Est-ce un tournant ? Le moment attendu par les partisans de l'interdiction du fusil d'assaut AR-15, l'arme de choix des auteurs de tueries de masse aux Etats-Unis ? La colère des jeunes du lycée Marjory Stoneman Douglas, en Floride, où 17 lycéens et enseignants ont été fauchés le 14 février, par un ancien élève, a fait passer un souffle d'urgence et de renouveau dans le débat sur le contrôle des armes à feu. S'il est trop tôt pour mesurer les effets de la mobilisation des jeunes de Parkland, c'est en tout cas le signe d'un sursaut.
Une fois de plus, le pays est à la recherche de réponses après un
mass shooting.
" Mais cette fois c'est différent, assure le politologue John Zogby.
Les enfants mènent le mouvement. " Et ils l'ont tout de suite déplacé sur le terrain politique. En lieu et place de veillées et de bougies, les jeunes de Parkland ont introduit revendications et mobilisation, sans craindre de mettre en garde les élus contre le moment où ils auront le droit de vote :
" On s'en prendra à vous. "
Rien jusqu'à présent n'est parvenu à bousculer l'équation politique autour de la violence par -armes à feu aux Etats-Unis. Ni le massacre de décembre 2012 à l'école primaire de Sandy Hook (Connecticut), où 20 enfants ont été abattus par un jeune déséquilibré, avec le semi-automatique que lui avait offert sa mère. Ni celui du 1er octobre 2017, à Las Vegas, qui a vu un joueur de casino de 64 ans faire feu sur les spectateurs d'un concert et tuer 58 personnes – pour des raisons non élucidées près de cinq mois après. A chaque fois, les tentatives de réglementation des armes ont tourné court, une fois l'émotion retombée.
Signes d'empathieMais les lycéens de Parkland, une banlieue aisée, à 75 % blanche, ont une légitimité unique. Ils sont restés terrés dans leur salle de classe durant quatre heures et ils
" comprennent ce que c'est que d'envoyer un dernier SMS à ses parents pour leur dire qu'on les aime ", comme l'a dit un rescapé. De leur stress post-traumatique, ils ont fait une revendication politique, avec une authenticité qui fascine les chaînes de télévision. Stupéfaits, les parents américains ont découvert à quel point les lycéens connaissent les termes du débat sur les armes à feu, pour les avoir maintes fois étudiés en classe.
Donald Trump, qui s'y connaît en matière de communication, ne s'y est pas trompé. Si la fusillade ne l'a pas empêché de faire un parcours de golf dimanche à Mar-a-Lago, à 60 km de Parkland, il a manifesté des signes d'empathie. Lundi, il a demandé au ministre de la justice, Jeff Sessions, d'édicter des normes interdisant les ventes de
bump stocks(dispositif d'accélération du tir utilisé à Las Vegas), un signe de conciliation même si les
bump stocks n'ont rien à voir avec le drame de Parkland.
Mercredi, M. Trump a reçu des familles de victimes à la Maison Blanche. Lui aussi a écouté les témoignages – sans les interrompre, a souligné la presse, dont celui du père de Meadow Pollack, 18 ans, atteinte par neuf balles le 14 février. Il a manifesté de l'intérêt pour plusieurs revendications des jeunes dont un renforcement des
background checks (les antécédents judiciaires ou psychiatriques) pour se procurer des armes. Mais il a adopté le point de vue de la NRA en faveur d'un surarmement des établissements scolaires : 20 % des équipes pédagogiques pourraient être armées, a suggéré le président.
Au même moment, une manifestation de plusieurs centaines d'
" ados pour une réforme des armes à feu " se tenait devant la Maison Blanche. Des jeunes avec des affiches faisant la liste des fournitures scolaires nécessaires dans les écoles américaines : cahiers, crayons… gilet pare-balles. La -mobilisation anti-armes a commencé à gagner les lycées au-delà de la Floride. A l'initiative des jeunes de Parkland, une " Marche pour nos vies " est prévue le 24 mars à Washington. George et Amal Clooney ont offert 500 000 dollars pour l'organisation de la manifestation, et l'acteur et son épouse avocate ont annoncé leur présence. L'animatrice Oprah Winfrey leur a emboîté le pas, ainsi que Steven Spielberg, au risque d'alimenter les accusations de récupération de la colère lycéenne par les démocrates.
Rien ne dit que les jeunes de Parkland réussiront à mettre un terme à la décennie de victoires du camp " pro-guns ". Leur initiative vient en tout cas s'ajouter à plusieurs mouvements issus de la base : #metoo, Black Lives Matter, la Women's March. Au déclin des partis répond l'émergence de mouvements de société spontanés. Tous promettent de se mobiliser dans les urnes. Les républicains n'ont plus qu'à espérer qu'ils ne convergent pas en un grand coup de balai lors des élections de mi-mandat le 6 novembre.
Corine Lesnes
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