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lundi 24 octobre 2016

Valls veut évincer Hollande sans s'exposer

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Valls veut évincer Hollande sans s'exposer

Le premier ministre pense que le président ne peut pas se représenter, mais ne peut le pousser dehors lui-même

Comment tuer César sans endosser le costume de Brutus ? Depuis la sortie du livre" Un président ne devrait pas dire ça… " (Stock, 672 p., 24,50 euros), le 13 octobre, Manuel Valls en est persuadé : François Hollande ne peut plus être le candidat des socialistes pour l'élection présidentielle de 2017. " Cet ouvrage percute l'idée que l'on se fait des institutions, plaide Luc Carvounas, sénateur (PS) du Val-de-Marne et proche du premier ministre. Il provoque un grand désarroi, un trouble, une honte même parmi nos électeurs. "" Quelque chose s'est cassé. Le président n'a plus personne autour de lui ", affirme un autre député vallsiste.
La difficulté, c'est que Manuel Valls ne peut pas le dire, en tout cas pas publiquement. Lors d'un déplacement au Canada, le 13  octobre, le chef du gouvernement a bien réclamé " de la pudeur, (…) de la hauteur de vue ", mais sans appeler explicitement à un renoncement du chef de l'Etat.
Au dîner de la majorité, mardi 18 octobre à l'Elysée, il a de nouveau pointé les dégâts causés par le livre, mais sans aller au clash. L'ambiance était particulièrement lugubre. Blessé par les propos de François Hollande à son endroit, le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, avait boycotté la réunion. Quant aux autres participants, ils n'ont pas mâché leurs mots, tout en reconnaissant que, sous la Ve  République, c'est le chef de l'Etat qui a la main.
" A quoi bon bouger ? "Manuel Valls, lui, est " coincé ". Depuis le début, il joue la carte de la loyauté pour laisser celle de la trahison à l'ancien ministre de l'économie, Emmanuel Macron. Il répète qu'il ne se présentera pas contre celui qui l'a nommé à Matignon. Se dédire serait prendre le risque de mettre à bas l'image qu'il s'est forgée, celle d'un homme d'Etat, respectueux de la fonction présidentielle, solide à la barre malgré les tempêtes. " Manuel Valls est là pour être l'aiguillon de la gauche réformiste, mais dans le respect des institutions ", reconnaît son entourage.
Alors qu'un nombre croissant de ses partisans le pousse à s'émanciper, le premier ministre devait rester sur cette ligne, samedi, à Tours, lors d'un discours prononcé aux Universités de l'engagement  du PS. " Il va être offensif sur le bilan, dire que la gauche peut être fière de ce qu'elle a fait durant ce quinquennat, explique-t-on à Matignon.Mais il va également tracer une voie, expliquer que seule la gauche de gouvernement est à même de répondre aux enjeux du moment. "
Dans l'impossibilité d'écarter lui-même François Hollande, Manuel Valls cherche des alliés parmi les hollandais, déboussolés par le comportement du président. " Le livre a révélé et réveillé des trucs sur la personnalité de François Hollande : Leonarda, le casque de scooter… Tout cela est remonté à la surface, explique un élu en soupirant.Mitterrand et Chirac savaient susciter de l'affection et de l'adhésion quand ils étaient dans une mauvaise passe, Hollande non. "
Cette semaine restera comme celle où le président de la République a d'ailleurs pu mesurer sa solitude. " François Hollande doit se poser une seule question : est-ce que sa candidature est utile pour le pays et même pour sa famille politique ? ", estime l'avocat Jean-Pierre Mignard, pourtant un de ses intimes (il est le parrain de deux de ses quatre enfants).
A l'Assemblée nationale, beaucoup de députés, peu suspects de vallsisme, se mettent soudain à trouver quelque vertu au premier ministre, à l'instar de cette élue de l'Ouest qui vante ses " capacités de management ", par contraste avec le chef de l'Etat. Pour les amadouer, Manuel Valls polit son discours, comme il l'a fait à Evry lundi, en plaidant pour une laïcité plus apaisée. Il tente aussi de faire oublier les nombreux différends qu'il a eus avec les frondeurs et avec la majorité du PS ces quatre dernières années.
Mais il en faudra davantage pour faire bouger les lignes. Claude Bartolone ne veut surtout pas transformer la blessure qu'il a ressentie à la lecture du livre en positionnement politique. A ce stade, le président de l'Assemblée ne lâchera pas François Hollande pour Manuel Valls. Aucun mouvement n'est constaté non plus du côté des partisans de Martine Aubry, qui continuent de miser sur le chef de l'Etat : " A quoi bon bouger ? François Hollande sera candidat ", lâche l'un d'entre eux avec flegme.
Signe de la confusion ambiante, un appel demandant à François Hollande de renoncer à être candidat circule depuis quelques jours parmi les parlementaires socialistes, sans rencontrer beaucoup de succès. " Chaque faction du PS soupçonne l'autre d'en être à l'origine ", déclare, amusé, un haut responsable du parti.
Manuel Valls, de son côté, souffre de ne pouvoir démontrer dans les sondages qu'il peut battre la droite. A ce stade, " aucun dirigeant de gauche n'est qualifié pour le second tour de la présidentielle ", a rappelé le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, dans un entretien à La République du Centre.
Le premier ministre ne parvient pas non plus à démontrer qu'il emportera à coup sûr la primaire face à Arnaud Montebourg. " Il est trop associé au bilan. Il aurait dû partir au moment de la déchéance de nationalité ", constate un élu. " Il a accumulé beaucoup de rancœur sur ce sujet et sur la loi travail ", renchérit un autre.
Aux yeux de ceux qui l'accusent d'avoir dévoyé le socialisme, l'entrée en piste du premier ministre aurait pour effet d'ouvrir un nouveau cycle au sein de la gauche. " Je ne vois pas comment des personnalités comme Christiane Taubirapourraient laisser faire sans réagir ", souligne un membre de la direction du PS.
Dans l'entourage de Manuel Valls, on rejette les arguments et on dramatise la situation. En soutenant François Hollande, " la gauche de gouvernement prend le risque d'être balayée au profit de la gauche d'incantation ", argumente un élu. " Le PS peut connaître le même sort que le Labour avec Corbyn : être renvoyé pendant des années dans les oubliettes de l'histoire ", ajoute un autre.
" Le Manuel Valls d'aujourd'hui n'est plus celui de la primaire de 2011 - où il avait recueilli 5,6 % des voix au premier tour - , veut croire Malek Boutih, député (PS) de l'Essonne. C'est le seul homme d'Etat potentiel à gauche. Mais il doit se montrer capable de rassembler tous les bouts de la gauche. " Pour autant, pas question de lancer un " contre-appel " de parlementaires favorables à  Manuel Valls. " Ce serait perçu comme de la tambouille. Les Français ne veulent pas de ça ", estime Luc Carvounas. Manuel Valls ne dispose que de son verbe pour tenter de créer une dynamique d'ici au mois de décembre.
Françoise Fressoz et Cédric Pietralunga
© Le Monde

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