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vendredi 23 février 2018

Les Crises.fr - [RussEurope en Exil] De l’islamophobie et de la revendication indentitaire-narcissique, par Jacques Sapir


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23
Fév
2018

[RussEurope en Exil] De l’islamophobie et de la revendication indentitaire-narcissique, par Jacques Sapir


(Billet invité)
L’emprisonnement de M. Tariq Ramadan, à la suite de la décision d’un juge d’instruction concernant les accusations pour des viols qui ont été portées contre lui a suscité une montée de protestations sur les réseaux sociaux mais aussi une montée de haine contre des personnes qui ont soutenus ou qui soutiennent les accusatrices de M. Ramadan. Au-delà de la dimension « émotive » de cette affaire, cela pose à nouveau la question du droit au débat public sur un certain nombre de sujets, et de l’usage du terme « islamophobie » qui est désormais utilisé de manière systématique pour chercher à faire taire des contradicteurs. Ainsi, des attaques particulièrement violentes et perverses ont frappé Mme Fatiha Boudjahlat, auteure d’un livre remarquable dont j’avais rendu compte il y a peu[1]. Je m’étais déjà exprimé dans un autre livre[2] sur cette tendance à interdire le débat que portent certains, pour les nommer des membres ou des sympathisants d’organisations proches des Frères Musulmans. Le fait qu’ils soient rejoints par des personnes qui croient exprimer ainsi une solidarité envers des opprimés est un vrai problème. Car, cette prétendue solidarité équivaut à un blanc-seing pour de très réels oppresseurs. Et cette prétendue solidarité ne peut qu’alimenter d’autres qui ne font que semblant de s’indigner et qui en fait jouent de ces problèmes à des fins bassement politiciennes. Le sinistre tandem formé par MM Plenel et Valls en est la parfaite illustration[3]. Il convient donc de repréciser un certain nombre de notions et de faits.
  1. L’islamophobie n’est pas un délit et ne peut l’être.

L’islamophobie, soit au sens strict la détestation ou la crainte que peut inspirer une religion reste dans le domaine de la contestation des idées. Et, de ce point de vue, on peut craindre et même détester diverses religions, trouver que l’Ancien Testament falsifie l’histoire, que le Nouveau Testament décrit un mythe, et que le Coran contient des absurdités dangereuses. Tout cela est affaire d’opinion. Tout croyant doit s’attendre et accepter à se voir contester sur les points mêmes de sa croyance. Si certains musulmans (et je précise qu’ici je ne vise que les intégristes) sont aussi sensibles sur la question d’une prétendue « islamophobie » c’est justement parce qu’ils croient – littéralement – que le Coran a été dicté par « Dieu » et que donc toute critique du Coran équivaut à un blasphème. C’est ici que l’on mesure la dimension profondément perverse de l’usage fait de la notion « d’islamophobie » qui revient en réalité à réintroduire dans la société le délit infâme de blasphème. Mais, le fait que des intégristes usent de ce stratagème pour chercher à se mettre au-dessus des lois et des pratiques normales de débat ne devrait pas être suivi par d’autres, qui eux ne sont nullement intégristes. Le fait que l’accusation « d’islamophobie » soit désormais assez systématiquement utilisée dans des tentatives pour arrêter tout débat, comme une forme d’argument saturant, montre que certains n’ont pas compris ce qui se jouait intellectuellement et politiquement autour de ce mot.
  1. Les attaques contre les musulmans considérés en tant que groupe sont par contre un délit.

Il faut alors immédiatement ajouter que les attaques contre les musulmans (tout comme contre tout autre groupe) sont absolument odieuses et intolérables. Le racisme et la ségrégation constituent des délits pour le droit français, et c’est tant mieux. Intellectuellement, il y a quelque chose de malsain, et même de pathologique, dans l’idée que l’on puisse faire porter à tout un groupe la responsabilité des actes de certains ou même que l’on puisse unifier une population en une soi-disant « communauté » sur la base d’une croyance religieuse. Car, cette croyance, au sein de la même religion, peut être très diverse. La constitution d’une sphère du « bien publique » et de la « chose publique » (au sens premier de la Res Publica) s’oppose radicalement à toute idée de responsabilité collective d’un groupe au sein de la communauté nationale.
  1. Le discours de « victimisation » systématique tenu par certains cherche à imposer une logique communautariste au sein de la République.

Un fois que l’on a bien précisé la différence entre « islamophobie » et comportements antimusulmans, il convient aussi d’ajouter que la revendication en l’existence d’une « communauté », distincte et séparée de la communauté nationale, revendication qui est portée par des franges extrémistes, vise à faire éclater la communauté nationale et à imposer un retour aux communautés religieuses et ethniques. Et ceci est condamnable. Non que la communauté nationale soit parfaite. Mais, elle constitue un immense progrès, tant du point de vue de la paix civile que de la possibilité formelle d’établir une démocratie, par rapport à l’existence de communautés religieuses ou ethniques. De ce point de vue, les discours « communautaristes », et le discours sur le « multi-culturalisme », constituent des points de vue régressifs, dont les dangers sont évidents, à la fois du point de vue de la paix civile et du point de vue du fonctionnement de la démocratie. Car, la démocratie signifie que tous ont, dans le cadre d’un espace de souveraineté clairement déterminé, le même droit de concourir à la formation des institutions et au bien commun. Ces discours doivent donc être combattus avec la plus grande fermeté.
  1. La pratique d’une religion ne saurait être interdite, mais les formes d’affirmation de la croyance en une religion peuvent être réglementée.

Il convient de rappeler qu’en France, et dans tous les pays que l’on dit « civilisés », la pratique des religions est libre, sauf dans le cas où cette pratique violerait le cadre de la loi. Ainsi, le fait de s’opposer à la construction de mosquées est condamnable. Mais, le fait de prétendre, au nom de la religion, pouvoir avoir certaines pratiques (comme le mariage de jeunes enfants, ou la discrimination institutionnalisée entre les sexes) tombe sous le coup des lois. Et cela ne fait que matérialiser le fait que dans une société qui refuse les communautarismes, la « loi de Dieu » ne peut avoir de valeur que pour l’individu. Tout ce qui concerne plus d’un individu relève de la loi des hommes, et donc des textes décidés collectivement, même si ces textes sont bien entendu imparfaits[4].
Il convient de rappeler alors, cet aphorisme anglais « sex and cult are privacy ». On comprend aisément que toute pensée totalitaire, tout projet totalitaire doit nécessairement remettre en cause cette distinction entre sphère privée et sphère publique comme préalable à l’asservissement des individus. Que cette remise en cause procède d’une irruption de la sphère publique dans la sphère privée (ce qui a caractérisé le nazisme et le stalinisme), ou que cette remise en cause procède de l’envahissement de la sphère publique par la sphère privée, ce qui correspond aujourd’hui aux revendications indentitaro-narcissiques, dont certaines des revendications religieuses font partie[5]. Or, c’est bien à ce type de revendication auxquelles nous sommes confrontés à travers des ports ostentatoires de marques religieuses ou des pratiques relevant de rituels, qui renvoient eux-mêmes à des orthopraxies.
Il convient aussi de donner la parole à l’une des grandes figures du libéralisme, John Locke, qui écrivait au XVIIe siècle justement à propos des tenues vestimentaires associées à certaines religions (les sectes protestantes) : «Il est dangereux qu’un grand nombre d’hommes manifestent ainsi leur singularité quelle que soit par ailleurs leur opinion. Il en irait de même pour toute mode vestimentaire par laquelle on tenterait de se distinguer du magistrat [comprendre l’autorité civile] et de ceux qui le soutiennent ; lorsqu’elle se répand et devient un signe de ralliement pour un grand nombre de gens…le magistrat ne pourrait-il pas en prendre ombrage, et ne pourrait-il pas user de punitions pour interdire cette mode, non parce qu’elle serait illégitime, mais à raison des dangers dont elle pourrait être la cause?»[6]. On le voit, Locke établit une distinction entre ce qui est légitime (en principe) et ce qui pose problème à la paix civile. Rappelons, aussi, que des arrêtés multiples interdisent de se promener nu ou à demi-nu dans des lieux publics. L’interdiction des signes religieux ostentatoires n’est donc nullement une atteinte à la liberté individuelle, mais une règle de respect par rapport aux autres, par rapport à ce qui fait communauté nationale.
  1. La question de la soi-disant « islamophobie » conduit certains à tolérer ce qui n’est pas tolérable.

On constate ainsi que, au nom de la « non-ségrégation » ou au nom d’une version dévoyée du principe de solidarité, certains en viennent à tolérer des pratiques barbares comme l’excision des petites filles[7], ou comme une séparation stricte entre les sexes (ce qui était le problème soulevé d’ailleurs par Fatiha Boudjahlat dans son intervention face au ministre de l’éducation nationale, M. Blanquer dans l’émissionC’est Politique sur France-2). On sait que ces pratiques, tout en restant minoritaires, tendent aujourd’hui à se multiplier. Nombreux sont ceux qui, au sein de l’administration publique ou dans la société, font semblant de ne pas voir la montée de telles pratiques. Il faut dire de la manière la plus claire qu’il soit que ceci n’est pas admissible, que ceci n’est pas tolérable. Ici encore, tout ce qui tend à nous ramener à la barbarie doit être combattu de la manière la plus vigoureuse et la plus déterminée.
Il faut alors regretter que des personnes intelligentes et sensées, comme Pascal Boniface, que j’ai pu soutenir en de nombreuses occasions, et en particulier quand une odieuse accusation d’antisémitisme a été proférée contre lui, et en particulier par Manuel Valls, se trompent de combat, et en arrive à condamner Mme Boudjahlat quand elle s’élève contre l’intolérable et qu’elle fait une œuvre de salubrité publique !
[2] Sapir J., Souveraineté, Démocratie, Laïcité, éditions Michalon, Paris, 2016.
[5] Ce que je signalais dans ma note « De la Laïcité (1)», écrite en août 2016,http://russeurope.hypotheses.org/5207
[6] Locke, J., Essai sur la Tolérance, Paris, Éditions ressources, 1980 (1667).
[7] Il faut ici rappeler qu’une source islamique donne une position très raisonnable (https://www.maison-islam.com/articles/?p=122 ) et précise que « D’après l’avis qui paraît pertinent, en islam la “circoncision” féminine (même sous sa forme citée ci-dessus) ne fait pas l’objet d’une obligation ; ni même d’une recommandation (voir Fat’h ul-bârî, tome 10 p. 419). Des hadîths la recommandant, aucun n’est authentique (sahîh) ou bon (hassan) ». Mais, certains imams intégristes ou traditionnalistes la recommandent.

24 réponses à [RussEurope en Exil] De l’islamophobie et de la revendication indentitaire-narcissique, par Jacques Sapir

Commentaires recommandés


Lysbeth LevyLe 23 février 2018 à 08h15
Le problème avec Jacques est qu’il prétends qu’il n’y a pas d’islamophobie alors qu’on abuse d’antisémitisme, racisme le mieux reconnue “le racisme” le plus “acceptable” dans la “hiérarchie des racismes”. Depuis qu’il est proche de Fatiha Boudjahalat “activiste” proche du “printemps républicain ” qui insulte toutes personnes qui n’a pas ces idées et qui veux comme la Licra, extrême droite, Printemps Républicain faire interdire le mot qui désigne bel et bien un racisme bien entretenu contre les musulmans et arabes. Ce n’est pas en interdisant l’utilisation du mot que ça permettra que le problème existe encore. C’est une fumisterie lancée par des extrêmistes Licra et autres Printemps républicains que vouloir attaquer les croyants de cette religion sans en reconnaitre l’entretien de la haine, intolérance . Donc on peux insulter tous les jours des personnes, communautés sous le fallacieux prétexte que c’est pas du racisme, ni d’intolérance, comme Charlie Hebdo qui se donne le droit de faire tous les jours des pages islamophobes en prétendant défendre la laicité et liberté d’expression. Je signale que l’antisémitisme est un délit et que l’on veux mettre sous cloche l’autre racisme pas plus moral qu’est l’islamophobie.

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