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samedi 24 mars 2018

Macron, des mots venus de l'entreprise....

<<Le président et sa majorité usent à dessein d'un

 vocabulaire très managérial

 Il s'agit de " camoufler la violence sociale sous des

 expressions abstraites ", juge l'universitaire Cécile Alduy>>




24 mars 2018

Macron, des mots venus de l'entreprise

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 Le président et sa majorité usent à dessein d'un vocabulaire très managérial
 Il s'agit de " camoufler la violence sociale sous des expressions abstraites ", juge l'universitaire Cécile Alduy
La journée d'action du 22 mars, " une réussite " pour les syndicats, n'a pas ébranlé l'exécutif
Pages 7 à 9
© Le Monde


24 mars 2018

Macron et les mots choisis de la réforme

Le président et sa majorité usent et abusent d'un vocabulaire managérial pour défendre leurs projets de loi

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Il faut assumer cette transformation disruptive pour libérer les énergies dans un esprit de coconstruction. " Cette phrase n'a pas été prononcée – à -notre connaissance – par le chef de l'Etat, en réponse à la forte mobilisation sociale à travers la France, jeudi 22 mars. Mais elle pourrait illustrer à merveille le " style -Macron ", qui fait école au sein de la majorité, appelée à défendre les multiples réformes mises en œuvre en ce mois de mars.
Face aux menaces d'un mouvement social d'ampleur durant le printemps, pas un ministre qui ne reprenne à son compte ce " langage de vérité " (Edouard Philippe), destiné à défendre " le devoir d'efficacité " (Agnès Buzyn) et la " compétitivité " (Bruno Le Maire) de la SNCF. Quant aux éventuels accrocs, sur la CSG des retraités par exemple, il s'agit avant tout d'un " problème d'explication " (Gérald -Darmanin) qui ne saurait résister à un travail " de pédagogie " (Benjamin Griveaux). Et, pour les problèmes plus coriaces, il reste toujours l'argument ultime : " Le président fait ce qu'il a dit " (à peu près tout le monde).
" Paradoxe "Le chef de l'Etat et ses collaborateurs seraient-ils tous atteints par le virus managérial qui les pousserait à parler davantage comme des chefs d'entreprise que comme des responsables politiques ? " Dans le moment actuel, on n'est plus dans le concept, on est dans le “faire” ", note -Mariette Darrigrand, auteure d'Emmanuel Macron en dix mots(revue Etudes, septembre  2017). Pour la sémiologue, le chef de l'Etat avait " réhabilité la dimension conceptuelle du langage politique " lors de sa campagne, n'hésitant pas " à utiliser quelques “gros mots” abstraits, tel progressisme ". Mais le champ lexical " de la technicité et de -l'efficacité " a repris le dessus ces dernières semaines.
Une prééminence qu'il est possible de mesurer scientifiquement. C'est ce que s'attache à faire Damon Mayaffre, spécialiste de l'analyse du discours -politique. Ce chercheur au CNRS à Nice développe un outil -d'intelligence artificielle capable d'analyser et de reconnaître l'auteur d'une allocution. Nourri à la prose macronnienne depuis un an, le programme commence à en déceler les éléments structurants. " Il aime bien le suffixe “-tion”, note le linguiste, qui -prépare un livre sur le sujet. Les gens qui aiment le “-tion” aiment peu les mots en “-isme”, qui font référence à l'idéologie, à un passé lointain. Macron les emploie peu, à l'exception notable du “terrorisme”. Transformation, gestion, innovation… On parle davantage du processus des choses, de la -gestion de l'existant. Il y a un -discours managérial, volontairement dépolitisé, qui apparaît. "
Registres multiplesçSingularité de ce président qui met en avant son amour des belles lettres et sa formation philosophique comme assistant de Paul Ricœur, mais qui adopte le vocabulaire d'un DRH dès qu'il s'agit de réformer le pays. " Le paradoxe de Macron, jugé libéral, c'est que nous avons affaire à un hypertechnocrate, qui va travailler les dysfonctionnements de la machine de l'Etat, mais pas avec la langue de bois habituelle des hauts fonctionnaires, estime Mariette Darrigrand. Il applique le vocabulaire de l'entreprise, sans prendre les gants de la noblesse d'Etat. "
Pas de gants, certes, mais un sens certain de l'euphémisation, une technique également très -répandue dans les entreprises confrontées à des décisions douloureuses. Ainsi, en Macronie, la coupe drastique dans le budget du Grand Paris Express devient une " optimisation " du projet ; la diminution du nombre de -fonctionnaires passe par un " plan de départs volontaires " ; le mot brutal d'" expulsion " est gommé au profit de ses synonymes administratifs désincarnés " éloignement " ou " reconduite ". De ce point de vue, La République en marche s'inscrit dans une tendance de fond, déjà observée sous les précédents quinquennats.
L'irruption d'anglicismes est en revanche une marque de fabrique propre à la Macronie. Quand les discours ne se font pas eux-mêmes entièrement dans la langue de Warren Buffett. " Chez les autres présidents, il y avait une sorte de tabou sur le fait d'employer des mots d'une autre langue, note Damon Mayaffre. En s'exprimant en anglais, il rompt deux tabous : la langue française et la langue de l'entreprise innovante. " Les députés s'en sont fait une spécialité et ne jurent que par le " bottom up ", le" team building " et le feed-back. L'objectif suprême étant de " performer "selon un député qui ajoute, lucide : " Pour parler en bon langage macroniste. "
Cette évolution du discours de la majorité n'est pas anodine pour Emmanuel Macron, qui avait lui-même théorisé l'emploi de registres multiples lors de sa campagne. " Je reprends volontiers à mon compte les trois strates du discours politique, expliquait-il à Challenges en octobre  2016. La strate idéologique qui permet de donner du sens et des perspectives ; la strate technocratique qui détaille les moyens techniques d'exécution ; la strate de la réalité et du quotidien, que l'univers politico-médiatique ridiculise et dédaigne.  Depuis vingt ans, le champ politique a déserté les première et troisième strates pour s'engouffrer uniquement dans la deuxième. "
Rompre avec ses prédécesseursLa volonté affichée de renouer avec une dimension plus sacrée du discours s'est traduite au -début du quinquennat par une -rareté calculée de la parole. Avec un succès mitigé, selon Damon Mayaffre : " Il s'est aperçu que c'était une catastrophe. Avec la force actuelle des médias, quand on ne parle pas, ils finissent par parler à votre place. Du coup, pour maintenir la sacralité, il a délaissé la rareté pour investir le champ de la préciosité. Il distille des petits mots qui obligent à prendre son dictionnaire, comme “l'illibéralisme”, “la disruption” ou “l'ipséité”… C'est un pédantisme théorisé.  Et une façon de rompre avec le discours populaire et vulgaire théorisé par Sarkozy et maintenu par Hollande. "
L'obsession de rompre avec ses prédécesseurs, sans laquelle on ne peut saisir le macronisme, s'incarne aussi dans cette réflexion sur le discours politique. Avec un effet réel. L'examen brut de son vocabulaire, réalisé par Damon Mayaffre, le distingue de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, et le rapproche davantage de… Valéry Giscard d'Estaing. Mariette Darrigrand remonte encore davantage dans le passé : " Macron est un continuateur de Pompidou. Il est structuré par l'écrit,par la culture, ce que n'étaient pas Sarkozy et Hollande,qui étaient sous-cultivés. "
Emmanuel Macron n'hésite d'ailleurs pas à mêler les différents niveaux de langage. Ainsi quand il invite les Français, à l'aide du philosophe Alain, à " penser printemps ". Touche lyrique censée désarmer l'adversaire, renvoyé à ses " passions tristes ".
" On sort du rationnel, du politique, pour entrer dans une justification poétique en demandant de faire un saut dans une pensée métaphorique : forcément, les opposants qui rechigneront apparaîtront un peu comme des esprits obtus, des “bouseux”, des ignares ou des rabat-joie, note Cécile -Alduy, chercheuse associée au Cevipof de Sciences Po. Macron retient de la littérature comme -effet de style sa capacité de mise en scène, de cacher l'être sous le paraître, de façonner un monde -fictionnel sous de belles envolées -lyriques. " Et la professeure de convoquer la littérature pour -ramener le président au réel : " Et la réalité rugueuse à étreindre ! -Paysan ! " (Arthur Rimbaud, poète disruptif).
Nicolas Chapuis
© Le Monde


24 mars 2018

" Camoufler la violence sociale sous des expressions abstraites "

Pour Cécile Alduy, l'euphémisation est une clé de la rhétorique de LRM

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Cécile Alduy, professeure de littérature à Stanford, en Californie, et chercheuse associée au Cevipof de Sciences Po, décrypte les ressorts du langage macronien.


Existe-t-il une syntaxe spécifique au macronisme ?

Oui la syntaxe est particulière, avec d'abord l'emploi intransitif de verbes transitifs comme " faire ", " transformer " ou l'usage dans l'absolu de verbes comme " agir " ou " avancer " sans compléments. Avec cet élément de langage répété comme justification de toute mesure : " le président fait ce qu'il a dit ". Comme si tout débat sur le bien-fondé des mesures envisagées sur le fond était balayé par l'argument de la parole tenue. C'est un signe inquiétant de notre démocratie : la parole politique a été tellement démonétisée que le seul fait de faire ce qu'on a annoncé (à la différence, sous-entendu, des prédécesseurs) devient en soi un gage – quelles que soient les conséquences économiques et sociales des mesures.
Le deuxième marqueur syntaxique découle du mouvement dialectique de la pensée " en même temps ", qui suppose de toujours tenir ensemble dans une même phrase les deux versants a priori opposés d'un problème (" liberté et protection ", " humanisme et fermeté ") : la syntaxe s'en ressent avec des phrases construites sur des symétries. Mais l'équilibre des phrases ne veut pas dire équilibre des politiques entre libéralisation et protection sociale par exemple.


Quelles sont les influences de la Macronie dans le choix des mots ?

Deux sources au premier abord étrangères : une inspiration littéraire d'une part, une culture d'entreprise de l'autre. On a deux littéraires à la tête du pouvoir : Philippe, un romancier qui se pique de littérature ; Macron, khâgneux et théâtreux, assistant de Ricœur. Mais tous deux passés par le privé (Areva, Rothschild) et sa logique de rentabilité et de profit, et sa -novlangue du business. Leur culture littéraire adoucit les propos, donne un ton " de bon goût " à l'opposé des registres agressifs et populaires choisis par Wauquiez, Le Pen et Mélenchon pour mimer le piquant du " réel " et des vrais gens. Mais c'est l'imprégnation managériale, avec le totem de " l'efficacité " et des nombres, qui dictent les choix politiques. Il y a un vrai risque avec cette langue policée et littéraire, c'est que la forme du discours n'alimente l'accusation d'élitisme et de " caste " portée contre eux par des adversaires qui ont au contraire choisi de parler violemment comme un gage de " parler vrai ".


Que recèle le mot " disruptif ", qui est l'alpha et l'oméga des députés macronistes, quand il s'agit de décrire leur stratégie politique ?

En économie, une innovation est disruptive lorsqu'elle produit une rupture créatrice d'un état d'un marché donné : il y a rupture de l'équilibre mais surtout des fondements d'une industrie ou d'un marché (Airbnb et l'hôtellerie, Uber et les taxis, Facebook et les médias traditionnels, le streaming et l'industrie du disque) et introduction d'un système nouveau, qui le reconfigure sur de nouvelles bases.
Le " et de droite et de gauche " se vante d'être disruptif parce qu'il casse la structuration même du paysage politique pour faire émerger d'autres systèmes de fonctionnement. Mais on ne voit pas encore dans ce cas quelle est la valeur ajoutée produite, en quoi l'innovation du mouvement En marche ! révolutionne la production des politiques publiques par exemple. En fait le résultat vient assez banalement des idées qui existaient souvent déjà (réforme de la SNCF, des prud'hommes, de l'asile) mais " disruptif " donne un cachet " start-up ".


Que signifie le recours fréquent aux anglicismes ?

C'est la marque d'un langage issu du monde de l'entreprise et des grands groupes internationaux : l'anglais étant la langue des affaires, les milieux économiques ont intégré dans leur vocabulaire toute une série de vocables empruntés à l'anglais tels quels (marketing, deadline, process, streamlining, updater, reminder, timeline, project management, low cost, deal, data, feedback…). Si on reprenait Bourdieu, ce serait un marqueur social qui signifie " modernité ", " business-friendly " et " innovation ". La " French Tech ", la " French Touch ", la " start-up nation ", " France is back " : c'est une coloration " Silicon Valley " superficielle, mais qui risque autant d'attirer certains (les entrepreneurs) que d'en repousser d'autres (les fonctionnaires, la ruralité, les artisans, etc.). L'anglais est très peu maîtrisé par les Français : là encore, c'est un marqueur de classe à double tranchant.


Y a-t-il une euphémisation dans le discours pour faire passer les réformes (optimisation pour plan d'économie, éloignement pour expulsion, libérer les énergies pour libéralisation…) ?

Oh oui ! C'est là une donnée-clé de sa rhétorique : bien parler, avec un vocabulaire éthéré ou suranné, pour taire les conséquences forcément mixtes des mesures envisagées. Mais là encore c'est une tendance du discours managérial, surtout en gestion de ressources humaines. On peut citer " libérer le travail " ou " plan de sauvetage de l'emploi " qui est un comble d'inversion sémantique puisqu'on parle de plans de licenciement. Cela permet de faire avaler la pilule, de camoufler la violence sociale sous des expressions abstraites.
propos recueillis par N. Ch.
© Le Monde


24 mars 2018

Quatre mots-clés du lexique LRM

Le vocabulaire de la Macronie est truffé de mots parfois alambiqués

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Pour décrypter le langage de la nouvelle majorité, il est nécessaire de posséder les fondamentaux de son lexique, truffé de mots-concepts parfois alambiqués qui se contentent souvent de renommer l'existant pour lui donner les atours de la nouveauté.
La disruption Maître mot du nouveau pouvoir, qui sert tout autant à définir une stratégie politique (" éviter d'avoir à choisir entre une voie ou l'autre et en trouver une médiane ", selon le promoteur de ce mot dans les années 1990, le publiciste Jean-Marie Dru) qu'à se sortir d'un mauvais pas, en disqualifiant toute critique. " A l'origine, c'est un mot qui a eu son heure de gloire dans la pub, -explique la sémiologue Mariette -Darrigrand. C'est un mot ancien que les milieux de management connaissent très bien. Cela trahit le retard du monde politique. "
Synonyme sarkozyste : rupture.
Coconstruction Méthode d'élaboration des projets de loi avec la participation des syndicats et du patronat. " C'est comme la construction d'une maison : on discute des plans, on demande l'avis de tous, on se laisse convaincre, on trouve une place pour tout le monde, mais c'est quand même le gouvernement qui reste le maître d'ouvrage ", explique-t-on au ministère du travail. Avec un succès relatif. " La méthode Macron, c'est vous discutez, je tranche ", a résumé dans Les Echos Laurent -Berger, le patron de la CFDT, manifestement peu satisfait d'être du mauvais côté de la truelle.
Synonyme hollandais : concer-tation.
Libérer les énergiesIl s'agit de supprimer des contraintes, des normes, des dispositions dans la loi, pour permettre aux acteurs individuels de l'économie de s'exprimer. La formule " libérer les énergies " se conjugue en -général avec son corollaire " protéger les individus ", même si ce deuxième volet est pour le -moment moins visible.
Synonyme dans l'ancien monde : libéraliser.
" Bottom up " Très prisée des -députés La République en marche, l'expression se traduit par " remonter des idées de la base vers le sommet ". L'élu est ainsi incité à calquer son action sur la démarche d'Emmanuel Macron, qui avait lancé sa campagne présidentielle en organisant un grand porte-à-porte national pour -consulter les citoyens.
Synonyme sous l'Ancien Régime : cahier de doléances.
Nicolas Chapuis
© Le Monde

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