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lundi 10 juillet 2017

Les Crises.fr - Trump tombe dans le piège israélo-saoudien, par Alastair Crooke

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10
Juil
2017

Trump tombe dans le piège israélo-saoudien, par Alastair Crooke


Source : Alastair Crooke, Consortium News, le 3 juin 2017
Le président Trump est tombé dans un piège israélo-saoudien qui ne résoudra pas les conflits régionaux du Moyen-Orient et ne conduira pas à une résolution pacifique du conflit israélo-palestinien, explique l’ex-diplomate britannique Alastair Crooke.
Jared Kushner a fait à son beau-père une piètre faveur en embringuant le président Trump dans l’interminable « processus de paix » israélo-palestinien. A cette fin, comme l’a dit un journaliste israélien, les conseillers d’un Trump aguiché ont invité les Saoudiens à « [l’]embrasser, à faire la danse du sabre autour de [lui], à ajouter un énorme chèque pour les contrats d’armement – et [en retour il devrait] créer un axe anti-chiite et anti-iranien [autour d’eux] ».

Le conseiller principal de la Maison-Blanche Jared Kushner, et sa femme, l’assistante du président Ivanka Trump, le Secrétaire au commerce des États-Unis Wilbur Ross, le Secrétaire d’Etat des États-Unis Rex Tillerson, et le chef d’état-major de la Maison-Blanche Reince Priebus arrivent au Palais Murabba en Arabie saoudite le 20 mai 2017 à Riyad. (Photo officielle de la Maison-Blanche par Shealah Craighead)

Oui, au vendeur emblématique (Trump), a été vendu ce fameux « pont » (par son beau-fils Kushner, animé par la fatuité que connaissant le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu depuis de nombreuses années, il était « idéal » pour ramener la paix en Israël). Trump à Riyad a rendu ainsi un hommage intégral au récit sunnite selon lequel ils – les sunnites – sont les victimes innocentes et les Chiites, les sombres, infâmes, révolutionnaires, membres de la cinquième colonne, qu’il faut repousser dans leur « poulailler ».
Trump s’est ainsi montré un partisan déclaré dans les jeux de pouvoir géostratégiques entre les États du tiers nord de la région et les pays du Golfe. Au lieu de rester à distance et « au-dessus » de ces conflits du Moyen-Orient, il s’est lui-même laissé persuader de faire le contraire : plonger du côté sunnite (peut-être en partie en contre-pied de l’engagement du Président Obama avec l’Iran).
Pourquoi ? Eh bien, parce que les dollars (s’ils se matérialisent) seront utiles. Mais surtout parce que Kushner a persuadé son beau-père que flatter les Saoudiens et diaboliser les Iraniens était le ticket d’entrée dans le processus de rétablissement de la paix entre Israël et les Palestiniens ; paix qui, si elle était obtenue, constituerait le « legs » historique de Trump à la politique étrangère.
Un échec à long terme
Selon le journaliste israélien bien informé Ben Caspit de Ma’ariv, « quelqu’un à Washington a étudié la carte et a fait ses devoirs. On suppose qu’il s’agit de l’effort conjoint de Jared Kushner et de Jason Greenblatt [Représentant spécial de Trump pour les négociations internationales]. Ils ont écouté les gens d’Obama ainsi que quelques Israéliens qui ont passé tout leur temps, leur énergie et leur santé sur le processus de paix dans les huit dernières années, et qui leur ont expliqué comment aborder le tonneau de poudre fumant et fulminant du conflit au Moyen-Orient ».

Le président Donald Trump pose pour des photos avec des danseurs de sabres cérémoniaux à son arrivée au Palais Murabba, invité du roi Salman bin Abdulaziz Al Saoud d’Arabie saoudite, le samedi 20 mai 2017 au soir, à Riyad, en Arabie saoudite. (Photo officielle de la Maison Blanche par Shealah Craighead)
Oui, ils ont probablement parlé précisément avec ces experts en « processus de paix » qui sont dans le déni – depuis 25 ans – de son échec manifeste. Et par conséquent, sont peu disposés à reconnaître les quatre défauts fondamentaux des principes d’Oslo. Au lieu de cela, nous répétons la même approche erronée, encore et encore, espérant toujours un résultat différent.
L’Europe et l’Amérique partagent une conviction installée depuis les dernières décennies : celle qu’Israël, dans son propre intérêt, doit chercher à conserver une majorité juive en Israël. Et qu’avec le temps, et une population palestinienne croissante, Israël à un moment donné devra consentir à un « État » Palestinien afin de conserver cette majorité juive : autrement dit, c’est seulement en donnant aux Palestiniens leur État propre ou en distribuant d’une manière ou d’une autre une partie du peuple palestinien qu’il contrôle, qu’Israël peut préserver sa majorité juive. Ceci est le premier principe.
Intuitivement, cette notion semble tellement aller de soi que la plupart des Américains et des Européens ne la remettent pas en question. Mais la récente publication de transcriptions de discussions du cabinet israélien à la suite de la victoire israélienne dans la guerre des Six Jours, en 1967, montre clairement que, même alors, les dirigeants israéliens comprenaient ce dilemme fondamental : ils entendaient bien les avertissements des États-Unis de l’époque d’avoir à absorber un million de prisonniers palestiniens, mais y restaient réfractaires, insistant pour garder toutes les terres qu’ils avaient occupées pendant la guerre.
Abba Eban, à l’époque ministre des Affaires étrangères israélien a noté : « Le sentiment [des Américains] est oui à Jérusalem, mais pas aux territoires. Ils soulignent qu’il serait très mauvais que le monde ait l’impression que nous avons vraiment l’intention de garder tous les territoires ».
Apaiser les Israéliens
Cette première proposition nous mène au deuxième principe, celui de la « doctrine de la sécurité d’abord » : à savoir que l’Europe et l’Amérique, en insistant (auprès des Palestiniens) sur le fait qu’ils doivent comprendre et apaiser l’auto-affirmation d’Israël de son besoin de sécurité, amèneraient Israël à une transition confiante vers une solution à deux États.

Le président Donald Trump et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou parlent ensemble avant le discours du président Trump, le 23 mai 2017 au musée d’Israël à Jérusalem. (Photo officielle de la Maison-Blanche par Shealah Craighead)
Ce principe de la « sécurité d’abord » est convaincant – si convaincant que la politique européenne et américaine a été infléchie presque entièrement vers l’objectif d’un renforcement de la confiance d’Israël en sa sécurité. Cet objectif a été poursuivi à outrance – au-delà même du point où toute souveraineté résiduelle qui pourrait subsister après l’affirmation par Israël de son exigence de sécurité, équivaudrait à guère plus qu’une occupation continue, sous le masque d’un « État » palestinien.
Pourtant, à la grande frustration des dirigeants occidentaux, et en dépit des efforts de sécurité supplémentaires fournis par les forces de sécurité palestiniennes, ce n’était jamais assez. Les dirigeants occidentaux n’ont trouvé aucune solution, sauf d’appuyer, d’insister encore pour une plus grande coopération en matière de sécurité et pour le renforcement de la confiance avec Israël. Et effectivement, le président Trump semble avoir poursuivi cette même ligne : apparemment criant et réprimandant le dirigeant palestinien Abu Mazen pour ses incitations à lutter contre Israël (et pour avoir apporté un soutien financier aux familles dont les membres, aujourd’hui prisonniers, avaient résisté à l’occupation).
Mais Israël n’a pas reconnu d’État palestinien – malgré de nombreuses occasions au cours des 25 dernières années – et il ne semble pas plus disposé à « donner » un État palestinien maintenant. On se demande rarement, si cette logique est vraiment si convaincante, pourquoi deux États n’ont-ils pas émergé ?
Peut-être est-ce parce que le postulat d’origine « Israël veut sûrement un État palestinien », et le postulat lié « renforcer la confiance d’Israël en sa sécurité est la condition sine qua non pour la transition vers une solution à deux États », sont tout simplement faux. Peut-être qu’Israël a toujours rêvé d’un moyen alternatif de conserver les terres, et de contenir leur population (les transcriptions récemment publiées du cabinet d’après-guerre le suggèrent certainement).
Le mirage de la solution à deux États
Les preuves des actions israéliennes sur le terrain, aussi, ne vont clairement pas à l’appui de l’affirmation qu’Israël préparerait la transition vers une solution à deux États sur des frontières fixes, avec un État palestinien souverain. Bien au contraire, les éléments de preuve vont dans le sens contraire : qu’Israël a eu l’intention de faire échouer cette solution.

Le président Donald Trump participe à la cérémonie de réception avec le président Mahmoud Abbas de l’Autorité palestinienne, au Palais présidentiel, le 23 mai 2017, à Bethléem. (Photo officielle de la Maison-Blanche Shealah Craighead)
Mais il y a deux autres « données » du « processus » avec Israël qui méritent également un examen plus critique : une, (la préférée des Européens), est que l’Amérique peut « imposer » une solution à Israël. Sur la base de mon expérience de membre de l’équipe du sénateur George Mitchell travaillant au processus de rétablissement de la paix, ceci est aussi une prémisse fausse. Pour adapter une expression utilisée dans un contexte différent, Israël a toujours « trente-six façons » de contourner les pressions américaines (qui, dans tous les cas, sont limitées par des considérations de politique intérieure).
Enfin, les dirigeants arabes – par opposition à la rue – ont-ils vraiment envie d’un État palestinien ? Je n’en suis pas si sûr. Je pense qu’ils sont tout à fait à l’aise avec les choses telles qu’elles sont. La présomption d’un fort désir d’établir un État palestinien est également fausse.
Alors quel est ce plan « nouveau » de Trump (ou de Kushner) ? Daniel Serioti d’Israël Hayom rapporte le 24 mai : « Un haut responsable de Ramallah a dit à Israël Hayom que, pendant le tête-à-tête du président Trump avec le président de l’Autorité palestinienne Abu Mazen… [Trump] avait l’intention de mener un processus de paix fondé principalement sur l’initiative de paix de l’Arabie saoudite…
« Le président Trump a déclaré au Président de l’AP que le plan de paix qu’il était en train de consolider reposerait en premier lieu sur la promotion d’un plan complet pour la région, dans le cadre de l’initiative de paix arabe. Le responsable palestinien a déclaré que le président Trump avait dit avec insistance à Abu Mazen que cela ne signifiait pas renoncer à la solution à deux États comme base d’un futur accord entre Israël et l’Autorité palestinienne, dans laquelle un État palestinien serait établi à côté d’Israël ; mais le président américain souhaite examiner des possibilités supplémentaires, ’hors des sentiers battus’.
« La principale possibilité est de promouvoir en premier lieu l’initiative de paix de l’Arabie saoudite, et seulement après un accord intérimaire dans le cadre duquel les parties discuteraient des moyens de parvenir à un accord pour un statut permanent, qui permettrait la création d’un État palestinien indépendant, et une déclaration commune mettant fin au conflit israélo-palestinien.
« Le responsable palestinien a déclaré que le président Trump a décrit les fondamentaux du plan qu’il est en train de préparer d’une manière très générale et n’est pas entré dans les détails bien que, selon lui, les Américains aimeraient promouvoir l’initiative de paix arabe de manière à ce que, dès son début, elle implique la normalisation des relations d’Israël avec les États arabes sunnites modérés.
« De plus… les Américains vont prendre des mesures pour promouvoir des négociations intensives directes entre Israël et les Palestiniens, inscrites dans un calendrier prédéfini, et dans lesquelles les parties prendront des mesures pour résoudre les problèmes fondamentaux, principalement la délimitation des frontières du futur État palestinien, le statut de Jérusalem et des lieux saints, le sort des colonies de peuplement en dehors des grands blocs, le droit au retour et autres ».
Pas grand-chose de « nouveau »
Le « nouveau » tournant est une « alliance régionale (sunnite-israélienne) » qui normaliserait d’abord les relations avec Israël, mais qui pourrait ensuite devenir une « alliance de défense régionale », « sous le patronage américain et avec un plein soutien militaire et diplomatique américain », visant explicitement l’Iran et ses alliés.

Le président Trump serre la main du prince héritier adjoint et du ministre de la Défense Mohammad bin Salman le 20 mai 2017. (Capture d’écran de Whitehouse.gov)
Mais il n’y a rien de vraiment nouveau ici. Nous avons déjà eu des initiatives « de l’intérieur vers l’extérieur » et « de l’extérieur vers l’intérieur ». Ce qui est différent avec la version Trump/Kushner, c’est que l’initiative de l’ancien roi saoudien Abdallah était fondée sur l’idée qu’Israël établisse d’abord un État palestinien, tandis que la normalisation avec Israël se produirait dans un second temps. Trump semble inverser l’ordre : d’abord la normalisation avec les Arabes et ensuite, en second lieu, un accord intérimaire avec les Palestiniens.
En fait, tout cela ressemble fort à la refonte de la « doctrine de la sécurité d’abord » : c’est-à-dire que les États arabes, en satisfaisant à l’auto-affirmation par Israël de ses angoisses sécuritaires, serviraient, par la normalisation, à permettre à Israël de transiter avec une plus grande confiance vers une solution « intérimaire » pour les Palestiniens – peut-être même vers une solution permanente.
Nous nous heurtons ici à l’éternel problème : les dirigeants arabes ne peuvent pas se permettre de normaliser sans une concession israélienne aux Palestiniens, et les Palestiniens, à leur tour, ne feront pas de geste jusqu’à ce qu’Israël arrête de construire des colonies, ce qu’il ne fera pas.
Une autre raison de penser que ce plan n’arrivera à rien (après que le Premier ministre Netanyahou l’ait fait traîner aussi longtemps que possible) est que, s’il est vrai que les Palestiniens sont actuellement faibles et divisés, paradoxalement, Netanyahou est encore plus faible. Toute concession à Abu Mazen, si banale soit elle, pourrait faire tomber son gouvernement. La droite de Netanyahou ne voit aucune raison de faire des concessions, même symboliques, aux Palestiniens. Pourquoi devraient-ils le faire ? Ils sont sur le point de tout avoir.
Le piège se referme
Ceci – l’Alliance régionale sunnite-israélienne ; le processus de paix renouvelé – est un piège dans lequel Trump a été persuadé d’entrer. C’est un piège, car une fois qu’on est entré, le processus de paix devient une sorte de formol pour tous les autres processus politiques. Combien de fois ne nous a-t-on pas dit : « vous ne pouvez pas faire cela ; vous ne pouvez pas le faire » car cela pourrait mettre en danger le « processus de paix (inexistant) ».

Le président iranien Hassan Rouhani rencontre le président russe Vladimir Poutine le 23 novembre 2015 à Téhéran. (Photo de: http://en.kremlin.ru)
Un processus de paix donne à Israël l’énorme avantage d’anesthésier la région – comme il l’a toujours fait. C’est un piège – car il empêche Trump d’essayer d’apaiser l’iranophobie de l’Arabie saoudite, qui se révélera aussi insatiable que le « besoin de sécurité » d’Israël.
Ce handicap réduira la possibilité pour Trump d’une victoire sur l’EI et d’une détente avec la Russie. La Russie a essayé d’amener les chiites et les Turcs à la table de négociation sur la Syrie. Le rôle de Trump était d’aider à amener à la table le côté sunnite – afin de parvenir à un règlement régional plus vaste. C’est moins probable, maintenant que l’Arabie saoudite oriente la visite de Trump vers l’affaiblissement de l’Iran.
Avec l’hommage de Trump à la cause sunnite, il est plus probable que la fissure sunnite-chiite va s’approfondir, plutôt que de voir se rapprocher ses bords douloureux. Et, du point de vue de la pure realpolitik, Trump croit-il vraiment que l’Arabie saoudite et ses alliés réussiront à affaiblir l’alliance entre la Russie, l’Iran, la Syrie, l’Irak et le Hezbollah ?
Et Israël ? Comme nous le savons maintenant, le sujet était clairement sur la table lors de ces réunions du cabinet israélien d’après la guerre des Six Jours. Les Américains ont averti le cabinet israélien qu’il deviendrait de plus en plus difficile pour l’Amérique de défendre le préjudice d’Israël contre un peuple palestinien sans pouvoir, sans droits, sans possessions (et en accroissement) – si Israël persistait à finir la guerre avec sa politique du « vainqueur qui prend tout ».
C’est quelque chose qui peut encore évoluer à sa manière. Mais comme l’a noté Steve Bannon, le conseiller de la Maison Blanche, dans son film Generation Zero, « l’essence de la tragédie grecque, ce n’est pas comme un accident de la circulation où quelqu’un meurt. Pour les Grecs, la tragédie est que quelque chose se produit parce que cela doit se produire… Parce que les personnes impliquées le font se produire. Et qu’ils n’ont pas d’autre choix que de le faire ».
Alastair Crooke est un ancien diplomate britannique, qui était une figure importante du renseignement britannique et de la diplomatie de l’UE. Il est le fondateur et le directeur du forum Conflits.
Source : Alastair Crooke, Consortium News, le 3 juin 2017
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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