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dimanche 18 février 2018

Ecrans : l'enfant surexposé peut présenter de graves retards


18 février 2018

Ecrans : l'enfant surexposé peut présenter de graves retards

Les plus jeunes grandissent désormais dans un environnement où les écrans sont omniprésents. Les bébés, en particulier, peuvent développer une addiction et des troubles proches de l'autisme, alerte la psychologue Sabine Duflo

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L'environnement dans lequel naît et grandit l'enfant est totalement différent de celui dans lequel ses -parents ont grandi. Un objet fait la différence, l'écran ou plutôt les écrans. Quand le bébé y est exposé dès la naissance, plus de la moitié de son temps d'éveil, alors son rapport au monde, aux autres et à lui-même est modifié en profondeur. Ces bébés ne sont pas rares : expliquons pourquoi.
Les études portant sur les effets des écrans sur les enfants s'attachent à établir des corrélations entre le temps passé devant les écrans et les répercussions sur le temps de sommeil, d'attention, le langage, à partir de questionnaires aux médecins ou aux parents. Ce sont des -suivis " à distance ", des études élaborées et analysées par des chercheurs. Ces scientifiques peuvent apporter des éléments intéressants ; malheureusement, ils fréquentent peu leur objet d'étude.
A l'opposé se situe la démarche du psychothérapeute, qui reçoit chaque semaine les mêmes enfants, les fréquente durant plusieurs mois, voire des années. Mes observations répétées de très jeunes enfants m'autorisent à avancer ceci : il existe deux effets majeurs de l'exposition massive aux écrans.
L'un direct, sa potentialité addictive, et l'autre indirect, celle du temps volé à la mise en place d'un attachement sécurisant à son parent. Cet attachement va permettre à l'enfant d'explorer le monde phy-sique de façon adaptée. Les deux -effets sont liés : le caractère fortement addictif de l'écran engendre une impossibilité pour l'enfant de s'en détacher. Cela modifie en profondeur le processus classique d'attachement à une figure humaine, rendant l'enfant dépendant de l'écran pour se stimuler comme pour calmer ses angoisses. Mais l'écran stimule le cerveau de façon si pauvre et si particulière que l'enfant surexposé peut présenter des retards graves, joints à l'addiction.
Comment fonctionne ce processus addictif ? Par une captation de l'attention exogène, non volontaire. Les contenus audiovisuels, en particulier les dessins animés, sont truffés d'effets formels saillants (variations sonores, flashs lumineux, changements ultrarapides de plan, son et cris aigus, etc.) qui captent l'attention du bébé et la relancent en permanence. Ces effets l'empêchent d'apprendre à garder son attention focalisée sur un stimulus plus stable, plus neutre, comme une fleur, des feuilles et, au départ, le visage de sa mère, qui constitue son premier livre. La surstimulation de l'attention exogène nuit au développement de l'attention volontaire (ou concentration).
Le bébé surexposé aux écrans ne perçoit pas de l'écran ce que l'adulte en perçoit. C'est, pour lui, un flux continu de couleurs et de sons, détachés de tout sens, sans possibilité de traitement supérieur de ces données sensorielles brutes, sans possibilité de s'y soustraire. Par ailleurs, le rôle de filtrage des perceptions sensorielles joué normalement par le parent n'est plus assuré correctement du fait d'une absorption du parent lui-même par les écrans. Bon nombre de mères allaitent en regardant la télévision ou leur portable.
Or le bébé a besoin de rencontrer régulièrement le regard de sa mère pour pouvoir se développer normalement. Il cherche à le capter dès l'âge d'un mois. Mais cette tentative échoue chaque fois que la mère est absorbée par autre chose. Ce peut être un grand souci, un désir qui se porte ailleurs ou… surles écrans. Ne trouvant pas suffisamment de réponses à leurs regards orientés, certains bébés sont alors probablement conduits à rechercher des autostimulations sensorielles. Ils " deviennent " autistes au sens littéral du terme : ils se développent dans un repli complet sur eux-mêmes.
" Regarde " après " papa "Quand ils ne manifestent pas une simple agitation motrice jointe à un retard global (le cas le plus fréquent), ces enfants nourris précocement aux écrans peuvent présenter un tableau très proche de celui des enfants porteurs du trouble du spectre autistique : absence ou très grande rareté du contact oculaire, déficits dans la communication et les inter-actions sociales, déficits de la réciprocité socio-émotionnelle, modes restreints et répétitifs de comportements, d'intérêts ou d'activités, retard global important… Tous présentent des réactions intenses quand on supprime les écrans, proches du -sevrage d'un toxicomane. Crises d'angoisse, cris, hurlements, auto ou -hétéro-agressivité, pleurs qui peuvent durer plusieurs jours.
Mais, après la période de sevrage, nous assistons à des redémarrages incroyables. D'abord, l'enfant se met à fixer plus longuement les objets et, très rapidement, s'en empare et les explore. De façon quasi simultanée, il se met à regarder son parent, à le fixer plus longuement. Les mots " maman, papa " apparaissent parfois quelques jours seulement après. Cette gratification du parent l'encourage à stimuler davantage son enfant. " Regarde " est souvent le deuxième mot du jeune enfant qui sort de sa bulle : l'apparition de l'attention conjointe en signe la sortie.
Quand nous intervenons avant l'âge de 2  ans, la rémission peut être totale. Plus tard, le déficit peut rester important, sous la forme d'un retard simple. De très nombreux enfants d'âge préscolaire sont touchés par ce phénomène pourtant simple à comprendre : les écrans font écran à la relation humaine, indispensable à leur développement. Le coût moral pour les familles est immense, le coût financier pour la société considérable.
Sabine Duflo
© Le Monde

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