INTERNATIONAL - Barack Obama a affirmé mercredi ne pas avoir pris de décision sur une éventuelle intervention en Syrie, mais évoqué un "coup de semonce", tandis que Londres a dit vouloir attendre l'enquête de l'ONU sur l'attaque chimique du 21 août. Alors que le monde s'était fait à l’idée d’une éventuelle attaque militaire multinationale en Syrie, les gouvernements et les citoyens autour du globe débattent désormais avec circonspection de la pertinence d’une nouvelle incursion dans un conflit au Moyen-Orient.
Tout le monde s’accorde sur la responsabilité du gouvernement du Président Syrien Bashar El-Assad dans le lancement d’armes chimiques, la semaine dernière, sur une banlieue de Damas tenue par des rebelles, tuant des centaines de personnes et en affectant des milliers, parmi lesquelles de nombreux enfants.
Et pourtant, il n’y a pas de consensus en ce qui concerne la réponse internationale, ni même dans le contexte stratégique derrière cette réponse. Il n’y a pas non plus d’accord sur la légalité ou la pertinence d’une action militaire, hors autorisation du Conseil de sécurité des Nations Unies - laquelle semble par ailleurs impossible, vu le soutien de la Russie et de la Chine envers Assad.
 Le souvenir des déroutes militaires précédentes au Moyen-Orient, en particulier l’Irak, a semé le doute sur le fait que les puissances à la tête de l’action en Syrie -les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France- puissent être complètement fiables concernant la réalité des faits.
En Grande Bretagne, l’ancienne ministre conservateur Cheryl Gillan a prévenu qu’une attaque de la Syrie pourrait conduire à un «désastre total». «J’ai voté pour la guerre en Irak après avoir écouté Tony Blair», a-t-elle expliqué au Huffington Post anglais. «Or, il s’est avéré qu’il nous menait en bateau. Je ne veux pas refaire la même erreur.»
Cette opinion a l’air d’être partagée par la majorité des Anglais. Un sondage YouGov paru dans le journal The Sun indique effectivement que les sondés opposés à des frappes aériennes sont deux fois plus nombreux que ceux qui y sont favorables.
A certains égards, l’atmosphère en Grande-Bretagne rappelle celle d’il y a dix ans avant la guerre en Irak, supervisée par le Premier Ministre Tony Blair et le Président américain George W. Bush.
Blair réclame encore une intervention militaire contre un dictateur baassiste, cette fois en Syrie. Maintenant comme à l’époque, le ministre des Affaires étrangères anglaisprend position contre les armes de destruction massive, avec ou sans le soutien du Conseil de sécurité des Nations Unies. Le Parlement est de nouveau sur le point de voter sur la possibilité d’envoyer des bombardiers anglais, avant même que les inspecteurs d’armement des Nations Unis sur le terrain syrien n’aient publié leurs conclusions.
Et pourtant, dix ans après qu’une constellation identique de forces a conduit à une guerre catastrophique en Irak, les dynamiques diffèrent selon un aspect fondamental: aujourd’hui, le Premier ministre réclamant une intervention est un conservateur, David Cameron. Les députés conservateurs semblent être aussi sceptiques à l’idée de cette confrontation que bien des membres du parti travailliste; bien que Blair lui-même, utilisant un vocabulaire qui rappelle les grands discours de la campagne en Irak, ait déclaré récemment dans le Times de Londres que l’intervention était désormais nécessaire «pour soutenir la liberté et la démocratie en Egypte et en Syrie.»
Mardi, du fait de la pression de son propre parti, Cameron a ordonné un rappel du Parlement et tweeté sa décision d’obtenir «une motion et un vote clairs du gouvernement anglais en réponse aux attaques d’armes chimiques.» Mardi soir, le Premier ministre donnait l’impression qu’il allait gagner le vote de la Chambre des communes. Mais le HuffPost anglais a rapporté tard mercredi soir que le parti travailliste avait l’intention de s’opposer à la motion, compliquant ainsi son passage.
Malgré cela, ce que l’on appelle la prérogative royale donne au Premier ministre, et non pas au Parlement ni à la population, le pouvoir constitutionnel de déclarer la guerre. Et Cameron, auto-proclamé «héritier de Blair», montre dans ses yeux ce que certains considèrent comme une lueur messianique.
Obama, l'anti-guerre (en Irak)
Aux Etats-Unis –où le Président Barack Obama a préparé le public à l’éventualité de frappes semblant inévitables, dès ce week-end– , le discours se fait donc plus prudent depuis quelques heures. Il faut dire que le soutien pour une intervention paraît mince.Lors d’un sondage Reuters/Ipsos conduit la même semaine que les attaques à l’arme chimique, seuls 9% des interrogés étaient en faveur d’une intervention militaire américaine. Et cette proportion n’est montée qu’à 25% lorsque Assad a été jugé responsable de ces attaques.
Dans le même temps, un consensus semble émerger parmi les gouvernements sur la nécessité de frappes aériennes limitées contre le régime. Le débat sur la responsabilité d’Assad dans les attaques à l’arme chimique semble clos. Le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, a indiqué que quiconque pensant autrement devrait «interroger sa conscience».
Cependant, une attaque militaire en Syrie comporte clairement des risques pour Obama et le place dans une position inconfortable. En un certain sens, sa présidence doit son existence à son opposition véhémente à la guerre en Irak dès ses débuts. Après avoir intensifié la guerre en Afghanistan, il est maintenant le président qui a tracé la route vers la sortie de ce conflit. Qualifier Obama d’opposant à la guerre au Moyen-Orient est un euphémisme.
Et pourtant, Obama ne semble pas s’être laissé beaucoup de marge pour éviter le conflit, s’étant publiquement engagé à ce que l’utilisation d’armes chimiques soit la ligne rouge, à ne pas franchir sans encourir des représailles. Cette menace a mis la crédibilité des Etats-Unis en jeu, rendant une réaction militaire à ces attaques quasiment inévitable.
Mais alors qu’Obama et d’autres chefs d’Etat décident de leur réponse, la stratégie en jeu reste loin d’être claire : une attaque devrait-elle tout simplement servir à dissuader tout autre chef d’état tenté d’utiliser les armes chimiques ? Cela signifierait alors une attaque de missile ciblée sur des installations précises. Ou bien, la réponse devrait-elle être plus largement destinée à aider les groupes rebelles luttant contre Assad ?
Des désaccords fondamentaux à propos des motifs d’intervention en Syrie rendent plus confuses les réactions politiques et publiques à la perspective d’une attaque.
Impossible consensus politique en France
L'intervention au Mali avait obtenu, en janvier, l'aval de la quasi-totalité de la classe politique française. Mais sur le dossier syrien, trouver le consensus semble aujourd'hui délicat, si ce n'est impossible en France aussi. Alors que François Hollande a appelé, lors de la conférence des ambassadeurs, à "punir ceux qui ont pris la décision de gazer des innocents" et que ses collègues de la majorité approuvent cette démarche ouvrant la porte à une intervention potentielle, on ne compte plus le nombre de voix qui s'élèvent en France pour appeler à la prudence. Et ce n'est pas un clivage gauche-droite qui se présente puisque chaque camp apparaît divisé sur la meilleure manière de répondre à Bachar el-Assad.
L'extrême gauche est clairement hostile à toute intervention armée. Alors que Pierre Laurent, patron du Parti Communiste, estime que "bombarder la Syrie serait ajouter la guerre à la guerre, entraînant le risque jusqu'ici inégalé d'un embrasement de toute la région", son partenaire Jean-Luc Mélenchon est encore plus catégorique: "Il ne faut pas faire cette guerre. Ce serait une erreur gigantesque", a mis en garde l'ancien candidat à la présidentielle sur BFMTV. "Il a raison, c'est du grand n'importe quoi", a réagi le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan, pourtant à l'opposé de l'échiquier politique.
Quant au Front national (extrême droite), ce sont les conséquences d'une telle action qui le pousse à dire non : Florian Philippot, le vice-président du FN, pointe ainsi la domination des rebelles "par les islamistes radicaux". Marine Le Pen accuse même François Hollande de "choisir les islamistes". "La charia, la persécution des chrétiens... voilà ce qui attend ce pays si les Etats-Unis et la France interviennent", déplore la leader frontiste dans un communiqué.
L'argument est également repris par l'UMP Rachida Dati. L'eurodéputée et maire du VIIe arrondissement craint ainsi que "le chaos succède au chaos". Ce que le centriste François Bayrou, président du Modem, a résumé par un "appel à la prudence".
Espagne, Italie, Canada et Tunisie (très) prudents
En Espagne, laquelle offre généralement son soutien aux actions militaires impliquant les puissances de l’OTAN, la Syrie a suscité à la fois de l’inquiétude et un sentiment ambivalent. Là-bas aussi, la débâcle de la guerre irakienne est encore bien présente dans les mémoires. En 2003, Jose Maria Aznar, alors Président, avait soutenu l’action conduite par les Etats-Unis, malgré l’opposition de la population espagnole. Le Président actuel, Mariano Rajoy, avait aussi soutenu la guerre en tant que ministre du gouvernement.
Mais aujourd’hui, le gouvernement de Rajoy est assiégé par des soucis de politique intérieure: des cas de corruption de personnalités en vue, une crise économique qui n’en finit pas, et plus récemment, un conflit avec l’Angleterre à propos de Gibraltar. Devant faire face à de tels problèmes, l’Espagne doit encore décider de sa participation à une attaque militaire en Syrie actuellement en discussion.
«Les attaques aux armes chimiques en Syrie exigent une réponse ferme de la part de la communauté internationale», a déclaré le ministre des Affaires étrangères José Manuel García Margallo, dans un communiqué de presse paru mardi. Le gouvernement espagnol a exprimé sa confiance envers le Conseil de sécurité des Nations Unies et a demandé à ce que l’organisation prenne « des décisions s’assurant que le droit international soit respecté ».
Mais ni Rajoy, ni son ministre des Affaires étrangères, n’ont fait ouvertement de déclarations concernant une éventuelle intervention organisée en dehors des Nations Unies, n’ayant pas à adopter une position tranchée, grâce à une majorité absolue au Parlement. Ce qui s’approche le plus d’une déclaration officielle gouvernementale est venu de Carlos Floriano, numéro trois du parti dirigeant de Rajoy. 
« J’ai l’impression que nous devons nous aligner avec nos alliés. En ce sens, je crois que nous sommes là où nous devrions être », a-t-il expliqué.
Par le biais d’Elena Valenciano, bras droit du chef du parti socialiste, l’opposition espagnole a indiqué qu’elle était en faveur d’une «réponse unanime, efficace et, bien sûr, mesurée contre le régime».
En Italie, autre allié fidèle des actions militaires impliquant les puissances de l’OTAN, le gouvernement a exprimé son refus à participer à une attaque qui n’aurait pas reçu l’aval du Conseil de sécurité des Nations Unies.
La ministre des Affaires étrangères, Emma Bonino, a affirmé qu’une attaque unilatérale sur le sol syrien menée sans l’approbation du Conseil de sécurité ne serait «ni adéquate, ni positive». L’ancien Premier ministre de gauche, Romano Prodi, a fait écho à ce sentiment, déclarant «qu’humilier les Nations Unies» en conduisant une intervention unilatérale n’apporterait aucun résultat tangible au conflit syrien.
Mais même avec l’accord du Conseil, la participation de l’Italie «ne serait pas automatique», a déclaré Bonino lors d’une conférence avec les délégués des Affaires étrangères, car la question serait alors portée devant le Parlement italien. «Le Conseil de sécurité pourrait et devrait se saisir de l’affaire» a affirmé la ministre des Affaires étrangères.
Bonino a rappelé que l’Italie est déjà occupée par trois grande missions de paix au Liban, en Libye et en Afghanistan, indiquant que le gouvernement privilégiait une réponse diplomatique à la crise syrienne.
«On peut encore prendre bien des chemins», a dit Bonino. «Assad devrait être présenté à la Cour pénale internationale pour que celle-ci enquête sur ce crime odieux.»
Après plus d’une décennie en Afghanistan, l’intérêt du Canada envers un conflit étranger paraît particulièrement faible. Cependant, le Canada a exprimé un soutien mesuré de la campagne en préparation.
Le gouvernement a condamné le régime syrien pour ce qui a été qualifié « d’odieuses » attaques à l’arme chimique envers sa propre population. Cela dit, le ministre des Affaires étrangères, John Baired, est apparu hésitant lundi quand il a déclaré que la crise entrait «dans une nouvelle phase dangereuse» et que le Canada travaillerait avec les Nations Unies pour enquêter sur la réalité des faits.
Le chef de l’opposition, Thomas Mulcair, a prononcé un discours tout aussi circonspect lundi, déclarant que le Canada devrait se conformer au droit international sans brûler les étapes. Il n’a cependant pas écarté de soutenir une intervention militaire.
Le Premier ministre canadien, Stephen Harper, a parlé avec Obama mardi, et un porte-parole a indiqué que «les deux chefs d’Etat étaient d’accord sur le fait que l’utilisation d’armes chimiques méritait une réponse ferme de la part de la communauté internationale, d’une manière efficace et opportune.»
Tandis que les Européens et les Nord-Américains débattent des conséquences d’une action militaire depuis le confort relatif de leur éloignement géographique, les Tunisiens – déjà touchés par la sanglante guerre civile syrienne et l’embrasement général de la plus grande partie du monde arabe – réagissent avec autant d’inquiétude que de confusion.
Alors qu’on estime à plus de 2000 le nombre de Tunisiens partis pour le djihad dans le bourbier syrien, le landerneau politique du pays reste muet face à l’éventualité d’une intervention occidentale en Syrie. Aucune réaction, pas un mot, mis à part les quelques hoquets anti-impérialistes d’une coalition de partis nationalistes. Ni la troïka gouvernementale dominée par le parti islamiste Ennahdha, ni les principaux partis d’opposition ne semblent se sentir concernés. Cet immobilisme s’explique par une crise politique et sécuritaire sans fin, qui monopolise autant les politiques que les médias. Et qui fragilise le pays face aux menaces extérieures.
Depuis plus d’un mois, les travaux de l’Assemblée Nationale Constituante, chargée depuis bientôt deux ans de rédiger une Constitution, sont suspendus. Dans un contexte de crise économique, 70 députés se sont retirés de l’Assemblée, blâmant une mauvaise gouvernance de la Troïka et un manque de volonté consensuelle de la part d’Ennahdha. L’opposition demande la démission du gouvernement. Un sit-in permanent occupe la grande place du Bardo qui fait face à l’Assemblée. Les manifestations à répétition y ont mobilisés des dizaines de milliers de personnes, tandis que, de l’autre côté des barbelés, des partisans du pouvoir scandaient des slogans à la gloire d’Ennahdha. La société tunisienne est aujourd’hui profondément divisée.
L’insécurité en a été l’un des éléments déclencheurs. Le 25 juillet, le député Mohamed Brahmi, membre de l’opposition, était tué dans ce qui constituait le deuxième assassinat en six mois après le meurtre, en février, de l’opposant charismatique Chokri Belaïd. L’armée s’est par ailleurs engagée dans un combat contre des groupes présumés terroristes dans les montagnes bordant la frontière algérienne.
C’est dans ce contexte d’insécurité que vient s’inscrire le conflit syrien. La Tunisie aurait déjà hérité de plusieurs dizaines de combattants jihadistes qui fuyaient le Mali. La contrebande d’armes prolifère grâce aux réseaux libyens. De retour à la clandestinité, certains Frères musulmans égyptiens seront éventuellement tentés de rejoindre les réseaux actifs au Sahel.
Si un scénario irakien se profilait en Syrie, la violence latente pourrait rapidement se propager vers l’Egypte et le Maghreb. La Tunisie, coincée entre une Libye chaotique et un Sahel hors-la-loi, ferait alors les frais de la migration de combattants et de la radicalisation rampante parmi les perdants.
Alors que le pays éprouve tout le mal du monde à maintenir la stabilité dans cette difficile période de transition, la Tunisie craint que cette guerre lointaine ne vienne frapper à sa porte avec trop de force.
Au Japon, le Premier ministre Abe Shinzo a appelé Assad à abandonner le pouvoir. A la suite de consultations au Qatar, Shinzo a déclaré que «la responsabilité de la détérioration en Syrie revient au régime d’Assad, qui attise la violence, coûte des vies innocentes et ne prête pas aux conditions humanitaires de plus en plus difficiles.»
Mais étant donné l’échec des militants armés pour faire tomber Assad au cours d’une guerre violente, de telles requêtes ont peu de chances d’aboutir. Ce qui laisse les autres nations face à une confrontation militaire avec la Syrie de plus en plus certaine, même si la confusion régnant sur son objectif et les dissensions portants sur les moyens complique le processus.
Avec les contributions de Mehdi Hasan à Londres, Michael Bolen à Toronto, Alexandre Boudet à Paris, Antonia Laterza à Rome, Daniel Basteiro à Madrid, Sandro Lutyens à Tunis, Daichi Ito à Tokyo, et Emily Swanson et Ryan Grim à Washington.
EN IMAGES - Ce que font les rebelles en attendant :
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