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mercredi 28 février 2018

Sidération en Slovaquie après le meurtre d'un journaliste


28 février 2018

Sidération en Slovaquie après le meurtre d'un journaliste

Jan Kuciak avait été menacé à la suite ses enquêtes sur des cas de fraude fiscale

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Il était âgé de 27 ans, mais Jan Kuciak, du site Aktuality, figurait déjà dans le carré de tête des meilleurs journalistes d'investigation de Slovaquie. Le mobile de son meurtre est d'ailleurs " très probablement lié " à son travail, selon la police locale. Il a été tué à bout portant, ainsi que sa compagne, Martina Kusnirova, dans la maison que le couple envisageait de retaper, à 65 kilomètres de la capitale, Bratislava, avant un probable mariage.
Sans nouvelles du couple depuis plusieurs jours, c'est la mère de Martina Kusnirova qui avait donné l'alerte. Les secours ont trouvé deux corps, gisant sans vie, non loin l'un de l'autre, lundi 26  février. Lui avait été touché à la poitrine ; elle, à la tête. La date exacte de leur mort, entre le 22 et le 25  février, n'est pas encore établie.
L'assassinat d'un journaliste, par balle, survient pour la première fois dans ce pays d'Europe centrale depuis qu'il a rejoint l'Union européenne (UE), en  2004. Il suscite autant de sidération que d'émotion : ces dix dernières années, Reporters sans frontières a fait état de " seulement " trois meurtres de journalistes au sein de l'UE, en dehors du massacre de la rédaction de Charlie Hebdo, en  2015. L'ONG a d'ailleurs immédiatement réagi, réclamant " l'ouverture d'une enquête, afin de comprendre les circonstances exactes de la mort ".
RécompenseLe décès violent de Jan Kuciak s'est produit dans un contexte particulièrement tendu. Depuis la réélection du populiste de gauche (Smer) Robert Fico, en mars  2016, et la formation d'une coalition avec l'extrême droite (SNS), la presse slovaque a sorti plusieurs affaires de corruption impliquant le gouvernement. Et, en pleine conférence de presse, le chef de l'exécutif, interrogé sur des révélations gênantes pour son pouvoir, a déjà insulté les journalistes, traitant certains d'entre eux de " sales prostitués antislovaques ".
Pour sa part, Jan Kuciak avait publié des enquêtes sur des soupçons de fraude fiscale impliquant Ladislav Basternak, le propriétaire d'un complexe immobilier dans lequel réside M.  Fico. En septembre  2017, il avait déposé une main courante à l'encontre d'un autre businessman, Marian Kocner, qui avait également acquis un appartement dans cet immeuble, avant de le revendre. Sur Facebook, Jan Kuciak avait dit avoir été menacé par ce dernier, affirmait avoir déposé une plainte et être toujours sans nouvelles des suites que le parquet comptait donner à sa requête, quarante-quatre jours après.
Il avait également écrit sur un autre oligarque proche du parti au pouvoir, Miroslav Bödör. " Sa mort est une grande perte pour la Slovaquie et un très mauvais signal envoyé à ceux qui se montrent critiques ", a réagi Gabriel Sipos, de Transparency International, qui connaissait Jan Kuciak depuis deux ans. " Quatre-vingt-dix pour cent des meurtres de journalistes ont lieu dans des pays où la corruption est importante. Mais il faut rester prudent quant aux mobiles du meurtre. Jan Kuciak travaillait en ce moment sur un dossier totalement inédit. "
Tom Nicholson, un journaliste d'investigation anglo-canadien connaissant très bien la Slovaquie, a indiqué aux médias du pays que Jan Kuciak travaillait récemment sur des soupçons de fraude en rapport avec des fonds structurels européens, organisée par la Mafia italienne, dans l'est de la Slovaquie.
L'opposition juge problématique tout maintien d'une personnalité issue du parti Smer au ministère de l'intérieur. " Les gens de cette formation ont multiplié les attaques verbales à l'encontre des journalistes, s'insurge la députée libérale Veronika Remisova. Ils ont participé au développement d'un climat délétère. "
M. Fico n'a pas tardé à dénoncer ce double meurtre : " Depuis 1998 - et le départ du premier ministre autoritaire Vladimir Meciar - , tous les gouvernements slovaques ont respecté le rôle des médias dans la société et considéré la liberté de la presse comme faisant partie, de manière irremplaçable, de notre démocratie. "
Robert Kalinak, le ministre de l'intérieur, lui-même souvent visé par le travail d'investigation de journalistes de son pays, a promis de tout faire pour que l'enquête aboutisse, le gouvernement proposant même un million d'euros à toute personne fournissant des informations permettant de confondre les assassins. Il demande aussi à l'opposition de ne pas instrumentaliser l'affaire.
Une marche rendant hommage à Jan Kuciak et visant à protester contre la corruption doit avoir lieu prochainement, après la formation spontanée d'un comité de soutien sur Facebook.
Blaise Gauquelin
© Le Monde

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