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dimanche 28 octobre 2012

Congrès du PS: théâtre d'ombres et clivages sociaux


Une analyse pertinente de Denis COLLIN  paru sur le site de <<La SOCIALE>>

Congrès du PS: théâtre d'ombres et clivages sociaux

Par Denis COLLIN • Actualités • Dimanche 28/10/2012 • 0 commentaires  • Lu 43 fois • Version imprimable 

Le congrès du PS, qui se tient ce week-end à Toulouse, révèle au grand jour les contradictions de ce parti qu’unit seulement l’objectif de la conquête du pouvoir et du partage des postes et autres prébendes. D’un côté nous avons le PS gouvernemental, Hollande, Ayrault, Valls and Co, un PS qui est à quelques points purement cosmétiques près, dans le prolongement de la politique de Sarkozy-Merkel, approuvée, ne l’oublions pas, par l’essentiel des partis sociaux démocrates européens, qu’il s’agisse des Portugais, des Espagnols, des Grecs ou des Allemands… De l’autre, nous avons ceux qui pensent ou prétendent (on n’est pas en mesure de déterminer le degré de sincérité dans les illusions) que le PS reste le parti des salariés, le parti des travailleurs et des jeunes qui devrait un jour ou l’autre, plus tard, dans un temps indéterminé, conduire au socialisme.
Emblématiquement, Valls affirme qu’il expulsera plus de « sans-papiers » que Guéant, et obtient un triomphe à l’applaudimètre et de l’autre côté Gérard Filoche réaffirme ses revendications (35 heures, retraite à 60, SMIC à 1500€) en faisant semblant de croire que c’est l’objectif des socialistes alors que l’appareil s’en moque comme d’une guigne et que ceux qui connaissent les socialistes comme patrons (dans les régions, les départements, les municipalités) savent que leur sensibilité aux revendications sociales est très émoussée. Nous sommes devant un théâtre d’ombres. Ayant renoncé même aux promesses minimalistes de leur programme, les socialistes mènent un terrible combat sur le mariage homosexuel et pour montrer leur indépendance face au gouvernement, certains députés, derrière Bruno Le Roux en ont profité pour proposer un amendement légalisant la procréation pour autrui (c’est-à-dire les « mères-porteuses »). Que cela soit compatible avec la société du « tout au marché », c’est évident et d’ailleurs une partie non négligeable de la droite est ralliée à ces revendications sociétales qui concernent au premier chef les couches supérieures de la petite bourgeoisie intellectuelle. Mais pour ce qui des questions vraiment importantes : salaires, protection sociale, retraites, lutte contre les licenciements, le changement, ce n’est vraiment pas pour maintenant. Dans l’éducation nationale, Peillon se distingue en proposant la légalisation du cannabis, mais maintient intégralement la réforme Chatel du lycée. On ne touchera pas à l’autonomie des Universités qui en conduit de nombreuses au bord de la faillite et à l’urgente nécessité de trouver toujours plus des débouchés « professionnalisants », c’est-à-dire à abandonner toute prétention à un programme d’enseignement et de recherche indépendant au profit d’une soumission toujours plus étroite aux intérêts du capital financier.
Que cache ce théâtre d’ombres ? La réalité du pouvoir et la véritable nature du parti socialiste. On peut distinguer très schématiquement trois couches dans le PS. Tout d’abord, les restes du vieux parti socialiste, parti social-démocrate appuyé principalement sur les salariés moyens (employés et cadres). Compte-tenu de la composition sociale de l’électorat socialiste, ils devraient être le courant dominant du PS. Mais ce n’est pas le cas. Le candidat de la « gauche » a fait un bon score de 28% - meilleur que lors du congrès de Reims, par exemple – mais la « gauche » du PS, celle qui est au plus près des revendications sociales des électeurs socialistes, est écrasée par le poids de l’appareil qui a imposé Harlem Désir au poste de premier secrétaire. Les leaders les plus connus de cette gauche sont bâillonnés : Hamon est au gouvernement, Montebourg est au gouvernement, Emmanuelli comme de coutume tergiverse et finit par s’incliner devant l’appareil.
La deuxième couche est celle des élus locaux, petits et moyens. Ils sont fidèles à l’appareil – investitures obligent, mais inquiets devant la tournure des événements, car il ne fait guère de doute que les prochaines élections locales ne seront pas favorables au PS et que nombre de petits barons devront laisser leur siège, leurs secrétaires, leurs cabinets, leur voiture de fonction et tous ces attributs du pouvoir qui rendent l’existence si intéressante … Ils ne sont donc pas mécontents que la gauche rue dans les brancards et que leurs électeurs puissent se faire entendre des vraies sphères dirigeantes.
La troisième couche est celle des strates dirigeantes qui comprend les socialistes déjà intégrés dans la classe capitaliste transnationale (ceux qui sont dans les institutions européennes ou à l’OMC, par exemple), les socialistes gouvernementaux et les maires des grandes villes et présidents de régions insérées dans la globalisation capitaliste. Le président de la région Île de France n’a ni les mêmes objectifs, ni la même vision du monde qu’un conseiller général de Haute-Vienne. Pour tous ces gens l’avenir est hors du sol national. Ils sont déjà sur une autre planète. Dans cette planète, ils ne sont plus liés du tout aux professeurs et aux agents de la fonction publique qui votent « socialiste ». Ils sont organiquement liés à la classe dirigeante, c’est-à-dire au capital financier. Dans une tribune de « Marianne 2 », Laurent Mauduit dresse un tableau saisissant des apparentements terribles entre hiérarques socialistes et grandes entreprises.
« Au cœur de la machine élyséenne, il y a d’abord Emmanuel Macron qui, avec son titre de secrétaire général adjoint, supervise les questions économiques et sociales. Ex-associé gérant de la banque Rothschild, il a été, sous le quinquennat précédent, le principal collaborateur de Jacques Attali et a assuré le secrétariat de la commission du même nom, chargée par Nicolas Sarkozy de lui proposer de violentes mesures de déréglementation économiques et sociales. A ses heures perdues, Emmanuel Macron est aussi membre del’association En temps réel, un club où se côtoient quelques survivants de l’ex-Fondation Saint-Simon et des figures du capitalisme parisien, avec à sa tête Stéphane Boujnah, un ancien du cabinet de Dominique Strauss-Kahn, aujourd’hui patron de la banque Santander France.
À l’Élysée toujours, il y a aussi le conseiller pour les médias et la communication, David Kessler, qui jusqu’en mai était le bras droit pour la presse du dirigeant français de la banque Lazard, Matthieu Pigasse, par ailleurs propriétaire des Inrocks et copropriétaire du Monde. A Bercy, le mélange des genres entre intérêt général et affaires privées est tout aussi frappant. Le mandat confié par Pierre Moscovici au même Matthieu Pigasse pour le conseiller dans le projet de création de la Banque publique d’investissement (BPI) en est une spectaculaire illustration.
Mais cette porosité entre vie publique et vie des affaires va au-delà. A preuve, le ministre des Finances a aussi confié une mission de conseil à Gilles Finchelstein, un ancien collaborateur de Dominique Strauss-Kahn, qui est aussi un proche du banquier Matthieu Pigasse. De son côté, le ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, a enrôlé comme attachée de presse une personne qui auparavant occupait la même fonction auprès de la milliardaire Liliane Bettencourt et du même... Matthieu Pigasse. Lequel banquier a du même coup ses entrées à tous les étages de Bercy, et jusqu’à l’Elysée.
De nombreuses nominations à des postes économiques importants révèlent la même confusion entre vie publique et vie des affaires. De sensibilité de droite, le futur patron de la BPI, Nicolas Dufourcq, qui est lui aussi membre du club En temps réel, s’est illustré dans le passé en amenant Wanadoo, la première filiale Internet de France Télécom, vers la Bourse et... la bulle spéculative de l’époque !
Quant aux personnalités qui ont été chargées de missions de réflexion, elles sont toutes du même acabit. Après avoir bien servi Nicolas Sarkozy en confectionnant son rapport controversé, Jacques Attali a ainsi été gratifié par François Hollande d’une nouvelle mission sur « l’économie positive » – on peine à comprendre de quoi il s’agit, mais, l’important, c’est sûrement qu’il reste dans le jeu !
Administrateur d’Havas (groupe Bolloré) et de Lagardère, mais aussi de la société suisse Nagra, spécialisée dans les technologies de contrôle et de verrouillage sur Internet, Pierre Lescure n’en a pas moins accepté, lui, une mission sur Hadopi. Et, enfin, l’ancien patron d’EADS Louis Gallois, qui est de longue date proche des milieux patronaux et qui défend des thèses économiques pas très différentes de celles de l’UMP, a donc été chargé d’un rapport sur la question de la compétitivité. »
C’est suffisamment parlant pour qu’il ne soit pas nécessaire d’ajouter de commentaires supplémentaires.
Au fond « l’alternance » n’a été que le remplacement d’une fraction de la classe dominante par une autre fraction de cette même classe dominante, sachant qu’entre ces deux fractions il y a bien une vraie lutte (il n’y a qu’un fauteuil pour deux prétendants), une lutte d’intérêts très matériels, mais en même temps un sens profond de la solidarité. Nous sommes presque arrivés au même point que les autres « grandes démocraties », au premier chef la démocratie américaine : c’est une démocratie où le peuple n’a aucun pouvoir mais doit se contenter de participer sans passion au concours de beauté pour départager les deux fractions candidates au pouvoir.
On pourrait croire que la solution « démocratie » serait de créer un nouveau parti, un parti vraiment « socialiste », « vraiment à gauche ». On s’est y beaucoup essayé, de « Die Linke » en Allemagne, au Parti de Gauche et au Front de Gauche en France. Mais ces partis ne parviennent jamais à ébranler vraiment le condominium des partis « de gouvernement ». Et surtout, dès qu’ils touchent au pouvoir, on a tôt fait de constater qu’ils ne sont pas fondamentalement différents de ceux qu’ils prétendent remplacer. « Die Linke » a été construit par un ancien bonze social-démocrate, Lafontaine, appuyé sur les vestiges du parti stalinien d’Allemagne de l’Est, l’ex-SED : ce n’était pas un gage très sérieux de rénovation politique. Le Front de Gauche en France unit une sorte de parti trotskyste dans son fonctionnement et ses effectifs mais à enveloppe social-démocrate, le PG, et le PCF, ou plutôt ce qu’il en reste, c’est-à-dire le fantôme de ce qui fut le premier parti stalinien comme jadis la France était « la fille ainée de l’Église ». Ce front de gauche reste un bon organisateur de spectacles (des meetings de Mélenchon à la fête de l’Huma) mais son influence politique réelle n’est pas supérieure à celle du NPA, du POI et autres particules du même tonneau.
Plusieurs questions se posent à partir de là. Énumérons-les pour voir ensuite dans quelle mesure on y peut répondre.
1)      La « forme-parti » est-elle complètement obsolète et peut-être n’a-t-elle jamais été adéquate à une politique visant à l’émancipation ?
2)      La déclin et parfois la décomposition de l’État-nation n’entraînent-ils pas le déclin du politique en tant que tel ?
3)      L’alternative radicale au capitalisme en crise n’exige-t-elle pas de sortir tout aussi radicalement des jeux politiciens ?
Ces trois questions se recoupent partiellement. Mais il semble que c’est bien autour d’elles que tournent pour l’essentiel les problèmes auxquels nous sommes confrontés.  

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