrétaire général adjoint de l'UNSA Ferroviaire. " La SNCF a besoin d'une large recapitalisation avant 2020,renchérit M.  Meyer. Sans cela, elle risque la faillite puisque la transformation en société, voulue par le gouvernement, menace l'existence même de l'entreprise si on ne la désendette pas. "
Associer l'Etat au grand chambardement de la branche ferroviaire C'est une revendication syndicale forte : relancer les négociations de la convention collective de la branche ferroviaire sous une forme tripartite : l'Etat venant s'ajouter aux syndicats et au patronat du secteur. L'enjeu est important pour les syndicats : créer un " pacte social ferroviaire " qui permettrait de ne pas regretter les avantages du statut.
Les représentants des salariés ont un allié objectif dans cette bataille : la direction de la SNCF, membre de poids de l'organisation patronale des transports, l'UTP, ne verrait pas d'un mauvais œil son différentiel de compétitivité avec ses futurs concurrents se réduire par la dégradation de la profitabilité de ces derniers. Reste à convaincre les autres adhérents de l'UTP à entrer dans cette logique. La ministre des transports, Elisabeth Borne, est en liaison constante avec les instances dirigeantes de l'UTP pour les amener à la table de négociation vite et dans le meilleur état d'esprit possible.
Amender un peu plus la réforme au Sénat Voté en première lecture par l'Assemblée nationale, le Nouveau pacte ferroviaire passera fin mai par le Sénat (le 23 en commission, le 29 en séance). Ce sera l'occasion pour la CFDT et l'UNSA (les syndicats réformistes de la SNCF) de faire porter de nouveaux amendements. Reste à voir quelles modifications acceptera le gouvernement. A l'Assemblée, en avril, les deux syndicats avaient été déçus par le petit nombre d'amendements votés qu'ils avaient inspirés.
Ne pas embourber les négociations à la SNCF Dernière strate de discussion lancée ces jours derniers, la négociation à l'échelle de l'entreprise publique ferroviaire qui débouchera sur un nouveau cadre social et managérial adapté à une ère nouvelle de productivité et de concurrence. Or, il ne faudrait pas que cette brique de négociation fragilise le reste de l'édifice.
C'est que des sujets délicats seront sur la table. Dont le nouveau contrat de travail de ceux qui intégreront la SNCF après la fin de l'embauche au statut de cheminot. Il sera " différent, mais pas moins-disant ", assure le directeur des ressources humaines de la SNCF, Benjamin Raigneau. Parmi les autres dossiers chauds à traiter : une remise à plat de la grille des salaires, la polyvalence des salariés, et des remises en cause d'usages locaux.
Dans cette affaire, la voie est étroite pour la SNCF, entre les impératifs d'amélioration de sa performance et la nécessité à ne pas braquer davantage des syndicats déjà à cran." Le contact n'est pas rompu, observe M. Raigneau. Tout le monde vient aux réunions et tout le monde y reste. "
Éric Béziat


29 avril 2018

Les usagers indemnisés en partie

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Dimanche 29  avril, les utilisateurs des transports ferroviaires auront subi douze journées de grève contre la réforme ferroviaire en cours sur les trente jours que compte le mois. Depuis -plusieurs semaines, des associations d'usagers réclamaient un geste de la part de la SNCF envers les clients abonnés. La SNCF a détaillé, vendredi 27  avril, les mesures de compensation qu'elle compte mettre en place.
La principale annonce, et la plus attendue, concerne les abonnés et voyageurs des trains express régionaux (TER). Une pétition d'as-sociations d'usagers réclamait une réduction de 60  % sur l'abonnement. La SNCF a annoncé vendredi que cette baisse atteindrait 50  % sur l'abonnement de juin. Le directeur général des TER, Franck Lacroix, a précisé que la mesure coûterait à la SNCF " un peu plus de 10  millions d'euros ".
Ce remboursement se fera automatiquement sur le prélèvement de juin pour les abonnés -annuels, ou dès le 20  mai pour les 250 000 abonnés mensuels sur présentation de leur abonnement du mois d'avril. Pour les 750 000 utilisateurs occasionnels des TER recensés chaque jour, les billets émis en avril seront utilisables pendant dix jours et, en cas de non-utilisation, ils seront remboursables sans frais pendant soixante et un jours.
Le cas des abonnés aux trains de banlieue d'Ile-de-France (Transilien) est traité à part. Ils devraient être remboursés au prorata du nombre de jours de grève pendant lesquels moins d'un train sur trois a circulé sur leur ligne. Les modalités de ce remboursement seront discutées le 17  mai lors d'une réunion avec Ile-de-France Mobilités, l'autorité organisatrice, et les associations d'usagers concernées, a précisé la SNCF.
En ce qui concerne les abonnés des lignes TGV et des trains Intercités, l'indemnisation sera calculée en fonction du nombre de trains assurés sur la ligne de l'abonné les jours de grève. Les abonnés bénéficieront d'une réduction de 30  % sur leur abonnement de mai (pour les abonnements annuels) ou en bons d'achat (pour les mensuels) si moins d'un train sur trois a circulé sur leur ligne habituelle pendant les jours de grève entre le 22  mars et le 19  avril. Le principe sera ensuite le même s'il y a moins d'un train sur trois du 20  avril au 20  mai. Quant aux 100 000 abonnés du TGV max, destiné aux 16-27 ans, ils ne paieront pas en avril leur abonnement de 79  euros. Coût de cette seule mesure : 8  millions d'euros. Ces montants devraient s'additionner aux pertes liées aux annulations de recettes dues à la grève, que la SNCF estime à un maximum de 20  millions d'euros par jour.
É. Bé.


29 avril 2018

Le rail, ce bien commun

Les universitaires Jean Finez et Laurent Quessette proposent un " nouveau récit ferroviaire ", pour revisiter les sujets de la dette et de l'inefficacité à l'aune de son utilité économique, sociale et environnementale

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Contrairement à ce que l'on lit parfois dans la presse, la dette ferroviaire n'a pas toujours existé. Jusqu'au début des années 1970, avant le tournant commercial de la SNCF, l'équilibre des comptes de l'entreprise était assuré par une dotation annuelle votée par le Parlement au nom des services publics rendus à la nation et à ses citoyens. Durant les décennies d'après-guerre, les investissements publics étaient conséquents, justifiés par l'utilité économique et sociale des chemins de fer. Mais, soucieux de réduire les dépenses publiques, le gouvernement Chaban-Delmas et les suivants ont incité la SNCF à se comporter " comme une vraie entreprise ". Les recettes annuelles étant inférieures aux dépenses, les déficits se sont accumulés et ont généré une dette de plusieurs dizaines de milliards d'euros.
Les orientations stratégiques de la SNCF ne sont évidemment pas dénuées de défauts, mais se focaliser sur la gestion interne de l'entreprise contribue à gommer la responsabilité de la puissance publique dans les dérives des dernières décennies. Plutôt que de contraindre la SNCF à faire des emprunts ou à se lancer dans des partenariats public-privé (PPP), l'Etat aurait pu choisir d'assumer le développement des lignes à grande vitesse par des investissements sur budgets publics. Telle n'a pas été la stratégie des gouvernements successifs qui, pour respecter les critères de Maastricht, ont préféré déléguer le financement du secteur à la SNCF (et précédemment à Réseau ferré de France).
Un tel choix a des conséquences : une étude du cabinet de conseil Degest estime que sur 100  euros d'emprunt sur les marchés financiers, seuls 41  euros servent à financer le réseau ferré, 59  euros disparaissant dans l'intermédiation financière ! Quant au projet de transformation de la SNCF en société anonyme, il augmenterait notablement le niveau des taux d'emprunt.
Un nouveau modèleLe rapport Spinetta, lancé pour réformer la vieille SNCF, masque difficilement l'absence de questionnement profond sur le financement du rail français. Considérer l'endettement de la SNCF comme un fardeau relève a priori du bon sens. Mais ne faut-il pas justement se méfier de ce bon sens et considérer la dette ferroviaire comme un artefact historique que le temps contribue à naturaliser ? On sait que les institutions les plus fortes reposent le plus souvent sur des mythes, sur des croyances collectives qui font que, comme le soulignait Pierre Legendre dans Jouir du pouvoir (Les Editions de Minuit, 1976), " on n'aborde pas l'univers institutionnel avec des idées, mais avec des fantasmes ". Il conviendrait dès lors de s'attacher à construire une nouvelle histoire des chemins de fer, un nouveau mythe du rail, examinant ànouveaux frais la dette de la SNCF.
Il est un fondement oublié de notre modèle républicain qui est le solidarisme de la troisième République théorisé par Léon Bourgeois. Dans Solidarité (1896), ce dernier évoque la dette sociale, " dette à chaque tour de roue de la voiture ou du wagon " qui relie les citoyens par-delà les époques et les rend reconnaissants des investissements passés… Cette belle image ne pourrait-elle pas être le fondement d'un nouveau récit ferroviaire plongeant ses racines dans le modèle républicain ?
Ce nouveau modèle regarderait l'avenir en donnant chair à la libertéde se déplacer, à l'égalité territoriale et à la fraternité sociale. Contrairement au modèle ancien, axé sur la matrice de l'Etat, il pourrait se recentrer sur les usagers du réseau et les salariés du secteur. Le rail est à nous ! Tel serait l'adage de ce nouveau modèle faisant des chemins de fer un bien commun, de ce mythe donnant une consistance nationale à l'ensemble des mobilisations locales (lutte des usagers contre la fermeture programmée de la liaison ferroviaire entre Le  Tréport et Abbeville, collectif du RER E pour obtenir des transports du quotidien qui le soient vraiment…) et à l'activation d'événements démocratiques (consultations obligatoires des comités de lignes et d'usagers, décisions par référendum régional ou national). L'ambition serait donc d'ouvrir le champ des possibles et de créer des " surrections " – pour reprendre l'expression d'Hannah Arendt – permettant de décentraliser et d'horizontaliser les décisions.
Penser les chemins de fer comme bien commun inviterait aussi à réfléchir, collectivement, à de nouvelles mesures comptables susceptibles d'éclairer sous un autre jour la performance du secteur ferroviaire. Assurément, le train est une chose économique : la SNCF a des dépenses et des recettes. Mais c'est également une activité au service de politiques sociales et environnementales aux effets économiques notables.
Et quid du coût politique ? Au milieu du XIXe  siècle, on construisait des lignes pour consolider politiquement le pays. Près de deux siècles plus tard, le débat tourne plutôt autour de la fermeture des petites lignes, ces mêmes lignes qui visaient à donner de la consistance à l'idée de nation. Il y a fort à parier que si le gouvernement s'engageait dans une telle politique de relégation spatiale et sociale, celle-ci aurait des conséquences électorales dévastatrices. C'est peut-être justement de considérer la SNCF uniquement comme un objet économique – et non comme un " phénomène social total ", dirait l'anthropologue Marcel Mauss (1872 -1950) – qui fait dérailler le train.
Un spectre hante aujourd'hui les débats sur la réforme du rail français. Ce spectre, qui a déjà conquis une partie de l'Europe, c'est celui de la régulation marchande du secteur. Face à une lecture libérale dominante, la figure du chemin de fer comme bien commun peine pour l'instant à trouver une place et une légitimité. Mais qui peut dire, aujourd'hui, quels sont les effets positifs ou négatifs de l'ouverture à la concurrence du fret ou du transport international de voyageurs, ou demain des transports nationaux ? Que nous disent les Britanniques et les Suédois de la remise en cause des monopoles nationaux ? Et surtout, peut-on mettre en correspondance des histoires ferroviaires aux trajectoires si différentes ? Autant de questions qui mériteraient assurément débat public avant prise de décision aussi engageante pour notre société.
Jean Finez et Laurent Quessette
© Le Monde


29 avril 2018

Pourquoi le prix du billet ne baissera pas

La théorie des modèles monopolistiques démontre que l'ouverture du seul transport à la concurrence n'aura pas les effets espérés par le gouvernement car le rail est un monopole naturel, observe l'économiste Louis de Mesnard

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La discussion sur la mise en -concurrence de la SNCF s'inscrit dans le débat plus général sur les monopoles. Mais il est en réalité faussé car la SNCF est une entreprise de réseau, qui a donc des spécificités économiques par rapport à tout autre monopole.
La SNCF inclut en effet deux stades productifs, les rails (SNCF Réseau) et les trains (SNCF Mobilités). Ces deux stades sont successifs, SNCF Mobilités utilisant le " service " fourni par SNCF Réseau. Avec la SNCF proprement dite, qui chapeaute l'ensemble, ils forment trois établissements publics à caractère industriel et commercial (Epic). Il y a ainsi intégration verticale.
Qu'implique cette caractéristique en termes d'analyse d'économie industrielle ? Le modèle dit des monopoles successifs ou de la double marginalisation, qu'on doit au grand économiste américain Abba Lerner (1903-1982) qui, en  1934, indiquait que, si plusieurs firmes sont des monopoles successifs – c'est-à-dire que l'une vend un bien ou un service à l'autre – et que si ce bien ou service est un " input " complémentaire – c'est-à-dire que le monopole aval achète ce bien ou service au monopole amont dans des proportions fixes –, alors le prix final payé par le consommateur est plus élevé que si une seule firme verticalement intégrée – un unique monopole – existait. Seule l'intégration permet d'éviter ce surprix. Ce phénomène existe pour l'électricité et le gaz, mais il fonctionne aussi quand il y a seulement un pouvoir partiel de monopole comme dans les filières de la viande, du bois, voire dans la grande distribution.
Ici, comme SNCF Mobilités ne peut éviter d'acheter le service " rails " à SNCF Réseau, et le fait en proportions fixes (pour un même parcours, chaque train roule une fois sur les rails, ni plus ni moins), on entre a priori dans le cadre du modèle de Lerner, et le prix du billet devrait être plus élevé que si on avait une seule firme unifiée. Sauf que SNCF Réseau et SNCF Mobilités sont coiffées par la SNCF, qui dicte les relations économiques entre les deux entités internes et donc unifie l'ensemble.
mise en concurrence illusoireNéanmoins, le modèle est utile pour analyser les effets de la libéralisation du trafic voyageurs. Si l'un des stades de production verticalement intégrés est soumis à la concurrence, le ou les autres restant monopolistiques, alors le modèle nous enseigne que le pouvoir de monopole n'est pas affecté : les stades monopolistiques se partagent ce pouvoir au détriment du stade devenu -concurrentiel. Ce n'est que si on rend concurrentiels tous les stades de production que le pouvoir de monopole disparaît.
Dans le cas de la SNCF, seule SNCF Mobilités peut être rendue concurrentielle (c'est ce qu'impose l'Europe), car on ne voit guère la possibilité de dupliquer les rails, par exemple en construisant plusieurs voies de TGV parallèles et concurrentes pour relier Paris et Lyon… SNCF Réseau est donc un monopole naturel. Un reversement devra être payé par SNCF Mobilités et les nouvelles entreprises de transport ferroviaire à SNCF Réseau pour avoir le droit d'utiliser ses rails. D'après le modèle, le montant de ce reversement sera calculé d'une manière monopolistique. Le monopole, certes limité à SNCF Réseau, subsistera donc, et le prix du billet ne baissera pas.
La mise en concurrence du transport de voyageurs est donc largement illusoire dans l'activité ferroviaire. Les différents opérateurs de ce secteur (SNCF Mobilités et les nouveaux entrants sur le marché) pourront certes se faire -concurrence, et cela les amènera à faire payer au client le prix de concurrence (défini comme le prix égal au coût marginal). On peut dire tant mieux, car c'est ce qui était recherché. Mais ce serait une erreur, car le coût marginal de SNCF Mobilités et des nouveaux concurrents sera augmenté pour inclure le reversement à SNCF Réseau. Rappelons-nous que le prix du billet a fortement augmenté au Royaume-Uni après la libéralisation !
Si le monopole subsiste dans les rails, pourquoi mettre en concurrence les trains alors que le modèle de la double marginalisation nous enseigne que le pouvoir de monopole n'en sera pas affaibli ? On ne peut croire que la Communauté européenne n'ait jamais entendu parler de ce modèle pourtant classique. Pourquoi n'en a-t-elle pas tenu compte dans ses prescriptions de libéralisation du transport ferroviaire ?
Louis de Mesnard


29 avril 2018

La SNCF, un mastodonte aux pieds d'argile

Pour l'économiste Stéphane Madaule, le rail risque de ne plus être compétitif face aux autres modes de transport

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Nous sommes en pleine grève des cheminots et l'on a bien du mal à se faire une idée sur l'état réel de l'entreprise SNCF et la pertinence des arguments avancés par les uns et les autres.
Tout d'abord, quand les cheminots en grève ne représentent que 30  % à 35  % de l'effectif de la SNCF, ils arrivent à bloquer pratiquement l'ensemble des trains. Mais la SNCF, ce ne sont pas que des trains que l'on fait rouler sur un réseau ferré : ce sont aussi de nombreuses filiales qui travaillent sur la route avec des poids lourds et des cars. Faut-il soutenir une entreprise qui investit de plus en plus… dans le transport routier ?
Sur le plan financier, les éléments livrés au public ne sont pas clairs non plus. La SNCF affiche des bénéfices en  2017 (1,3  milliard d'euros) avec un trafic passager en hausse. Mais elle n'a jamais reçu autant de subventions : 7  milliards d'euros par an de l'Etat et des collectivités locales pour la SNCF, plus 5  milliards par an pourSNCF Réseau, 3,3  milliards par an pour le régime de retraite des cheminots. Sans cet appui massif, sans rattachement à la sphère publique, le transport par rail souffrirait de profonds déficits. Le bénéfice affiché par la SNCF masque en réalité une activité ferroviaire fortement déficitaire, comme c'est le cas dans la plupart des pays développés.
Dans le futur, le transport par rail peut-il être rentable ? C'est de moins en moins sûr à mesure que les autres modes se transforment ou se créent. L'avantage comparatif du rail est sa capacité à transporter sur une petite distance des flux massifs d'usagers qui vont travailler quotidiennement, comme le métro. C'est un mode propre, particulièrement adapté aux grandes agglomérations où il faut connecter des banlieues à un centre qui concentre les emplois. C'est aussi un mode compétitif sur des distances de moins de trois heures où l'avion ne peut pas s'aligner.
Pouvoir de nuisanceMais pour le reste, la route deviendra propre avec les moteurs électriques, y compris pour les poids lourds. Drones et dirigeables seront de plus en plus compétitifs pour le fret, en évitant les ruptures de charge et en diminuant les émissions de CO2. La ville durable, les circuits courts, la révolution numérique permettront de rapprocher de plus en plus les lieux de vie, de consommation et d'activité.
Le statut du personnel de la SNCF et sa dette (50  milliards d'euros) sont-ils des obstacles à sa pérennité ? Oui, si l'on ouvre le réseau à de nouveaux opérateurs qui ne pourront pas gérer ces contraintes. Non, si l'on en reste au monopole subventionné qui, à l'origine, devait équilibrer son exploitation en mariant activités rentables et non rentables. Mais l'Union européenne, et donc la France, en ont décidé autrement. La concurrence est devenue la règle. Cet engagement est à l'origine des réformes proposées. Or, la conception du service public de l'Union européenne n'est pas la même qu'en France. On parle à Bruxelles de services d'intérêt économique général (SIEG), où les activités rentables sont transférées au privé et les activités non rentables subventionnées par les Etats. La péréquation entre les deux ne joue plus. Le périmètre du service public est réduit au service non rentable, ce qui le rend dépendant des subventions publiques. C'est peut-être, sans le dire, la voie que suit la réforme : le rentable au privé, le non-rentable à la SNCF.
Enfin, le régime de retraite des cheminots est très déséquilibré : la SNCF compte 160 000 actifs pour 270 000 retraités. Un départ anticipé entre 50 et 57 ans par rapport au reste de la population (62 ans) ne trouve plus d'explication dans une espérance de vie plus courte ou une pénibilité particulière, ni même des salaires inférieurs au privé ou à d'autres services publics. Comment expliquer qu'une entreprise si déficitaire ait réussi à maintenir un statut si avantageux ?
Ce n'était pas le cas à la création de la SNCF en  1938, où les salaires étaient bas et la pénibilité élevée pour les cheminots. Mais ces salaires ont progressé régulièrement et plus vite que la moyenne, la pénibilité a baissé, tout comme la proportion d'agents sur le réseau. Or, ces derniers ont, par la grève, un pouvoir de nuisance très fort dans les grandes agglomérations où le train est devenu un moyen de locomotion indispensable pour des usagers éloignés de leurs lieux de travail. Les gouvernements n'ont pas eu le courage d'ajuster le statut aux possibilités financières de l'entreprise ; sur les lignes régionales, les collectivités ont dû subventionner des services non rentables. Si bien que l'on se retrouve en  2018 avec une activité ferroviaire déficitaire et des cheminots au statut déconnecté du lot commun.
C'est sur ce constat que s'appuie le gouvernement pour tenter de gagner la bataille de l'opinion. De leur côté, les cheminots grévistes contestent le caractère exorbitant de leurs avantages et essaient de faire de leur mouvement l'emblème de la défense du service public à la française. Qui n'a pas, ou n'a pas eu, dans sa famille un proche qui travaille à la SNCF ou dans un service public ? Qui n'a pas une fois dans sa vie emprunté le train avec plaisir, voyageant confortablement en toute insouciance ? L'issue du conflit demeure incertaine, à la mesure de la versatilité de l'opinion publique en pareille circonstance…
Stéphane Madaule
© Le Monde

29 avril 2018

Le CDI n'empêche pas la flexibilité, ni le statut l'innovation

Pour Quentin Guilluy, fondateur d'une start-up et fils d'agent du service public, la flexibilité de l'entreprise ne passe pas forcément par la précarité de l'emploi. Au contraire

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Amusante, cette fronde anti-SNCF ces derniers jours. Amusante aussi cette fronde anti-gouvernement. Amusantes, en fait, car rien n'est justifié. Tout cela n'est que l'illustration d'une dualité de pensée stérile. A ma gauche, donc, le cheminot qui veut défendre la sécurité de son emploi et son départ précoce à la retraite. A ma droite, le patronat et le gouvernement accusés de vouloir précariser l'emploi. Image caricaturale des deux parties.
Je suis un " millennial ", j'ai 28 ans et certaines choses m'échappent. Par exemple, on me dit que les statuts empêchent les entreprises d'avancer. Que le fonctionnaire est bien trop protégé. Que le cheminot est un privilégié. On nous dit même que le contrat à durée indéterminé est bientôt mort, car beaucoup trop rigide !
A mon âge, nous sommes censés bénir l'ubérisation et la précarité de l'emploi, plus conforme à l'instabilité censée nous caractériser. Fils d'agent EDF, j'ai pourtant bien du mal à y adhérer. Regardez la SNCF : quelle ironie que de reprocher à des conducteurs de train leur manque de flexibilité ! N'est-ce pas un peu vite oublier qu'ils dorment loin de chez eux deux fois par semaine ? Ne nous trompons pas de débat ! 70  % des embauches en France se font en CDD de moins d'un mois. Et nous voulons restreindre le CDI, qui serait protégé ? Mais l'enjeu n'est pas dans le statut ! Je crois qu'on se trompe de combat des deux côtés !
Collaborateurs plus mobilesSoyons clairs : l'économie est en pleine transformation, comme seule la révolution industrielle nous a secoués par le passé. Toutes les entreprises devront bientôt innover, puis renouveler leurs compétences. Mais quel est le lien avec le CDI ou le fonctionnariat ? Un CDI empêche-t-il d'être mobile ? Non. Etre fonctionnaire empêche-t-il d'être formé ? Non. Un statut empêche-t-il de se renouveler ? Pas davantage !
Un CDI est en revanche synonyme d'un collaborateur fidèle, souvent reconnaissant, qui apporte une expérience client supérieure, car il connaît la maison. Le CDI est la meilleure réponse à Amazon, à Uber, à Airbnb ! A tous ces ogres californiens qui ont compris que la riposte des acteurs plus anciens allait dans leur sens : celui de la perte de contact avec le client, avec le savoir-faire ancestral…
Lorsque les entreprises comprendront qu'elles peuvent faire évoluer leurs compétences bien plus rapidement qu'il y a dix ans, que leurs collaborateurs sont plus mobiles qu'il y a vingt  ans, alors elles béniront le CDI et les collaborateurs qui restent dans l'entreprise. De leur côté, les collaborateurs comprendront que leur statut ne les protège pas, mais que la performance économique de leur entreprise, dynamisée par leur flexibilité quotidienne (à ne pas -confondre avec la flexibilisation de leur statut), est leur meilleure alliée.
La bataille des statuts est sans doute importante, mais d'autres combats sont bien plus urgents. Cheminots, dirigeants de la SNCF, votre union d'intérêts est sous vos yeux. Mais elle est tellement simple que vous ne la regardez même pas !
Quentin Guilluy

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