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lundi 7 octobre 2013

La perestroïka selon le pape François

                La perestroïka selon le pape François

LE MONDE |  • Mis à jour le  |Par                                   Le pape François à bord d'un avion, lundi 29 juillet : ce saint-père positif en perpétuel mouvement force l'admiration des communicants. Le pape François à bord d'un avion, lundi 29 juillet : ce saint-père positif en perpétuel mouvement force l'admiration des communicants. | Luca Zennaro/AP
Un nouvel animal politique est en train de s'imposer sur la scène médiatique mondiale. Visibilité optimale, sourire chaleureux, verbe habile, message percutant, le pape François a conquis, en l'espace de six mois, un auditoire qui dépasse largement celui de ses ouailles. A 77 ans, il a incontestablement ce que les professionnels américains des relations publiques appellent lestar power. Il parle - beaucoup et librement -, embrasse, caresse, plaisante, écrit des lettres, téléphone, tweete et, ce qui est plus important, surprend. Ce saint-père positif en perpétuel mouvement force l'admiration des communicants. "C'est le pape du monde de la globalisation, dit de lui l'écrivain italien Umberto Eco dans le journal argentin La NacionIl représente quelque chose d'absolument nouveau dans l'histoire de l'Eglise. Peut-être même dans l'histoire du monde."
Mais quoi ? Que va-t-il faire de ce star power ? Va-t-il le mettre au service d'une réforme profonde de la gouvernance de l'Eglise ? Ce premier François sera-t-il le pape de la renaissance de la communauté catholique ? Fascinés par le contraste avec le style de son prédécesseur, les vaticanistes scrutent dans la multiplication des gestes d'ouverture du pape les signes d'une révolution possible, au-delà du simple discours.
Car un tweet ne fait pas le printemps : c'est, au demeurant, le très austère Benoît XVI qui avait ouvert le compte@Pontifex, suivi aujourd'hui par plusieurs millions de followers dans ses différentes langues. Certes, prendre ses quartiers dans la modeste maison Sainte-Marthe en délaissant l'appartement papal, laver les pieds des détenues, porter son sac en montant dans l'avion, prendre place dans la 4L d'un curé de banlieue avec 300 000 km au compteur ou décrocher son téléphone pour appeler Eugenio Scalfari, fondateur de La Repubblica et athée devant l'éternel, sont des symboles forts. Incontestablement, ils ont fait mouche. François a su aussi imprimer, comme on dit dans la communication, des concepts comme la pauvreté, la miséricorde, le discernement. Il a montré, par quelques expressions chocs - "la mondialisation de l'indifférence" face aux drames de Lampedusa, "Qui suis-je pour juger un homosexuel ?""la lèpre des courtisans" à la Curie, "le génie féminin" -, qu'aucun sujet ne lui fait peur.
Tout cela est formidable. Mais lorsqu'il s'agit de l'Eglise catholique, qui n'est ni un modèle de transparence ni un phare de la démocratie, les gestes et les symboles ne sauraient être à eux seuls des garanties de changement. C'est un peu, finalement, comme pour les régimes communistes. Rien ne ressemble plus à la kremlinologie défunte (enfin, presque) que la vaticanologie.
EGLISE ET PARTI COMMUNISTE CHINOIS
D'ailleurs, François ne vous rappelle-t-il pas Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev ? Lui aussi arriva, élu par ses pairs, succédant à des vieillards cacochymes à la tête d'un empire en crise. Lui aussi stupéfia par des gestes inattendus, une audace nouvelle dans l'expression et le style, des diagnostics sans complaisance et des promesses de réformes qui suscitèrent les espoirs les plus fous en dehors de chez lui. Lui aussi parlait beaucoup - trop, parfois. Lui aussi "imprima" des mots - glasnost et perestroïka, transparence et restructuration. Lui aussi tenta de contourner l'appareil conservateur de son organisation. Le seul atout que le pape pourrait lui envier, c'était sa femme Raïssa, première et dernière première dame soviétique moderne.
Un homme, George Yeo, va plus loin dans la comparaison. Fin connaisseur à la fois de la Chine, d'où vient sa famille, et de l'Eglise catholique, dont il partage la foi, George Yeo, 59 ans, est singapourien et brillantissime. Diplômé de Cambridge et de Harvard, il a été général de l'armée de l'air de son pays, député, ministre, notamment des affaires étrangères, et dirige aujourd'hui une grosse entreprise de logistique basée à Hongkong.
Depuis longtemps, George Yeo s'amuse à trouver des points communs entre l'Eglise et le Parti communiste chinois. Et voilà qu'en juillet le pape le nomme au sein d'une commission chargée de "la simplification et la rationalisation" des activités économiques et financières du Saint-Siège - en clair, pour mener un audit de ses structures ? Grande première au Vatican, cette commission est composée de sept laïcs, dont George Yeo, deux Français et une jeune femme italienne.
Cette commission pourra collaborer avec le groupe de huit cardinaux, le "G8", mis sur pied en avril pour réformer la gouvernance de l'Eglise, mais ne remettra son rapport qu'au saint-père lui-même : la confiance règne au Vatican à peu près autant qu'au Kremlin sous Gorbatchev. Le "G8" a, depuis, été élevé au rang de "conseil des cardinaux" et vu ses compétences étendues. Les grandes manoeuvres ont commencé.
Dans un article diffusé en août par le site The Globalist, George Yeo a précisé ce que l'Eglise et le PCC ont en commun. Le pape, élu le 13 mars, et Xi Jinping, intronisé le lendemain, ont tous deux la charge d'un cinquième de l'humanité. La Chine et l'Eglise sont toutes deux "anciennes et gérées par des mandarins" ; l'idée d'une élection de son chef au suffrage universel direct "aurait paru absurde" à l'une comme à l'autre. Chacune "prétend au leadership moral. Chacune voit dans l'autre une concurrente". Elles sont profondément attachées au centralisme démocratique.
En outre, observe M. Yeo, "la structure hiérarchique du pouvoir en Chine et dans l'Eglise catholique est attaquée par la révolution des médias sociaux", qui ont notamment mis au jour "la corruption et les abus sexuels". "Le président Xi comme le pape François, conscients de la gravité du défi, ont pris des mesures pour adopter un ton nouveau, en utilisant des symboles forts". On ne souhaite pas au pape le sort de Mikhaïl Gorbatchev. Mais on attend avec impatience une rencontre au sommet François-Xi.
kauffmann@lemonde.fr

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