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vendredi 23 février 2018

" Nous ne négocierons pas avec les djihadistes "


23 février 2018

" Nous ne négocierons pas avec les djihadistes "

Le président du Mali, Ibrahim Boubacar Keïta, estime que la guerre contre le terrorisme marque des points au Sahel

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Le Mali vit sous la menace des groupes djihadistes présents au nord et au centre du pays. Cinq ans après le déclenchement de l'opération française " Serval ", le G5 Sahel, qui doit regrouper à terme 5 000 soldats des cinq pays du -Sahel (Mali, Mauritanie, Burkina Faso, Niger et Tchad) est censé compléter le dispositif constitué par l'opération française " Barkhane " (4 000 hommes) et la Mission de maintien de la paix de l'ONU au Mali (Minusma, 12 000  militaires). Une réunion, vendredi 23  février à Bruxelles, doit aider à alimenter le budget de la force du G5, alors que l'UE vient d'annoncer un doublement de sa contribution, portée à 100  millions d'euros.
Au pouvoir depuis 2013, le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, 73 ans, entretient le mystère sur son intention de briguer ou non un second mandat à la présidentielle du 29  juillet


Quel bilan tirez-vous de - votre premier mandat à la tête du Mali dont vous ne contrôlez toujours pas l'intégralité du territoire ?

Au moment de mon élection en août  2013, le pays n'était pas dans une situation normale. Il n'y avait plus d'Etat. Nous n'avions plus d'armée et sans le déclenchement par la France de l'opération " Serval " - en janvier  2013 - , le Mali aurait cessé d'exister. Le temps de la remise en ordre est long et il a fallu faire un état des lieux.
J'ai agi et quoi qu'en disent certains, la situation actuelle n'a rien de comparable avec ce qu'elle fut à mon arrivée. Les djihadistes ne contrôlent plus de grands espaces. Pour ce qui est de la question du Grand Nord, nous sommes parvenus à un accord à Alger qui n'est certes pas parfait, mais qui crée un cadre de négociation. Il garantit, notamment, la laïcité et l'intégrité territoriale du Mali.


On vous reproche pourtant de ne pas vraiment appliquer cet accord d'Alger, signé en  2015…

Il pourrait être mieux appliqué, mais le gouvernement malien a fait sa part du travail. Cela a pris presque huit mois, pour que les parties maliennes se parlent. Nous attendons depuis près d'un an que certains groupes armés nous transmettent leur liste de combattants, dans le cadre du programme de désarmement, de démobilisation et de réintégration.


Pourtant les attaques sont de plus en plus fréquentes dans le centre du pays où de nouveaux groupes sont apparus ?

Il n'y a pas de groupes armés à proprement parler. Ce ne sont que des phénomènes sporadiques, avec des engins explosifs improvisés au passage de troupes. C'est, -selon moi, une excroissance de ce qui se passe dans le Grand Nord. Dimanche 18  février, un chef local d'une unité combattante du dit Front de libération du Macina a été arrêté. L'armée marque des points.


Deux soldats français de l'opération " Barkhane " ont été tués, mercredi 21  février, dans l'explosion d'une mine artisanale dans le nord-est…

Je m'incline devant le sacrifice des soldats français. J'adresse mes condoléances à leurs familles. Ils sont morts pour notre liberté. Cela renforce notre détermination à combattre ensemble le terrorisme.


L'armée malienne n'est-elle pas démotivée face à l'ampleur de la tâche ?

Cette guerre est d'une extrême dureté. L'ennemi est invisible et cruel. Mais les soldats maliens sont loin d'avoir le moral dans les talons. Il ne faut pas demander l'impossible à une armée qui, il y a cinq ans, n'avait pas d'équipements, pas de formation et qui vient tout juste d'acquérir cinq avions. Chaque soldat qui tombe meurt pour le Mali, mais aussi pour la France. Car nous ne sommes qu'un terrain de passage. Le but, le cap des djihadistes, c'est vous.


Avez-vous tenté de négocier avec des mouvements -djihadistes ?

Pouvons-nous négocier avec Daech ? Avec Al-Qaida au Maghreb islamique ? Ma réponse est un non ferme. En revanche, certains sont venus à nous. Un petit groupe du Front de libération du Macina s'est récemment rendu, avec armes et bagages. Ceux qui n'ont pas de sang sur les mains pourraient avoir la vie sauve.


Quid d'un dialogue  avec le chef touareg malien, Iyad Ag-Ghali, qui dirige la coalition du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (JNIM) ?

Pas question ! Le président du Haut Conseil islamique, l'imam Mahmoud Dicko, avait reçu mandat de l'ancien premier ministre - avril-décembre  2017 - Abdoulaye Idrissa Maïga pour une mission de bons offices au centre et au nord du pays. Je l'assume en tant que chef d'Etat, mais j'étais loin de l'approuver. Nous y avons mis fin.


Confirmez-vous que l'un des bras droits de Iyad Ag-Ghali a été tué début février ?

Ce que je peux vous dire, c'est que vingt-trois djihadistes ont été neutralisés lors d'une opération française menée à 900 mètres de la frontière algérienne. Il semble qu'il y ait des hauts responsables parmi eux.


Peut-on qualifier de bavures le fait que les militaires français ont tué, fin octobre  2017, onze soldats maliens prisonniers des djihadistes ?

Il est clair que c'était des otages et non pas des djihadistes. En aucun cas, il n'a été dans l'intention des Français de tuer des soldats maliens. Quand un cas comme celui-ci intervient, on ne va pas faire de procès ad vitam aeternam. C'était regrettable et douloureux.


Le rapprochement entre le JNIM d'Iyad Ag-Ghali et l'Etat islamique au Grand Sahara, d'Abou Walid Al-Sahraoui, vous inquiète-t-il ?

C'est la détermination affichée par la coalition antidjihadiste conduite par le G5 Sahel avec l'appui de nos amis français et européens qui les inquiète. Cela ne nous surprend pas.


Comment vivez-vous la défiance de certains de vos -homologues de la région qui vous considèrent comme le " maillon faible " du G5 Sahel ?

Je le déplore. Chacun de nous a sa propre réalité. Aucun autre pays de la région n'a été confronté à autant de défis que le nôtre. Mais on tient, tout en corrigeant nos insuffisances sur le plan militaire et en essayant de poursuivre notre développement économique.


Etes-vous satisfait des actions de la Minusma ?

A quoi bon faire du maintien de la paix alors que nous menons une guerre régionale contre le djihadisme ? Sans un mandat plus offensif que nous réclamons à cor et à cri, la Minusma, qui est l'une des missions de l'ONU enregistrant le plus de pertes humaines, se contente aujourd'hui de faire du social.


Le G5 Sahel n'a pour l'instant obtenu que 240  millions d'euros sur les 345  millions -nécessaires. Pourquoi cette force peine-t-elle à trouver des financements ?

Je suis vraiment agacé. Quand on sait ce qui est dépensé chaque jour en Irak et en Syrie dans des bombardements, voir les pays du Sahel aujourd'hui tendre la main pour avoir 345  millions d'euros, j'avoue que ça me fait mal. Nous ne sommes pas des mendiants.
Nous ne sommes pas non plus responsables de la fin de Mouammar Kadhafi et du délitement de la situation en Libye où il y aurait 13  millions d'armes en circulation. La communauté internationale a un devoir d'action et de solidarité. La France l'a très bien compris. François Hollande a fait de son mieux. Emmanuel Macron, avec son dynamisme particulier, est en train de pousser avec la chancelière allemande, Angela Merkel.


Quelles sont vos relations avec Emmanuel Macron, avec qui l'on dit que vos rapports sont tendus ?

On se tutoie. Le lendemain de mon arrivée à Paris, j'ai été reçu lundi - 19  février -durant quarante-cinq minutes, dans une grande convivialité. C'est un homme très structuré qui dit ce qu'il pense avec une totale franchise. Il n'a jamais été désagréable avec moi.


Comptez-vous briguer un second mandat ?

Je ne vous le dirai pas. Si je décide de me présenter de nouveau, j'en réserverai la primeur aux Maliens. Et je ferai en sorte que tous les candidats puissent mener campagne dans les meilleures conditions.
propos recueillis par Christophe Ayad, Francis Kpatindé et Joan Tilouine
© Le Monde

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