«Sur les Roms,tout peut être dit,sans retenue»
Questions à... Martin Olivera,
anthropologue,membre de l’Observatoire européen Urba-Rom
Que vous inspire le déferlement politico - médiatique de ces
derniers jours autour des Roms?
Tout à la fois de la lassitude
et de l’inquiétude. Lassitude parce qu’on a l’impression d’être retourné trois
ans en arrière, au discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy: le débat et les termes
employés sont les mêmes, comme s’il s’agissait toujours d’un problème crucial
de sécurité nationale. Inquiétude parce que la polémique implique un
gouvernement dont on pouvait attendre un autre discours et surtout une autre
politique.
Il y a certes eu une circulaire interministérielle signée en août 2012
qui laissait entrevoir de nouvelles possibilités d’action afin de résoudre la
question des bidonvilles, mais les expulsions sont toujours aussi nombreuses et l’on continue de
parler de «campements illicites ». Cette politique dite «ferme et humaine» semble
ainsi toujours relever en premier lieu du ministère de l’intérieur, partant du principe
que ces familles«n’ont pas vocation à
rester en France»,
puisqu’ elles ne souhaitent pas «s’intégrer».
On a l’impression que la parole est totalement «libérée», que tout
est permis quand il s’agit de parler des Roms…
La lecture des commentaires d’internautes sur les grands sites d’information–
toutes tendances politiques confondues– est sidérante.
Sur les Roms, tout peut être dit, sans aucune retenue. Mais ce sont
davantage les déclarations des responsables politiques qui sont inquiétantes:
si eux-mêmes affirment que les Roms sont à ce point différents de «nous»qu’il
est impossible de vivre avec eux, la conclusion naturelle n’est-elle
pas qu’il faut s’en débarrasser?
Les Roms sont des gens «en trop», des surnuméraires, voilà qui
semble aussi évident que de dire que la pluie mouille.
Les Roms occupent-ils une place à part dans l’imaginaire
collectif?
Il y a dix ans, personne ne savait ce qu’étaient les Roms. Aujourd’hui,
cette figure fait partie intégrante de notre patrimoine symbolique.
Il n’est d’ailleurs pas nécessaire d’en avoir côtoyé pour avoir
une opinion sur la«question». Si ce personnage s’est aussi rapidement imposé
dans le débat public, c’est qu’il n’est qu’une reformulation contemporaine de la
figure des Tsiganes / Bohémiens solidement enracinée dans l’imaginaire collectif
européen depuis le XIXe siècle.
Peu importe que les fameux «Roms migrants»dont on parle tant (ces
15000 personnes originaires de Roumanie et Bulgarie vivant en bidonvilles) n’aient
pas grand-chose à voir avec les Tsiganes/Gens du voyage français,
la confusion fonctionne à plein. Il y a là une responsabilité majeure
des institutions européennes et de certaines ONG qui ont participé depuis les
années 1990 à la construction institutionnelle de la figure des Roms.
Dans une logique de promotion des minorités, on a recréé une image
officielle et simpliste de cette«population», en passant sous silence l’immense
diversité historique, sociale et culturelle des groupes ainsi désignés. Restent
au final deux prétendues caractéristiques de cette«population »: «Ils viennent d’Inde» (donc, finalement, ils ne sont pas vraiment Européens) et «Ils sont marginaux depuis des siècles» (donc, finalement, c’est bien qu’ils posent problème).
Comment voulez-vous que ceux qui identifient des Roms dans leur
voisinage ne soient pas inquiets?
Le ministre de l’intérieur, Manuel Valls, a remis en question le
désir d’intégration des Roms. Qu’en est-il?
Cette rhétorique de la «vocation »et du«réel projet de vie en France»
est directement héritée du discours (et des pratiques) de Nicolas Sarkozy. Et
il est frappant de voir comment elle s’est implantée dans l’opinion commune,
partis
de gauche inclus: il y aurait d’un côté les «bons immigrés», ceux
qui auraient un «vrai»projet d’intégration, et de l’autre les «mauvais
migrants», ceux dont on peut douter de la «sincérité» –tout comme il y a les
«bons» et les «mauvais» pauvres.
Selon l’histoire et la sociologie des migrations, une telle
perspective est absolument fantasmagorique: tous les migrants, riches ou pauvres,
tentent de maintenir (au moins un certain temps) des liens avec leur pays d’origine
s’ils le peuvent. Progressivement, les parcours personnels et familiaux font
que les liens se distendent et certains ne rentreront plus ou, à l’inverse, d’autres
retournent d’eux-mêmes définitivement au pays.
C’est une vision très bourgeoise et élitiste que de penser que l’on
choisit son pays d’émigration pour sa littérature ou ses «valeurs».
Propos recueillis
par F.P.
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