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samedi 12 août 2017

Dernières parutions sur la Sociale - samedi 12 août 2017

La Sociale

Analyses et débats pour le renouveau d'une pensée de l'émancipation
Par Denis Collin • 2017: Libre discussion • Mercredi 09/08/2017
Comme l’a montré le dernier article de Jacques Cotta sur la « nationalisation temporaire de STX », l’UE apparaît aujourd’hui clairement dans toute sa triste réalité : elle n’est qu’un simple organe de domestication des peuples d’Europe au service du capital financier. D’Europe des peuples, il n’y en a pas, pas plus que d’Europe industrielle. Ceux qui nous serinent la chanson de « l’Europe puissance » qu’il faudrait construire pour résister aux Américains et aux Chinois sont, au mieux, des plaisantins, mais plus sûrement des enfumeurs professionnels. L’affaire STX témoigne une nouvelle fois d’une sorte de loi : aucune alliance n’est possible entre grandes entreprises des pays membres de l’UE. La métallurgie est tombée dans l’escarcelle de l’Indien Mittal. Alsthom a été vendu aux Américains plutôt qu’à l’allemand Siemens. Renault est allié au groupe japonais Nissan, Fiat s’est allié à Chrysler et non à PSA qui noue un accord avec GM. Et ainsi de suite. La seule réussite industrielle européenne reste Airbus construit sur la base d’un accord entre États sans rapport avec l’UE et qui plus est d’un accord qui serait aujourd’hui illégal au regard des règles adoptées depuis le traité de Maastricht.
Il n’y a pas plus d’Europe de la défense. Dassault ne vend pas ses Rafale aux Européens qui préfèrent les avions américains. Il n’y a aucun accord entre les principales nations sur la politique à mener envers l’Afrique et l’Italie est abandonnée à son triste sort dans la « gestion » des réfugiés qu’elle est sommée d’empêcher d’aller ailleurs. Le seul point d’accord entre tous ces pays est de plier, quoi qu’il en coûte, devant les injonctions du fantasque maître de la Maison Blanche, la dernière affaire en cours étant celle des sanctions envers la Russie qui mettent directement en cause l’approvisionnement de l’Europe en gaz.
Et pourtant, on ne peut simplement revenir au « concert des nations » qui était la seule « organisation » dont l’Europe disposait au XIXe siècle. Le besoin des « états-unis » d’Europe est soulevé depuis cette époque. Victor Hugo, grand patriote s’il en est, c’était prononcé pour une telle perspective. Au début des années 1920, la questions des états-unis socialistes d’Europe était mise à l’ordre du jour par l’Internationale Communiste. En 1923, Trotsky écrivait : « J'estime que, parallèlement au mot d'ordre : " Gouvernement ouvrier-paysan ", il est opportun de poser celui des " Etats-Unis d'Europe ". Seule la combinaison de ces deux mots d'ordre nous donnera une réponse perspective aux questions les plus brûlantes de l'évolution européenne. » Il ajoutait : « la France ne peut se détacher de l'Allemagne, ni l'Allemagne de la France. Or l'Allemagne et la France constituent le noyau de l'Europe occidentale. C'est là que se trouvent le nœud et la solution du problème européen. Tout le reste n'est qu'accessoire. » À certains égards, le diagnostic de Trotsky reste parfaitement exact, même si beaucoup d’eau a coulé sous le pont Kehl depuis cette époque.
La déconstruction pure et simple de l’UE et le retour aux frontières douanières, aux monnaies nationales et tout ce qui s’en suit est purement et simplement impossible. Déjà la sortie du Royaume-Uni, qui n’était pas dans l’euro et qui n’avait que des rapports souvent distants avec le « noyau dur » de l’UE se révèle être une affaire très complexe qui va nécessairement se doubler de toute une série de traités définissant la manière dont il y restera en quelque façon. Les formules choc des politiciens risquent de se briser sur les réalités.
Autant il me semble indispensable de dénoncer la fonction politique de cette UE comme appareil de domination des peuples et comme relai de la gouvernance du capital, autant il faut donner la perspective d’une dénonciation des traités, autant cela n’est possible et ne peut être convaincant que s’il existe une solution alternative, laquelle pourrait d’ailleurs formellement se mettre en place à partir d’un processus de réforme progressive de l’UE. C’est un peu la solution proposée par « La France insoumise ». Ce qui serait paru complètement irréaliste il y a quelques années devient possible précisément parce que nous arrivons à un moment où les cabris qui sautaient en criant « Europe, Europe » sont très fatigués et chaque pays, chacun à sa manière, chacun selon ses intérêts, est tenté de reconsidérer les problèmes et de remettre les choses à plat. Un pays aussi peu « souverainiste » que l’Italie où le consensus sur l’Europe était largement dominant est aujourd’hui confronté à des questions qui ont toutes en arrière-plan la mise en cause de l’UE, qu’il s’agisse des réfugiés, de l’affaire STX/Fincantieri ou de la discipline budgétaire que même Matteo Renzi a commencé à critiquer.
Face au « machin », on doit défendre la souveraineté des nations européennes mais celles-ci pourraient souverainement se confédérer dans une « Union des peuples souverains » ou pour parler le langage de Kant dans son Traité de paix perpétuelle, une « société des nations » d’Europe. On peut aisément  déterminer quelques générales d’une telle « société des nations ».
1) la reconnaissance de la souveraineté des peuples. Les traités d’union étant des actes de souveraineté, tout comme la dévolution de telle ou telle domaine de la souveraineté à une instance confédérale. La reconnaissance de la souveraineté suppose que chaque nation décide de vivre comme elle l’entend, d’organiser comme elle souhaite sa protection sociale et ses finances, sous être soumise à la férule d’une instance supra-nationale.
2) le principe du gouvernement « républicain » de chaque nation – souveraineté législative du peuple, séparation des pouvoirs, reconnaissance des libertés politiques et individuelles fondamentales, égalité des citoyens dans tous les domaines, séparation du politique et du religieux. Bref un paquet de libertés de base inaliénables.
3) la définition d’une politique étrangère commune et l’assistance mutuelle dans les opérations des défense. Ce qui suppose qu’on sorte de l’OTAN et qu’on en finisse avec cette idée que les USA sont au fond les défenseurs naturels de l’Europe.
4) l’existence d’une monnaie commune qui pourrait ou non, suivant le choix de chaque pays, fonctionner en parallèle avec les monnaies nationales.
5) l’abolition de toutes les frontières tarifaires mais selon les principes de la préférence communautaire et moyennant l’adoption de réglementations qui empêchent le « dumping social ».
6) l’engagement de politiques agricoles, industrielles et environnementales communes qui seraient, avec la défense, le but principal des instances confédérales. Les États pourraient directement engager des coopérations, depuis le recherche jusqu’à la mise en œuvre de grands projets.
Tout cela pourrait être développé mais rien n’est ici proprement révolutionnaire et pourrait – on peut toujours rêver –  procéder d’une réforme pacifique, sans crise des institutions actuelles. En tout cas, une telle perspective pourrait faire bouger les lignes et amorcer une réorientation de la politique européenne, ce qui semble à la fois plus réaliste et finalement plus ambitieux que les protestations des souverainistes purs et durs qui répètent « rupture avec l’UE » en sachant bien qu’il n’y a aucune  force pour conduire une telle rupture.
Une telle perspective prend en compte le fait qu’il existe historiquement quelque chose qui s’appelle Europe, dont quiconque va de Londres à Varsovie ou de Riga à Madrid reconnaît immédiatement l’existence. Une culture, une manière de vivre qui sont propres à la  « vieille Europe » et il serait bon d’y penser avant que toutes sortes « d’identitaires » occupent seuls le terrain. Copernic, Galilée, Bruno, Kepler, Brahé, tous ceux qui ont révolutionné notre vision de l’univers entre le XVIe et le XVIIe siècle venaient des quatre coins de l’Europe, mais partageaient des préoccupations communes. Rousseau parti de Genève et Kant à Königsberg font tous les deux la théorie de la révolution française. Chopin est autant un compositeur français que polonais. Verdi le musicien de l’unité italienne fait des opéras à partir de Victor Hugo … qui lui-même prend si son souvent son inspiration chez Shakespeare. Les juifs Spinoza,  et Freud expriment chacun à sa manière cette pensée critique et libre qui s’est d’abord déployée en Europe et dont il n’y aucun exemple d’une telle audace ailleurs. Outre les raisons économiques et politiques, il y a là aussi quelques-unes des très bonnes raisons de ne pas tourner le dos à l’Europe.

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