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vendredi 20 avril 2018

Elias Khoury sur l'autre versant de la Nakba


20 avril 2018
" Les Enfants du ghetto. Je m'appelle Adam " revient sur le sort des Palestiniens restés sur le territoire israélien après 1948. Rencontre avec le romancier libanais

Elias Khoury sur l'autre versant de la Nakba


Des Palestiniens fuyant les combats de la première guerre israélo-arabe, en 1948.
Jim Pringle/AP
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Liens familiaux, compagnonnages politiques, engagements artistiques communs : la Syrie, le Liban et la Palestine appartiennent en quelque sorte à une même fratrie. Cela valait autrefois en temps de clémence, cela vaut plus encore aujourd'hui, au plus extrême de la barbarie. Riche d'une douzaine de romans, l'œuvre d'Elias Khoury (né à Beyrouth en  1948) en est un remarquable exemple. Outre la guerre -civile libanaise (1975-1991) à laquelle il a consacré la majeure partie de ses livres, il a signé La Porte du soleil (Actes Sud, 2002), considéré comme le récit emblématique de l'exode des Palestiniens après la première guerre israélo-arabe (1948), leur installation dans les camps de réfugiés au Liban, et les années sanglantes de la guerre civile qui ont suivi.
Aujourd'hui, avec Les Enfants du ghetto. Je m'appelle Adam – premier tome d'une trilogie dont les deux autres sont à venir  –,Khoury aborde un autre versant de la Nakba (la " catastrophe ", en arabe) : celui des Palestiniens d'Israël, ceux qui sont restés à l'intérieur des frontières de l'Etat créé en  1948. Ils ont acquis la nationalité israélienne et maîtrisent aujour-d'hui la langue hébraïque. Un bilinguisme qui est une richesse évidente mais aussi le signe d'un déchirement entre leur pays, Israël, et leur patrie, la Palestine.
" L'écriture de ce roman a été un voyage difficile, déclare Elias Khoury au “Monde des livres”, car j'y évoque en miroir l'histoire douloureuse des Palestiniens mais aussi la souffrance des juifs. A cet égard, le film Shoah, de Claude Lanzmann - 1985 - , a été pour moi un choc déterminant. Il m'a terrassé. Le roman que j'ai voulu écrire est aussi un acte de reconnaissance profonde de l'autre – du juif. Une main tendue ".
Le hasard d'une rencontre à New York avec un Palestinien de Lod – ville proche de Tel-Aviv – a fait connaître à Elias Khoury l'épisode meurtrier qu'il relate : l'exode des habitants de cette cité à l'été 1948. Face au refus de partir d'un grand nombre d'entre eux, un quartier de Lod est transformé en un camp encerclé de barbelés dans lequel ils survivent pendant quelques mois. Elias Khoury a travaillé à partir de témoignages oraux, d'archives palestiniennes et de travaux d'historiens israéliens évoquant l'existence de ce qu'on a appelé le " ghetto de Lod ". Ces mêmes historiens israéliens rapportant aussi les circonstances d'une tuerie, le 12 juillet 1948, dans la mosquée, et évaluant à plusieurs centaines le nombre des victimes.
" L'intensité de la douleur "Dans un long préambule – une centaine de pages dont on ne mesure que plus tard la portée symbolique –, Elias Khoury raconte un des grands mythes amoureux de la poésie courtoise arabe : les amoursillicites du poète omeyyade Waddah Al-Yaman (fin du VIIe  siècle) et de l'épouse du calife Al-Walid. Un jour, ce dernier soupçonne, à raison, le poète de s'être caché dans un coffre de la chambre de sa femme. Il ordonne qu'on jette le coffre dans un puits, condamnant ainsi l'amant à une mort atroce s'il ne se manifeste pas. Waddah Al-Yaman choisit de se taire. " Ce silence et cet enfermement,explique Elias Khoury, m'ont semblé la parfaite métaphore du silence des victimes palestiniennes.Avec l'histoire d'Al-Yaman, je voulais rendre sa noblesse à ce -silence. Il ne s'agit pas du mutisme lié au sentiment de honte que les Palestiniens connaissent bien et qu'ont éprouvé les victimes juives du génocide, stigmatisées pour s'être laissées conduire à la mort. Al-Yaman décide de ne pas trahir son amante, il choisit le silence. Les victimes meurent en silence, c'est là que réside leur résistance. L'intensité de la douleur n'a pas de mots. "
Après ce préambule, Elias Khoury aborde frontalement les événements de Lod, mêlant personnages de fiction et personnes réelles : politiciens, historiens et écrivains, arabes et israéliens. Au fur et à mesure de la narration, la frontière entre fiction et document s'estompe, le roman prend toute sa place : audacieux, troublant, magnifiquement écrit. Quand on demande à Khoury si la guerre est sa grande inspiratrice, il a un sourire pudique comme si quelque chose de l'intimité de son écriture était mis au jour. " C'est le point de départ de tout ce que j'écris, répond-il, mais c'est seulement un point de départ. La guerre m'a amené à comprendre que la littérature est, avec les autres arts, la seule expression humaine qui possède une véritable dimension spirituelle. Les grands textes religieux sont liés au pouvoir politique. Dans l'écriture littéraire, il n'y a que le pouvoir des mots. "
Eglal Errera
© Le Monde

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