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lundi 29 septembre 2014

François Hollande est-il un va-t-en-guerre ?

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François Hollande est-il un va-t-en-guerre ?

En se positionnant en première ligne de la coalition en Irak et

 en Syrie, la France a confirmé son alignement sur la stratégie

 américaine. Entretien avec Denis Bauchard, spécialiste du

 Moyen-Orient, qui décrypte cette ligne diplomatique.

                             Le président français François Hollande lors de l'Assemblée générale de l'ONU, le 23 septembre 2014 à New York (Etats-Unis).
Le président français François Hollande lors de l'Assemblée générale de l'ONU, le 23 septembre
 2014 à New York (Etats-Unis). (DON EMMERT / AFP)

En choisissant de participer activement à la coalition internationale, qui a mis 
dans son viseur l'Etat islamique et Al-Qaïda en Irak et en Syrie, la France a tenu son
 rang de poids lourd de la diplomatie mondiale. Mais elle s'est aussi engagée sur un
 nouveau théâtre d'opération, le troisième du mandat de François Hollande. Denis 
Bauchard, ancien ambassadeur en Jordanie et conseiller pour le Moyen-Orient auprès 
de l'Ifri, revient pour francetv info sur ce que traduit cette propension inédite à choisir
 l'option militaire dans la diplomatie française.
Francetv info : La France devait-elle intervenir en Irak, où elle a mené des
 frappes aériennes visant l'Etat islamique ?
Denis Bauchard : La France est obligée de s'intéresser à cette région. Le
 Moyen-Orient est une zone stratégique à laquelle elle est liée depuis plusieurs
 siècles. La région est devenue un enjeu stratégique pour sa propre sécurité. 
Aujourd'hui, compte tenu de la présence en France d'une forte communauté 
originaire du Maghreb et du Moyen-Orient, ce qui se passe dans cette région 
a des répercussions sur le territoire français, comme ce fut le cas dans les
 années 1980. Compte tenu du chaos qui existe en ce moment au Proche-Orient, 
Paris a bien fait de réagir. D'autant plus que cela s'est fait en concertation avec 
les pays arabes et la Turquie, lors de la conférence internationale organisée à
 Paris le 15 septembre. Le seul regret vient de l'absence de l'Iran, que la France 
a invité, mais dont les Etats-Unis ne voulaient pas pour ne pas froisser l'Arabie
 saoudite, le grand adversaire de Téhéran. 
Après le Mali et la Centrafrique, François Hollande vient d'engager la 
France en Irak, et peut-être demain en Syrie, voire en Libye. Le président 
est-il un va-t-en-guerre ?
N'importe quel autre président de la République aurait agi de la même façon.
 Il a répondu à des situations d'urgence, à des menaces contre notre sécurité.
 Et au final, ces engagements concernent des effectifs très réduits. Au Mali,
 il s'agit de quelques milliers d'hommes. En Centrafrique, c'est une intervention
 encore plus modeste. Et en Irak, pour le moment, on parle de six avions 
mobilisés. En Libye, c'est un héritage de son prédécesseur. Le pays est 
aujourd'hui un trou noir aux mains de milices islamistes, face à un gouvernement
 impuissant. C'est une source d'inquiétude pour la France, quand on pense aux 
conséquences en matière d'immigration de réfugiés, comme c'est aussi le cas 
avec la crise au Moyen-Orient. Le président Hollande n'est pas un va-t-en-guerre.
 Ces engagements s'inscrivent dans une stratégie multiforme, militaire, politique et idéologique, qui ne peut réussir qu'au sein d'une large coalition.
On est quand même loin de la tradition "gaullo-mitterrandienne", qui 
consistait à intervenir peu et à s'opposer fréquemment à Washington...
Il y a effectivement eu  une grande continuité dans notre politique étrangère 
depuis le général de Gaulle jusqu'à Jacques Chirac. Une inflexion a été donnée 
par Nicolas Sarkozy, avec une relation plus étroite avec les Etats-Unis, parfois 
même en allant jusqu'à critiquer Washington de ne pas aller assez loin, y compris
 lors de la fin du mandat de George W. Bush. François Hollande a continué cette
 politique, mais plus discrètement, sans évoquer à tout bout de champ "nos amis
 américains".
Comment s'explique ce "suivisme" derrière Washington ?
Le vent a tourné depuis 2003. Le refus de Jacques Chirac de participer à la 
guerre en Irak a eu des conséquences fâcheuses en matière diplomatique, 
économique et sur le plan de la coopération militaire. La France ne veut pas 
susciter de nouvelles campagnes francophobes. L'étonnant effacement du 
Royaume-Uni sur le plan diplomatique peut également laisser croire à la France
 qu'elle peut jouer un rôle spécifique aux côtés des Etats-Unis. En revanche,
 depuis août 2013 et le refus des Etats-Unis d'intervenir en Syrie, ce soutien
 français est un peu plus distant. C'est peut-être ce qui explique que François
 Hollande refuse pour l'instant de frapper en Syrie.
Ce changement provient-il du fait que le Quai d'Orsay serait sous influence néoconservatrice, à l'image du Pentagone sous l'administration Bush ?
Certains diplomates poussent dans ce sens. La France ne joue plus le rôle 
d'arbitre qui était le sien sous les présidences Mitterrand ou Chirac, quand elle
 cherchait à tout prix à éviter les engagements armés. Or elle ne doit pas devenir
 le fer de lance de l'intervention occidentale. Ce serait une erreur d'être perçu 
avant tout comme un allié fidèle des Etats-Unis, compte tenu de l'image très 
négative des Américains dans le monde, et notamment au Moyen-Orient.
 Aujourd'hui, notre image est brouillée. La presse arabe est tout sauf bienveillante
 à notre égard. Et les relations diplomatiques sont plus compliquées. Ce n'est 
pas bon pour nous, et pas bon pour la coalition.
Comment la France peut-elle rectifier le tir?
Pour les pays du Moyen-Orient, la France possède toujours des atouts pour 
rester un partenaire de confiance. Elle est membre du Conseil de sécurité de
 l'ONU, elle a un poids énorme en Europe, et elle peut être un allié militaire
 performant. Mais aujourd'hui, pour ne plus être en première ligne, et pour
 régler le problème de l'Etat islamique, il faut parvenir à élargir la coalition, 
à impliquer les deux acteurs-clés que sont l'Iran et la Russie. Or nos relations 
avec Moscou ne sont pas bonnes. Pourtant, les Russes peuvent être convaincus,
 car ils craignent eux aussi pour leur sécurité, menacée par les jihadistes dans
 le Caucase. Mais pour obtenir des relations plus confiantes avec eux, il faudra 
sûrement infléchir notre politique sur les sujets qui fâchent. Et donc reconsidérer
 nos positions sur l'Ukraine, l'Iran ou la Syrie.

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