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samedi 24 février 2018

Les djihadistes, acteurs de télé-réalité en Irak


24 février 2018

Les djihadistes, acteurs de télé-réalité en Irak

Une émission met en scène des terroristes sur les lieux des attentats qu'ils ont commis

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DES RUSSES DE L'EI EXPULSÉS PAR BAGDAD VERS MOSCOU
L'Irak a livré à la Russie 4 femmes et 27 enfants soupçonnés d'avoir des liens avec l'organisation Etat islamique (EI), a révélé, jeudi 22 février, la chaîne irakienne Al-Sumaria." L'Irak a renvoyé en Russie 27 enfants et 4 femmes qui se sont retrouvés dans les rangs de Daech "a confirmé le ministère irakien des affaires étrangères, ajoutant que l'enquête était parvenue à la conclusion qu'ils n'avaient pas participé à des actes terroristes.
C'est un " Faites entrer l'accusé " un peu spécial, révélateur de la tragédie irakienne et de sa violence, qui draine chaque vendredi soir plusieurs millions de téléspectateurs devant la chaîne nationale Al-Iraqiya. Pendant l'heure que dure l'émission " Dans les griffes de la loi ", des condamnés à mort se confessent face caméra, sur les lieux de leur crime, à propos des actes terroristes qu'ils ont commis au nom de l'organisation Etat islamique (EI). Rien n'est épargné aux téléspectateurs. Ni les images des attaques avec leur lot de victimes ensanglantées et de corps démembrés, ni la confrontation souvent houleuse avec les proches des victimes, ni bien sûr la litanie de remords et de regards contrits des condamnés.
C'est même ce côté cru qui a fait le succès du show télévisé depuis cinq ans. Regarder " le Mal " en face, lui donner un visage, a un effet cathartique pour les Irakiens exposés à la terreur que répandent, depuis 2003, les groupes djihadistes et les autres groupes armés insurgés. L'idée a germé dans la tête d'Ahmed Hassan en  2013.
" Il y avait plusieurs émissions classiques où le présentateur posait des questions au condamné en studio. Les gens disaient que c'était fabriqué, que les condamnés étaient des innocents qui avaient été forcés d'avouer sous la torture, car ils ne faisaient pas confiance aux forces de l'ordre ni aux juges. J'ai voulu mettre en lumière leurs efforts en montrant les preuves : les aveux des condamnés, les preuves récoltées chez eux et sur les lieux du crime, les vidéos de caméra de surveillance et même les vidéos de propagande de Daech - acronyme de l'organisation Etat islamique - ", dit le journaliste de 36 ans depuis le studio de la télévision, au centre de Bagdad.
Ressorts sensationnalistesLe show télévisé est dans l'air du temps en Irak. Il se nourrit de la sidération qu'a engendrée la chute brutale, en juin  2014, de près d'un tiers du pays aux mains de l'EI. Il exalte les forces armées, glorifiées en Irak depuis la victoire militaire contre Daech de décembre  2017. Il use de tous les ressorts sensationnalistes. " Pour les gens, le plus important est de comprendre comment les terroristes opèrent pour pouvoir se protéger chez eux, sur le lieu de leur travail et dans leurs déplacements. Il y a un côté préventif : on dévoile à M. Tout-le-Monde les méthodes de recrutement, mais aussi d'attaque des terroristes ", assure Ahmed Hassan.
Dans un décor inspiré d'un bureau de détectives américains des années 1920, les photos des coupables épinglés au mur, Ahmed Hassan introduit l'affaire du soir. Alaa Asman, 41 ans, apparaît à l'écran assis sur un tabouret, menotté et vêtu d'une tunique jaune de prisonnier. Il se présente comme le commandant, pour l'EI, de la cellule d'Abou Ghraïb, dans la province de Bagdad, qui a mené onze attaques contre des civils et les forces de l'ordre. Des images des vidéos tournées par l'unité de renseignements de l'armée qui a démantelé le réseau montrent les preuves matérielles qui ont été retrouvées : téléphones portables, numéros des membres de la cellule, armes et explosifs.
Arrive alors le climax de l'émission : la reconstitution sur les lieux d'un attentat. Alaa Asman et l'un de ses complices sont amenés, sous bonne escorte, sur les lieux de l'attaque qu'ils ont perpétrée contre des policiers dans le village d'Aswa en  2016. Menottés et agenouillés, ils décrivent le déroulé de l'opération. Une femme vêtue d'une abaya noire les interpelle. " Regarde-moi ! Je suis une mère. Tu n'as pas de mère ? Mon fils avait-il fait quelque chose contre toi ? Non, il te protégeait. Toute la ville chérit son nom. Même s'ils vous pendent un million de fois, mon cœur ne sera pas apaisé ! ", dit cette femme, dont le fils policier a été tué dans l'attentat, avant de fondre en larmes. Les deux condamnés baissent les yeux.
Investi d'une mission" Certains présentent de réels remords, car ils ont réalisé qu'ils arrivent à la fin du chemin. Pour d'autres, cela va plus loin : ils veulent adresser un message à leurs -camarades pour les dissuader de toute action ", explique le journaliste irakien. Ahmed Hassan assure veiller à donner un visage humain aux condamnés. Il écarte les critiques et les réserves, notamment exprimées par les organisations de défense des droits de l'homme, sur le fait de mettre en scène des condamnés à mort.
Ahmed Hassan l'assure, les condamnés sont consentants. Mais ont-ils vraiment leur mot à dire ? Si certains des 150 condamnés passés dans " Les Griffes de la loi " ont écopé de la perpétuité ou de peines moins lourdes en vertu de la loi antiterroriste, d'autres, condamnés à mort, ont depuis été exécutés. En  2017, 106 exécutions ont été pratiquées, selon le Haut-Commissariat aux droits de l'homme. Ahmed Hassan ne s'en émeut pas. " La plupart du temps, j'ai de la peine quand j'interroge de jeunes terroristes. Je me dis qu'ils auraient pu trouver une autre voie, être utiles à la société, et ne pas perdre leur vie de façon honteuse et tragique. Mais je suis favorable à la peine capitale pour ce genre de crimes ", explique-t-il.
Il assure respecter la loi irakienne et les droits humains, dès lors que l'émission est filmée après la condamnation finale, avec l'accord des institutions judiciaires et de sécurité. " J'ai l'accord du ministère de l'intérieur et du Conseil suprême des juges pour avoir accès aux dossiers des tribunaux antiterroristes ", dit-il. Il espère que l'accord lui sera donné pour réaliser des émissions sur les condamnés étrangers. Ahmed Hassan se dit investi d'une mission au nom des victimes irakiennes du terrorisme. " J'essaie de dissuader d'autres de rejoindre les rangs des organisations terroristes, de montrer leur idéologie erronée et de saper leur moral ", affirme-t-il. Après 150 épisodes, il ne compte pas s'arrêter en si bon chemin.
" La lutte militaire est terminée, mais l'idéologie extrémiste de Daech perdure et il faudra des années pour s'en débarrasser. "
Hélène Sallon
© Le Monde

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