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vendredi 2 février 2018

Hadi, président fantoche d'un Yémen éclaté


2 février 2018

Hadi, président fantoche d'un Yémen éclaté

Exilé en Arabie saoudite, le chef de l'Etat est accusé de prolonger la guerre au profit de ses proches

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VISITE DE LA COALITION ARABE À ADEN
De hauts responsables saoudiens et émiratis de la coalition arabe intervenant au Yémen se trouvaient à Aden, jeudi 1er février, selon l'agence emiratie WAM. Les deux puissances régionales, qui déploient des militaires dans la ville, n'étaient pas intervenues durant les combats qui ont vu triompher les séparatistes du mouvement sudiste sur les forces gouvernementales. Des négociations ont lieu entre les séparatistes, alliés des Emirats, et le premier ministre, Ahmed Ben Dagher, assiégé dans le palais présidentiel. Les séparatistes réclament sa démission et la nomination d'un gouvernement de technocrates. Mardi, Aidarous Al-Zoubaidi, le leader du Conseil de transition du Sud, a rappelé le dévouement des " sudistes " à la coalition arabe.
Insensiblement, les murs du Palais des hôtes se resserrent autour d'Abd Rabbo Mansour Hadi. Depuis la résidence où la monarchie saoudienne l'héberge, dans son exil à Riyad, le président yéménite assiste à la télévision, impuissant, à la dislocation de son pays. Dernière mauvaise nouvelle en date, la défaite de la garde présidentielle, sa force prétorienne, mardi 30  janvier, face à des groupes armés sécessionnistes dans la grande ville portuaire d'Aden, qui lui tenait lieu de " capitale temporaire " – même s'il n'y met plus les pieds – depuis la perte de Sanaa, en septembre  2014.
Les forces séparatistes sudistes se sont imposées dans la quasi-totalité d'Aden, au terme de combats, qui ont fait au moins 38 morts. Elles encerclent les rares ministres de M. Hadi encore présents dans le palais présidentiel d'Al-Maachik. Elles exigent leur démission, les jugeant incapables et corrompus. Et après ? Le mouvement sudiste ne souhaite pas encore rompre avec l'Etat central – ou plutôt avec ce qu'il en reste.
Il y a une malédiction d'Aden pour ce président en exil. Il y a trois ans déjà, le 25  mars 2015, M.  Hadi s'était lui-même résigné à quitter son pays, en s'embarquant depuis le port de la ville. A l'époque, les rebelles houthistes, venus depuis le nord, menaçaient de prendre la grande cité portuaire du sud. La nuit même, l'Arabie saoudite entrait en guerre au -Yémen, répondant à un appel de M. Hadi. A la tête d'une coalition de pays arabes sunnites, Riyad ne pouvait tolérer que cette rébellion, alliée à son grand rival régional, l'Iran chiite, conquière la totalité du Yémen, qui fait partie du pré carré saoudien.
Sabordage des négociationsDepuis, M.  Hadi demeure en exil chez ses hôtes saoudiens, qui ne peuvent pas se défaire de lui. " Sa légitimité a du plomb dans l'aile, mais il reste un élément essentiel du dispositif saoudien ", note un diplomate européen. Le soutien infaillible apporté par M. Hadi aux  bombardements aériens de la coalition, meurtriers pour les civils, l'a décrédibilisé de longue date auprès des nordistes, les premiers visés. Puis, en mai  2017, il a rompu avec le mouvement sudiste, qui n'a depuis cessé d'affirmer sa puissance malgré ses divisions intestines.
Les diplomates occidentaux ont été écœurés par les efforts qu'ont menés les proches de M. Hadi pour saborder les dernières négociations de paix inter-yéménites, qui se sont achevées sur un échec à l'été 2016, au Koweït. " Certains au gouvernement ne veulent pas voir la guerre finir, constate un collaborateur amer du président. Hadi fait partie du problème : il vit au Palais des hôtes de Riyad pendant que le pays meurt de faim. "
Pourtant, à son corps défendant, M.  Hadi incarne encore l'Etat yéménite. " Aujourd'hui personne ne peut démettre le président, insiste un officiel saoudien. Son nom figure noir sur blanc dans la résolution 2216 du Conseil de sécurité de l'ONU ", adoptée le 14  avril 2015, et appuyant l'entrée en guerre de la coalition. " Si Hadi disparaît, adieu le Yémen ! Al-Qaida n'attend que cela, les houthistes n'attendent que cela… Il n'y aura plus d'Etat, nous deviendrons une nouvelle Somalie ", prédit le ministre yéménite de l'information, Muammar Al-Iryani, à Riyad.
M.  Hadi est devenu chef de l'Etat yéménite en  2012, à la suite de l'ex-président Ali Abdallah -Saleh, chassé du pouvoir après trente-trois ans de règne, dans la foulée des révolutions arabes. Les Yéménites avaient voté en faveur d'une transition politique de deux ans, au terme de laquelle M. Hadi, ancien vice-président de M. Saleh, aurait dû laisser le peuple se prononcer sur une nouvelle Constitution et élire un président de plein exercice.
Les rebelles houthistes ne lui en ont pas laissé le temps. En s'emparant de la capitale, Sanaa, en septembre  2014, ils ont effacé tout espoir d'élections. " Hadi a commis beaucoup d'erreurs, mais sa faute capitale, c'est d'avoir perdu le pays à cette date ", soupire le collaborateur critique du président.
Dans leur vie d'exilés, menée d'hôtels en résidences à travers le Moyen-Orient, les ministres de M. Hadi ont tous pris du ventre. Ils font de brefs passages à Aden, Marib ou Moukalla, pour maintenir une illusion de présence dans leur pays. Seuls deux d'entre eux résident de façon permanente à Aden : le premier ministre et le vice-ministre des finances, originaires de la ville. Cette équipe disparate, M.  Hadi la remanie trois ou quatre fois par an, " les mauvaises langues prétendent qu'il s'agit de partager le gâteau ", dit le diplomate européen.
Les seuls membres vraiment influents de l'équipe Hadi sont des cadres du parti Al-Islah, issu des Frères musulmans, et l'entourage direct du président, dont son -conseiller économique, Ahmed Al-Aisi. Ce marchand de pétrole, qui a prospéré sous l'ancien régime de M. Saleh, est originaire de la même province d'Abyan que M. Hadi. Il serait en affaires avec son fils Jalal – ce qu'il nie. Surnommé" le Crocodile " ou " le -Requin "par ses détracteurs, M.  Al-Aisi dit recevoir 40  millions de dollars (32  millions d'euros) par mois du gouvernement pour ses livraisons d'essence au Yémen.
Corruption du gouvernementDécrié par le mouvement sudiste, M.  Al-Aisi est accusé d'œuvrer pour que la raffinerie d'Aden demeure à l'arrêt : c'est son fuel importé qui alimente les générateurs d'électricité de la ville. L'homme d'affaires dénonce " une accusation politique. Il y a peu d'hommes d'affaires de grande ampleur dans le sud du Yémen : moi, je ne travaille ni pour M. Hadi ni pour la coalition, mais pour les gens ", se justifie-t-il.
M.  Al-Aisi, dont la famille réside à Dubaï, affirme aussi alimenter en fuel les bases militaires des Emirats arabes unis, le principal acteur de la coalition dans le sud du Yémen, installées sur l'île -yéménite de Socotra et dans le port d'Assab (Erythrée). Depuis un mois, la chaîne de télévision en ligne du businessman, Aden Sky, multiplie les attaques contre le ministre de la défense yéménite, en exil à Riyad, qu'elle accuse de corruption. Le ministère a mis fin, en décembre 2017, aux livraisons de nourriture aux -soldats yéménites que coordonnait M. Al-Aisi…
En privé, les parrains saoudiens de M. Hadi reconnaissent la corruption de son gouvernement. Riyad a dû se résoudre, le 17  janvier, à verser 2  milliards de dollars d'aide à la banque centrale yéménite, pour empêcher un écroulement de la monnaie, mais entend, en contrepartie, resserrer son contrôle sur l'institution.
Ainsi, les recettes que le gouvernement yéménite tire des douanes et des exportations pétrolières n'y sont pas versées : elles atterrissent directement sur un compte privé, dans une banque saoudienne, jugée plus sûre par Riyad. " Au fond, les Saoudiens ne se rendent pas comptent qu'ils affaiblissent eux-mêmes les institutions yéménites, estime un ancien ministre en exil. Ils pensent tenir le pays en soutenant ses principaux dirigeants : ils oublient que la majorité des Yéménites n'a aucun lien avec ces gens. "
Le drame de M. Hadi, c'est qu'une moitié seulement de la coalition lui fait encore confiance. Les Emirats arabes unis, allergiques aux islamistes qui entourent M. Hadi, ont renoncé de longue date à travailler avec lui. Très actif dans le sud du pays, Abou Dhabi finance et arme des forces liées au mouvement sudiste, sans en décourager les rêves d'indépendance. " Les Emirats affament le Yémen pour punir Hadi ", se lamente un collaborateur du président.
Hadi, en riposte, use de son pouvoir institutionnel pour nommer et démettre des administrateurs dans le Sud. " En trois ans, il n'a su placer que des fidèles originaires de sa province d'Abyan ", note -Hicham Bachrahil, directeur du journal Al-Ayyam, à Aden.
Hadi est un homme du Sud, où il a des alliés. " Mais il est incapable de sortir du cadre mental de la guerre civile " qui a opposé des factions sudistes en  1986, et au terme de laquelle M.  Hadi, militaire de carrière, avait dû se réfugier à -Sanaa, pour intégrer le régime -Saleh. " Il faut parler avec Hadi, constate un officiel yéménite, pragmatique. Il s'agit moins d'obtenir quelque chose de lui, que de faire qu'il ne nous cause pas d'ennuis. "
Ce pouvoir de nuisance, Hadi l'a exercé par deux fois : en mai  2017, il renvoyait le gouverneur d'Aden, Aidarous Al-Zoubaidi, principal allié des Emirats dans le Sud, qui mène aujourd'hui la lutte pour l'indépendance. En  2016, Hadi avait déjà démis le vice-président, Khaled Bahah, auxquels ses parrains du Golfe envisageaient de confier son fauteuil. Pour s'assurer de rester au pouvoir, M.  Hadi avait alors nommé à la vice-présidence Ali Mohsen Al-Ahmar, son grand rival et candidat acharné à sa succession, mais bien trop sulfureux pour que ses parrains saoudiens le portent à la présidence.
Louis Imbert
© Le Monde

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